Observations
Nous cherchions à retrouver un axe différenciation gémellisation dans le développement des projections fantasmatiques des parents. Nos observations présentent nombre de cas où l’écran, qui permet de visualiser les positions prises par les fœtus est aussi l’occasion de remarquer que l’un remue plus que l’autre, qu’il est plus petit ou plus gros que l’autre… Les foetus deviennent alors jumeau A et jumeau B que les parents, dans l’exemple du Cas 28, s’attachent à reconnaître en fin de grossesse en essayant de prévoir l’ordre de leur sortie, comme pour ne pas perdre un instant le fil de l’histoire… Le travail de l’échographiste est justement de différencier chacun des fotus pour valider son examen.
Dans ce cadre là, nous avons pu observer une importance particulière au moment de l’annonce du sexe des multiples, qui n’est pas sans conséquence sur la scène intérieure du couple parental. En effet, les vignettes cliniques abondent sur la réactivité très forte et très variée des mères et des pères à l’idée que le ventre maternel abrite un couple de garçons, de filles, ou un couple bisexué, ce dernier cas de figure étant souvent ressenti comme une chance particulière, comme " le choix du roi ". Dans la lignée des réflexions de Zazzo citées précédemment autour d’une symbiose surdéterminée, on peut alors se poser la question d’une projection fantasmatique de reconstruction d’un couple idéal autour de ce " choix du roi ". Ici se pose la question du narcissisme dans la projection d’une double image de soi et de l’autre idéalisée. (Cas 10)
Les réactions s’échelonnent de la réflexion d’un père ravi qu’il n’y ait " pas de zizi dans l’utérus de sa femme " puisqu’il y avait deux embryons XX (Cas 39), à celle d’une mère ne souhaitant que des filles (Cas 9), ou encore d’une mère grimaçant de déplaisir à l’annonce qu’il n’y avait pas de garçon.
Ces réactions " caricaturales " sont rendues possibles par cette annonce prématurée, ou non maturée du sexe des fœtus. Sexe que l’on connaît déjà sans avoir encore tenu l’enfant dans ses bras, c’est véritablement l’annonce du sexe des anges, selon le joli terme du docteur Bessis. (Bessis 80)
La très probable sur stimulation de la motricité des fœtus due au partage de l’espace clos utérin met particulièrement en relief les possibilités de nombreuses interactions entre fœtus. A un niveau plus méta psychologique, ces interactions alimentent dans les psychés maternelle et paternelle, des fantasmes de jeux voire de batailles, de lutte entre les fœtus. Les mères disent souvent ressentir leur ventre comme un véritable champ de bataille… (Cas 37, 26, 28)
Certaines mères parlent de leurs sensations avec des images fortes. Dans le cas 16, la mère ressent l’intérieur de son ventre comme griffé par le fœtus, dans le cas 28, elle a les côtes écartelées par un fœtus.
Ce travail d’humanisation des fœtus, qui est aussi fantasmatique d’une " socialisation précoce " entretient comme prêtes à l’usage des interprétations toutes particulières des situations pathologiques. Interprétations qui viennent se surajouter à la situation particulièrement douloureuse pour les parents d’une grossesse pathologique. Consciemment ou inconsciemment se met en place la représentation d’une rivalité entre fœtus, voire d’un fratricide dans le cas d’une mort in utero (Cas 10). La vivacité de ces fantasmes de lutte à mort entre les multiples se voit souvent alimentée par les dysfonctionnements réels du développement de certaines grossesses de monozygotes.
Nous avons insisté, dés notre introduction, sur les particularités de notre travail d’observation. Pour restituer ce travail, nous avons choisi de relater les moments forts du déroulement de l’examen retranscrit au travers de sa mise en scène, puis d’en faire un commentaire clinique. Nous appliquons cette grille sur 12 couples de notre échantillon.
Nous présentons 7 cas de grossesses spontanées assez librement inscrites dans la chaîne trans générationnelle. Nous présentons également 5 cas de grossesses par assistance médicale à la procréation (AMP), qui elles ne se trouvent pas confortées par une chaîne trans générationnelle. Nous verrons que ceci n’est pas un élément déterminant de l’accueil de la grossesse par le couple parental.
