1/ La grossesse multiple
Origine et détermination d’une grossesse multiple
Les faux jumeaux, jumeaux dizygotes DZ, provenant de deux œufs, donc de deux follicules différents, possèdent chacun un chorion. Ils s’implantent dans l’utérus indépendamment l’un de l’autre et s’y développe côte à côte. De ce fait, chaque embryon est nourri par son propre placenta. Les enveloppes fœtales sont distinctes ; il y a deux amnios, deux chorions, d’où leur nom de dichorioniques. L’apparition simultanée de ces deux follicules dépend des taux de sécrétion de FSH. Cela est suggéré par les résultats de l’induction thérapeutique de l’ovulation où un apport exogène d’un facteur correspondant à la FSH ou de FSH elle-même induit souvent une maturation folliculaire multiple.
Les facteurs inducteurs de gémellité sont l’augmentation du taux de FSH pendant le cycle qui permet la maturation de plusieurs follicules ; l’hérédité joue un rôle important : les jumelles ont deux fois plus de jumeaux que la population générale ; l’origine ethnique joue également un rôle important : 3/1000 chez les Asiates, 8/1000 chez les Caucasiens et 16/1000 chez les Africains, cela indépendamment de la localisation géographique.
Les jumeaux monozygotes MZ proviennent d’un seul embryon divisé en deux ; ils ont donc le même patrimoine génétique et sont nécessairement de même sexe…. Les deux masses embryonnaires, amputées de leur moitié, ont la propriété de compenser cette perte, grâce à un phénomène de régulation, il en résulte deux embryons parfaitement constitués.
Ils sont rares chez les mammifères, environ 1 sur 1000, alors que les jumeaux DZ sont la règle dans la plupart des espèces. La séparation d’un individu en deux est décrite comme un événement accidentel ; et survient dans les 14 jours qui suivent la fécondation.
70 % des jumeaux conjoints sont des filles, comme la plupart des jumeaux MA ; la plus grande fragilité des jumeaux garçons expliquerait leur élimination pendant la gestation.
Une inactivation anormale du chromosome X a été associée à la gémellité MZ. L’hérédité joue sans doute un certain rôle inducteur, mais elle est plurigénique.
(Bomsel-Helmreich et Al-Mufty, 1991)
Placentation des grossesses multiples
La placentation des jumeaux dizygotes diffère de celle des fœtus uniques essentiellement par les contraintes d’espace, de contiguïté et de position relative imposées par le développement simultané des deux œufs indépendants dans l’utérus.
La placentation des jumeaux monozygotes varie en fonction du moment de la division embryonnaire. Celle-ci peut se produire tout au long des deux, voire des trois premières semaines du développement ovulaire.
Placenta monochorial diamniotique : environ 70 % des cas, il correspond à la division du bouton embryonnaire entre 3 et 7 jours PC, avant la formation de l’amnios, mais après l’individualisation du trophoblaste. La masse placentaire est unique et il existe deux cavités amniotiques.
Placenta monochorial monoamniotique : environ 1 à 2 % ; il résulte de la division tardive de l’embryon, au cours de la deuxième semaine de développement, voire plus tard, alors que la plupart des annexes, et en premier la cavité amniotique, sont déjà constituées. Il n’y a, alors, qu’un seul chorion et une unique cavité amniotique.
Lors des grossesses multiples, l’examen du ou des placentas permet de préciser le type de placentation et, pour les monozygotes, le moment de la division, et d’expliquer la pathologie fœtale et d’évaluer les phénomènes compétitifs entre les fœtus. (Nessmann, 1991)
Physiologie maternelle au cours de la grossesse gémellaire
La grossesse gémellaire est considérée comme une source de complications obstétricales qui représentent un risque tant pour la mère que pour les enfants. La prise de poids est nettement plus importante, de même la rétention hydrosodée particulièrement forte chez les primipares. Le débit cardiaque s’élève, le débit sanguin utérin est doublé dans les cas de grossesse gémellaire par rapport aux grossesses monofoetale, ce qui traduit l’augmentation de consommation d’oxygène utéroplacentaire. De même l’augmentation de la pression artérielle est sensible. Il est à noter la fréquence de la toxémie gravidique.