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
27 ans G triple MT
XX/XX/XX
Multipare, 1ère grossesse en 98 XX 1 fois
Non
Nous sommes à 35 semaines, c’est la dernière échographie, la mère est accompagnée de son mari
Scène 1 : Elle est très en forme, plutôt de petite taille et toute fine, avec son énorme ballon. Elle a bonne min, ils sont plutôt du genre " cools ". Elle m’explique que comme tout le monde est divorcé chez eux ils bénéficient de 8 grands parents, ce qu’elle trouve " pas mal dans le fond ". Elle vit très bien cette grossesse et me raconte " On préparait le petit deuxième après Alba et, voilà qu’ils sont trois ! Moi je ne suis pas inquiète parce que si c’est la nature qui l’a fait c’est que je dois pouvoir le faire quand même, sinon ça ne me serait pas arrivé "
Le père très jeune aussi, porte des pantalons complètement couverts de taches de peinture.
Je lui dis " Vous refaites la chambre des petits ? " Il rit. Ils ont l’air très tranquille.
Scène 2 : L’échographiste fait merveille, il arrive à mesurer les trois en un temps très rapide et finalement paraît très satisfait de leur croissance " Il y a encore pas mal de liquide amniotique, et ils commencent à atteindre une bonne taille pour des triplés, bravo ! "
Elle dit : " Alors celui du haut à gauche, c’est vraiment drôle qu’il soit le plus petit parce qu’il bouge tout le temps et franchement, c’est toujours lui qui commence la bagarre avec les autres. "
Nous rions de ces assertions maternelles. Elle aussi.
L’échographiste " Vous voulez savoir le sexe ? " Les parents unanimes : " non, non, on attend leur arrivée, de toute façon comme ce sont des vrais, ils ont tous le même… "
L’échographiste " Ah bon, c’est une monochoriale ? Je ne m’en souvenais plus "
Moi " Oui, dans le dossier, elle est notée monochoriale, triamniotique… "
L’échographiste " Eh bien dis donc, c’est plutôt rare votre scénario là ! "
Les parents rient, elle dit " Oui au début ils ont cru à une dichoriale et puis après ils ont tous été d’accord pour parler d’une monochoriale ! "
Nous commençons nos observations par ce cas très rare d’une grossesse spontanée triple monochoriale chez une femme jeune et pourtant multipare.
On sent la fierté de cette mère. " Moi je ne suis pas inquiète parce que si c’est la nature qui l’a fait c’est que je dois pouvoir le faire quand même, sinon ça ne me serait pas arrivé "
Elle vit cette maternité comme naturelle puisque spontanée.
Ses projections fantasmatiques sur la cohabitation des trois fœtus illustrent bien ce travail d’humanisation et de socialisation particulièrement présent dans la grossesse multiple. " Alors celui du haut à gauche, c’est vraiment drôle qu’il soit le plus petit parce qu’il bouge tout le temps et franchement, c’est toujours lui qui commence la bagarre avec les autres. "
Le couple revendique la possibilité d’être surpris par l’arrivée des enfants, ils ne veulent pas qu’on leur dévoile le sexe des enfants, ils attendent…
Nous verrons dans les cas suivants la rareté de ce type d’attitude, les parents cherchant plutôt à arracher au praticien des informations sur le sexe de leurs bébés.
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
33 ans GG MD
XY/XY
Primipare ; Utérus Distilbène 2 fois
Non
Nous sommes à 33 semaines, la mère est accompagnée du père.
Scène 1 : Il est petit, à lunettes, fait beaucoup d’humour à leur propre propos. Elle est aussi petite, un peu boulotte, très sympathique. Elle peste contre les médicaments qu’on lui donne et qui dit-elle la plonge dans un " cafard noir " et s’étonne de devoir prendre tant de médicaments pendant la grossesse.
Scène 2 : Elle se déshabille, se couche, suit attentivement l’échographie, d’un œil semble-t-il, déjà un peu exercé. Lui reste assis à sa place initiale près du bureau du médecin. Elle ne dit rien de particulier sur les jumeaux, cherche juste à savoir si sa perception de leur position est la bonne. Quand elle se relève, elle s’exclame " j’attends qu’ils arrivent, parce que maintenant que je ne peux plus bouger, qu’est-ce que je m’emm… ! "
Scène 3 : Ils racontent en riant s’être acheté en brocante, il y a quelques années, un magnifique landau de jumeaux façon année 50. Ils n’ont pu s’empêcher de faire le rapprochement avec la grossesse spontanée qui a suivi… Maintenant elle s’inquiète (toujours en riant) de regarder les poussettes pour triplés.
Nous sommes à 35 semaines, c’est la dernière échographie.
Scène 1 : Ils sont toujours tous les deux, elle rit en arrivant en disant " J’ai fini tous vos petits gâteaux dans la salle d’attente, je vous préviens ". L’échographiste " Voulez-vous que nous vous en apportions d’autres ? "
Le mari " Non, non, elle est capable de les manger aussi " Tout le monde rit.
La mère, caressant son ventre " Je vous annonce qu’on m’a enlevé mon cerclage jeudi dernier, donc je peux accoucher tout de suite peut être ? "
L’échographiste " Très bien, cela me rappellera le bon vieux temps ! Sinon vous devez vous sentir mieux, plus légère n’est-ce pas ?"
La mère : " Le fait est que cela tire beaucoup moins, cela me tirait beaucoup. Mais du coup je peux accoucher n’importe quand, c’est ce que m’a dit la sage-femme… "
L’échographiste " Non mais maintenant vous êtes sage, n’est-ce pas ? "
Elle : " Je ne bouge plus de mon lit, donc je suis très sage ! "
L’échographiste " Donc vous les mènerez à terme et vous étonnerez tout le monde, parce qu’il faudra vous déclencher l’accouchement " Elle rit, heureuse et surprise.
Scène 2 : Elle se déshabille et s’allonge prudemment, son poids la gêne, on la sent déséquilibrée par son ventre.
Le père vient s’asseoir à ses côtés.
La mère " Si je fais pipi sur votre siège, vous ne m’en voudrez pas trop ? ?.. "
L’échographiste rit en disant " Mais non, nous sommes habitués, je vous en prie… "
La mère " Il ne vous est jamais arrivé qu’une femme accouche dans votre cabinet ? C’est incroyable ! "
L’échographiste " En fait cela a bien failli m’arriver une fois, mais c’est tout ! Sinon ne vous inquiétez pas, nous sommes deux accoucheurs ici. Bon je vais essayer de voir quelque chose, mais ce n’est pas bien facile à ce terme-là. Je pense que je ne verrai pas grand-chose "
Elle rit " Je me sens comme un énorme rôti qu’on va préparer, remarquez que le moins qu’on puisse dire est qu’il y a à manger dans ce rôti ! " Nous rions tous.
L’échographiste dit " L’un est à droite la tête en haut et l’autre est à gauche la tête en bas. C’est une bonne position qu’ils ont trouvée là ! ".
La mère dit " Oui je les sentais comme cela " Elle suit les mesures avec distraction. Le mari est assis à côté et suit aussi les images sans rien dire. Brusquement elle dit : " C’est drôle, celui qui est à gauche me donne l’impression de griffer l’intérieur de mon ventre, mais vraiment carrément, comme s’il griffait la paroi intérieure ! C’est incroyable quand même ! "
Scène 3 : Elle se rhabille. L’échographiste leur dit que tout va bien
Elle caresse son ventre en disant " J’espère, parce que celui là (sa main est posée en haut à droite sur le ventre) ne bouge vraiment pas beaucoup. "
L’échographiste : " Mais vous savez que c’est une question de position en fait ? "
Elle dit " Oui " en hochant la tête avec un petit sourire. Elle a les mains posées sur son ventre et elle le caresse et le masse avec un grand sourire. Elle reprend " Vous rendez vous compte que j’ai pris trente kilos ! Heureusement j’approche du terme ! Quand je pense aux premiers rendez-vous, comme tout le monde a été inquiet et m’a moi-même inquiétée ! "
L’échographiste : " Oui, mais c’est normal, une gémellaire monochoriale, c’est déjà risqué, mais sur votre utérus, nous avions tous de quoi être inquiets !… Maintenant il ne vous reste plus qu’à faire à votre médecin le cadeau d’un déclenchement ! Là ce sera le comble ! Quel beau cadeau ! "…
La mère a commencé sa grossesse dans un climat fortement anxiogène et médicalisé, c’est une grossesse à risque. Elle parle de cafard noir et surmédicalisation.