D’autre part on note une nette augmentation des besoins métaboliques qui reflète principalement la consommation énergétique des fœtus pour assurer les dépenses basales et la croissance, d’où le risque supplémentaire de diabète gestationnel.
De manière générale, la réponse maternelle à une grossesse multiple est celle d’une exagération de celle observée en présence d’un seul fœtus et d’un seul placenta, seule une nette augmentation de la pré-éclampsie semble caractériser la grossesse gémellaire. Cependant, il est clair que la tolérance d’une grossesse multiple dépend essentiellement de l’état de la mère avant la grossesse, sur les plans cardiaque et circulatoire. (Edouard, 1991)
Les potentiels pathologiques accrus des grossesses multiples
1/ La survenue prématurée de l’accouchement est, selon le professeur Papiernik, la complication principale de la gémellité. La durée moyenne de la grossesse gémellaire est de 37 semaines, la proportion des naissances avant terme se situe entre 45 et 50%. Les naissances très précoces de 26 à 30 semaines sont 10% plus nombreuses qu’en cas de grossesse unique. C’est la prématurité qui reste la principale cause de morbidité néonatale, du besoin de transfert des nouveau-nés en service de réanimation néonatale intensive, du risque de mort néonatale ou du risque de handicap au cours du développement de l’enfant. La première conséquence de la grande prématurité est un risque de mort périnatale 4 à 5 fois plus élevé. La multigestité (grossesses triples ou quadruples) augmente considérablement le risque de prématurité et altère gravement la distribution des poids de naissance. (Papiernik, 1991)
2/ Le retard de croissance in utero (RCIU) est la deuxième grande cause de gravité après la prématurité de la grossesse gémellaire. Il se définit de la manière suivante : pour toute grossesse multiple, le poids d’un des fœtus est identique à celui d’un singleton jusqu’à 26 ou 30 semaines, puis il devient plus faible. Le ralentissement de la croissance est attribué à l’entassement utérin (crowding). Les placentas des jumeaux sont aussi plus petits que les placentas des singletons à partir de 24 semaines et il est possible que le développement placentaire défaillant précède le ralentissement de croissance et en soit la cause. Les causes de ce retard peuvent être multiples ; elles vont de la malformation congénitale à l’hypertension artérielle, au syndrome transfuseur – transfusé, etc. Son diagnostic ne peut se faire que par échographie et ceci explique la surveillance rapprochée de la croissance des multiples. Au 2ème trimestre, le retard de croissance d’un des jumeaux s’accompagne très régulièrement d’un hydramnios dans la poche de l’autre. La conduite thérapeutique sera alors soit un avortement thérapeutique, soit une amniocentèse à répétition, ou encore un foeticide sélectif du plus petit . Au 3ème trimestre, on pense d’abord à une anomalie morphologique, le risque à court terme étant celui d’une mort fœtale du jumeau hypotrophique et d’une prématurité trop grande imposée au jumeau sain.
3/ Les complications dues à une séparation insuffisante des jumeaux : syndromes transfuseurs transfusé, siamois ou fœtus in foetu. On a bien noté que les grossesses gémellaires monozygotes étaient considérées comme un accident du développement de l’œuf, ce qui explique aussi sa rareté.
Le donneur devient anémique ; le flux rénal diminue et il se constitue un oligoamnios et un retard de croissance intra-utérin ; à l’inverse le fœtus receveur voit son flux rénal augmenter, ce qui entraîne une polyurie et la constitution d’un hydramnios. Le fœtus est en insuffisance cardiaque et il apparaît des oedèmes, des épanchements des séreuses et une anasarque.
L’inégalité de taille et de poids des fœtus s’accompagnent d’une inégalité de taille et de poids des organes, surtout marquée au niveau des reins, du cœur et du foie. Les viscères du donneur sont pâles, ceux du receveur sont rouge foncé.
Lorsqu’il se constitue précocement, il aboutit à la mort in utero du fœtus transfuseur qui est retrouvé à la naissance sous forme d’un fœtus papyracé. Dans la forme chronique, il se constitue à partir de la 20ème semaine et devient source de complications : oligoamnios et hypotrophie du donneur, hydramnios, insuffisance cardiaque et anasarque du receveur pouvant aboutir à une rupture prématurée des membranes, déclenchement du travail et naissance prématurée. Le placenta est généralement du type MC et DA, chez les MC MA, ce syndrome n’est jamais décrit. Exceptionnellement, il a été observé chez des jumeaux dizygotes.
Le plus souvent, les deux individus paraissent complets, égaux, symétriques par rapport à la zone d’union. Les jumeaux conjoints correspondent à une anomalie de l’axiation, avec l’apparition de deux lignes primitives au stade du disque embryonnaire qui aboutit à deux jumeaux qui peuvent être séparés ou fusionnés sur un segment plus ou moins important : ce sont alors des monstres doubles.
Cette hypothèse d’une anomalie de l’axiation permet d’expliquer la fréquence importante d’anomalie de la ligne médiane (fente facial, cardiopathie, trouble de la fermeture du tube neural). Ils sont unis entre eux de diverses manière : céphalopages sont soudés par la tête, xiphopages sont réunis par le sternum, ischiopages par la région hypogastrique et pygopages par la région fessière.
4/ L’hydramnios aigu est la cause la plus fréquente des avortements du second trimestre en cas de grossesse gémellaire. Cette complication, quasi spécifique des grossesses gémellaires monozygotes (25%) , est responsable d’une mortalité périnatale très importante et les thérapeutiques proposées modifient peu le pronostic spontané catastrophique. Spontanément toutes les grossesses se terminent par un avortement sans survie fœtale. Il s’agit d’une augmentation rapide de volume du liquide amniotique qui entraîne une distension de l’utérus en un temps très court. Son apparition se fait en une à trois semaines. Avant la 24ème semaine, il est qualifié d’aigu, après 28 semaines on le qualifiera plutôt de chronique. L’étiologie de cette complication est globalement rapportée à l’existence d’anastomoses vasculaires dans la circulation placentaire des jumeaux.
Ces anastomoses vasculaires ne peuvent apparaître qu’après une placentation monochoriale. Dans les grossesses DC et DA elles ne peuvent survenir que sur des placentas fusionnés. Les anastomoses vasculaires sont responsables d’échanges sanguins entre les deux fœtus. Leur importance est fonction de l’étendue et de la taille des anastomoses et des flux. Un déséquilibre important dans les flux sanguins de retour veineux entraîne une surcharge vasculaire sur l’un des fœtus et une hypovolémie sur l’autre.
Par un phénomène compensatoire, les reins du fœtus en surcharge augmentent leur filtration glomérulaire, ce qui amène une augmentation du volume des urines fœtales et une hyper production du liquide amniotique. L’autre fœtus hypotrophe diminue, lui, sa diurèse et présente ce qu’on appelle un oligoamnios. Il reste fixé contre la paroi utérine, baignant dans une quantité de liquide amniotique très faible, avec une membrane amniotique le moulant, empêchant tout mouvement. Sa place ne change pas, malgré les changements de position de la mère. Dans le cas d’une grossesse gémellaire MC et MA, même s’il existe une diurèse très importante d’un des jumeaux, les deux peuvent déglutir le liquide amniotique fabriqué en excès et diminuer ainsi, à eux deux, l’importance du volume du sac amniotique.
Il semble que l’hydramnios aigu soit lié à un syndrome transfuseur – transfusé précoce sur une grossesse gémellaire MZ MC DA. Mais tous les STT ne présentent pas d’hydramnios aigu, c’est probablement la rapidité d’apparition et l’importance du déséquilibre circulatoire qui expliquent la survenue de l’hydramnios. (Henri Cohen, 1991)
5/ Mort in utero d’un jumeau : Sa fréquence est supérieure à celle notée au cours des grossesses uniques et plus élevée dans les grossesses monozygotes que dans les grossesses dizygotes. Ses causes sont multiples : insuffisance des échanges placentaires, épisodes d’hypotension maternelle qui peuvent être à l’origine d’accidents de souffrance fœtale aiguë.