Le couple se présente dans une grande complicité presque une homogénéité physique… L’anecdote du landau a un côté archétypal, qui indique une grande labilité dans l’association libre des souvenirs et leur intégration à l’histoire présente ou même à venir (triplés ….).
La mère est heureuse de voir ses sensations confirmées par l’échographie. Une grande spontanéité traverse toutes les scènes. Les mouvements émotionnels circulent rapidement et légèrement, avec humour. On voit une sorte d’aisance et de séduction dans les mouvements transférentiels qui n’excluent personne : le mari semble à l’aise, ni trop présent, ni dans l’indifférence ; la femme évoque ce qui lui passe par la tête avec un faible niveau d’inhibition " Si je fais pipi sur votre siège… je me sens comme un énorme rôti…. " l’échographiste répond de manière très détendue " cela me rappellera le bon vieux temps " .
Le naturel dans l’expression verbale permet à chacun de trouver sa place avec souplesse. On entend des manifestations réelles de fatigue, d’impatience grandissante de l’arrivée des bébés.
La volonté de différencier les fœtus n’apparaît pas très distinctement au cours des entretiens, ni non plus celle de les humaniser. Aucun récit de scènes fantasmatiques. Deux trois allusions rapides qui lui échappent à celui de droite qui griffe l’intérieur de son ventre, à celui de gauche qui ne bouge pas beaucoup, peuvent nous laisser supposer que l’aisance et la fluidité constatée dans les entretiens recouvre une inhibition plus profonde à l’égard de la maternité. Ce qui s’expliquer par le fait qu’elle est primipare et spontanément enceinte de vrais jumeaux.
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
31 ans GGDD
XY/XY
Primipare, Transplantation de 3 embryons, qui ont donné quatre sacs amniotiques et 5 œufs, dont une monochoriale. Réduction embryonnaire de 3/5 à 10 semaines, on laisse la DD 4 fois
Fivete
Nous sommes à 22 semaines, la mère est avec son mari
Scène 1 : Grande et jolie femme brune, très douce, d’abord simple, toute en noir. Elle parle doucement, avec beaucoup d’émotion et regarde souvent son mari. Lui est légèrement fort, très silencieux, il ne dit pas un mot pendant l’ensemble du rendez-vous et ne la regarde pas beaucoup. Elle garde un léger sourire heureux et doux, son émotion est simplement exprimée et circule en apparence avec beaucoup de fluidité. Elle, avec un sourire comme pour s’excuser : " C’est long un mois et demi sans nouvelle d’eux, on s’inquiétait, quand même ! "
Scène 2 : Elle se déshabille et s’allonge, suit attentivement les écrans. Elle demande au médecin si elle les sent justement positionnée l’un couché au dessus de l’autre. Elle rit très émue lorsqu’elle voit l’un des embryons agiter une main. Elle regarde son mari. Elle pose d’autres questions concernant leur position et afin de savoir si elle a raison quand il lui semble sentir une falaise se lever au milieu de son ventre et des précipices tout autour, comme si les bébés s’étaient retirés de cette partie de son ventre. Elle rit de ce qu’elle appelle ses inventions.
L’échographiste " Vous avez sûrement raison, vous êtes la seule et la mieux placée pour imaginer ce genre de scénarios. C’est tout à fait possible, c’est vous qui sentez ! ".
Elle regarde souvent et longuement son mari debout au milieu de la pièce. Lui ne la regarde pas, fixe l’écran mais réagit imperceptiblement à son regard. Elle sourit beaucoup, presque sans arrêt
Elle dit " Il y en a un qui bouge beaucoup. Je me dis que peut être ils se bagarrent déjà ! "
Elle sourit, rêveuse.
Scène 3 : L’échographiste leur dit que tout est normal. Ils paraissent tous les deux comme étonnés, émerveillés que ce soit si simple.
Nous sommes à 27 semaines , ils sont là tous les deux.
Scène 1 : L’échographiste : " Alors quoi de nouveau ? "
La mère " Tout va bien " Le père est toujours silencieux. Je ne crois pas avoir entendu le son même de sa voix.
La mère " Mon ventre n’a pas beaucoup grossi, ils se sont inquiétés à Necker d’un manque de liquide amniotique et ils m’ont donc surveillés beaucoup ces derniers temps "
Elle ajoute " Il y a quinze jours, je suis allé aux urgences parce que je ne les sentais plus, là ils m’ont fait une échographie et ils ont vu que tout allait bien ; simplement ils m’ont dit qu’il n’y avait pas beaucoup de liquide "
Scène 2 : Le mari est debout (comme la dernière fois), il décline l’invitation à prendre un siège et reste toujours silencieux. Elle est allongée et suit les écrans.
La mère " Il y en a un qui est très bas, je le sens qui appuie tout en bas "
L’échographiste " Oui et l’autre est très haut "
Il leur montre sur l’écran les deux têtes très proches l’une de l’autre : " Donc l’un a la tête vers le haut et le corps allongé vers le bas, l’autre a la tête vers le bas et le corps collé vers le haut ".
La mère " Oui, il y en a un qui me pousse sur les côtes comme pour les écarter " Elle sourit en rougissant légèrement, elle a des fossettes bien marquées de chaque côté de son sourire.
L’échographiste " L’examen est court parce que déjà c’est difficile de voir… Et puis nous avons bien vu la morphologie à 12 et à 16 semaines … Bon effectivement, il n’y a pas beaucoup de liquide "
La mère " C’est embêtant ? "
L’échographiste " C’est pour cela que vous ne les sentez pas beaucoup bouger, mais c’est assez courant à ce terme "
La mère " Si vous le voyez, pouvez-vous nous dire si ce sont bien deux petits garçons ? "
L’échographiste sourit.
Scène 3 : L’échographiste " En replaçant dans les courbes, on voit qu’il y en a un qui est plus gros, mais ça c’est normal, ils sont différents "
La mère " Oui, c’était déjà comme ça la dernière fois "
L’échographiste " Et là il y a un petit fléchissement de la croissance, donc je le note, parce que c’est important de le suivre ! Quand revoyez-vous l’obstétricien ? "
La mère " La semaine prochaine, mais de toutes façons, on m’a dit que maintenant il fallait que je sois surveillée à peu près tous les quinze jours ! "
L’échographiste " Oui, nous allons nous revoir, et surtout continuez de ne rien faire "
Nous sommes à 31 semaines, la mère est seule.
Scène 1 : D’emblée la mère nous dit " Là ça commence à devenir difficile, le poids et tout et tout… "
L’échographiste : " Oui c’est normal, vous arrivez dans la période plus difficile "
Effectivement on la sent beaucoup plus lasse, moins enthousiaste ; elle est toujours souriante mais son visage est tendu, le masque de grossesse lui tire les traits, on la sent fatiguée.
Elle dit " On m’a donné la valise à Necker, c’est bien "
Scène 2 : Elle s’allonge en disant : " Je n’enlève pas mes collants de contention "
L’échographiste " Non, non, ce n’est pas la peine "
L’examen est assez court, le délai depuis la dernière fois étant également très court, il ne s’agit que de prendre les mesures et surtout de bien vérifier les dopplers des bébés.
La mère " J’ai vraiment de plus en plus de mal à me déplacer, j’ai tellement pris de poids "
L’échographiste " On vous a dit que vous attendiez des jumeaux, c’est ça ? "
La mère rit " Quand même, je suis impressionnée "
L’échographiste " Ah oui, vous en êtes à combien ? "
La mère " Là j’ai pris 19 kilos, je crois "
L’échographiste " Oh ça va encore, c’est normal , je vous rappelle que vous faites deux bébés ! "
La mère rit " Oui je sais "
L’échographiste " Il est tendu votre ventre "
La mère " Oui j’ai eu beaucoup de contractions hier soir et dans la nuit "
L’échographiste massant le ventre " Eh bien il est encore bien tendu "
Scène 3 : L’échographiste pose les mesures dans les courbes et dit : " Nous sommes grosso modo dans la même évolution, toujours un léger infléchissement chez un des deux, mais qui ne va pas augmentant qui reste légèrement infléchi "
La mère " Oui c’était déjà le cas la dernière fois, rien n’a changé donc ? "
L’échographiste " Non, rien, le plus gros continue sa courbe et l’autre aussi avec une tendance à la baisse. Il faut surveiller cela pour éventuellement si cela prenait des proportions trop importantes les faire arriver plus vite, c’est tout "
La mère " Dans le fond si j’accouche dans un mois ça va ? "
L’échographiste reprenant ses calculs " Non, non, un mois cela vous ferait 35 semaines ça n’est pas assez, s’il y a un problème, nous provoquerons bien sûr mais s’il n’y en a pas il serait souhaitable de les garder encore un peu "
La mère " Oh moi je ne demande pas mieux que de les garder "
L’échographiste " Alors dans ce cas, misons sur le fait qu’ils doivent rester jusqu’au dernier moment parce qu’ils vont très bien vos petits, leur mobilité est bonne, tout est en place, non, ils vont très bien "
La mère " Et le liquide, il y en a toujours peu "
L’échographiste " Oui, toujours peu, mais ça n’a pas bougé, on ne peut rien en conclure pour l’instant… Et tout le reste va bien quand même "
Nous sommes à 33 semaines, elle est seule.
Scène 1 : Beau ventre très proéminent, elle a pris pas mal de poids, et ses traits sont toujours tirés avec un masque de grossesse bien marqué. La mère : " Il n’y a rien de bien nouveau, j’espère que tout va bien "
Scène 2 : La mère : Vous allez m’aidez à revoir leur positionnement parce que là je sens un cœur et on dirait que là c’est la tête, mais si le cœur est là, la tête ne peut pas être si loin, alors qu’est-ce que c’est que cette chose dure à droite ? "
L’échographiste : " Si vous avez raison, c’est la tête et là, c’est bien le cœur, c’est qu’ils deviennent grands vos petits… Oh regardez moi tous ces cheveux !"
La mère rit " Ils ont des cheveux vraiment ; oh ça c’est drôle mon mari est né avec plein de cheveux, moi un petit peu, ça c’est drôle alors ……. des petits tout velus "
L’échographiste rit aussi " je ne peux pas vous dire combien il y en a, mais en tout cas le fait est qu’il y a des cheveux visibles à l’écran "
Elle sourit. Elle est très silencieuse, un peu absente, rêveuse, le regard perdu dans le lointain.
Scène 3 : L’échographiste " Bon voilà qui est bien rassurant, les courbes ont bien augmentées et le liquide est toujours le même, alors ce qui était un peu inquiétant il y a 15 jours est tout à fait normal aujourd’hui "
La mère sourit, " Tant mieux si tout va bien "
L’échographiste " Vous ne reprendrez rendez-vous que dans 3 semaines, autour de l’accouchement, juste avant, c’est le mieux. Parce que si vous reprenez rendez-vous dans 15 jours, on sera trop loin de l’accouchement et finalement trop proche pour en refaire une nouvelle, donc le mieux c’est de trancher entre les deux "
La mère " D’accord, je n’y vois aucun inconvénient. Dans le fond ils vont arriver avant la fin de l’année, entre Noël et le jour de l’an, n’est ce pas ? "
L’échographiste " Oui, c’est probable, vous n’aviez rien prévu j’espère ? "
La mère sourit doucement " Il faut que je raconte à mon mari l’histoire des cheveux, il va vraiment rire ! "
Le cas est assez classique d’une mère dans une attitude de profonde transparence psychique.
L’examen échographique scande le déroulement de la grossesse : " c’est long un mois et demi sans nouvelles d’eux… " La mère évoque pourtant de nombreuses sensations physiques, qu’elle nomme " ses inventions " et qu’elle décrit de manière poétique " une falaise se lever au milieu de mon ventre et des précipices tout autour ". Cette comparaison pourrait être paradigmatique de son sentiment au cours de la gestation, la mère, falaise, entourée de précipices… Fragile rempart protecteur. On la sent un peu gênée de la prolifération de ses émotions et de ses fantasmes devant des hommes ou simplement devant autrui qu’elle ressent comme extérieur à la scène.
Elle vit sa grossesse dans une passivité qui n’est pas exempte de fragilité, elle répète à chaque séance " c’était déjà comme ça la dernière fois " et " tant mieux si tout va bien ". Dès que les perceptions physiques s’estompent, elle panique et va consulter l’hôpital en urgence.
Le transfert fonctionne, l’échographiste la rassure " C’est vous qui sentez " validant ce qu’elle nomme ses " inventions ". La mère dans un va-et-vient transférentiel avec le praticien demande systématiquement confirmation de ses sensations. La dernière séance est même typique, puisqu’elle introduit elle-même l’ordre de la séance " vous allez m’aider à revoir leur positionnement… "
Le père reste assez extérieur, mais se trouve régulièrement ramené dans la scène par la mère. Ici, le futur couple gémellaire agrandi la communauté des hommes, ils sont déjà typés socialement comme des hommes : " il y en a un qui bouge beaucoup. Je me dis que peut-être ils se bagarrent déjà "
Le mari absent resurgi à nouveau dans la libre association qu’elle fait de l’image des cheveux, signe reliant ses futurs garçons à leur père, les bébés ont des cheveux comme lui à sa naissance.
Cas
Age Gestation actuelle
Historique
Suivi
AMP
31 ans GGDD
XY/XY
Primipare, utérus Distibène 3 fois
IACIU
Nous sommes à 26 semaines, ils sont là tous les deux, père et mère.
Scène 2 La mère : " Je les sens très fort bouger ; je crois qu’il y en a un la tête en bas et l’autre la tête sur le côté "
L’échographiste : " Oui exactement, une présentation céphalique et une transversale "
La mère : " Celui de gauche bouge beaucoup, mais pour le moment je pense qu’il dort, dans peu de temps il va se réveiller et commencer à s’agiter "
L’échographiste : " Regardez, on dirait qu’ils jouent avec le cordon… "
La mère " Oui c’est parce qu’il n’y a pas grand chose côté jouets, donc on utilise ce qu’il y a… "
L’échographiste " Vous êtes arrêtée ? "
La mère " Oui, depuis le mois de septembre, mais bon j’étais quand même allée plusieurs fois à mon travail, ça fait tout drôle de tout planter là alors qu’on y est depuis 8 ans… "
Le père " Bon, celui qui bouge le plus c’est celui auquel vous avez attribué un placenta antérieur, n’est-ce pas ? "
L’échographiste : " Qu’est ce que vous me demandez exactement, je ne comprends pas bien "
Le père " Eh bien, nous essayons de nous repérer, si vous voulez. On cherche des prénoms et on aimerait bien déjà être capable de repérer A et B et de les reconnaître ensuite.. Dans le fond quand ils vont naître on ne pourra plus savoir qui était qui pendant la grossesse. "
L’échographiste : " A priori, celui qui est en présentation céphalique et dont le placenta est postérieur haut sera le premier à sortir, si vous n’avez pas de césariennes bien sûr… "
La mère " Pour le moment il n’en a pas été question, donc pas de raison de penser à une césarienne. "
L’échographiste : " Non aucune, mais cela changerait l’ordre de sortie "
La mère " Bon, on va essayer de se repérer quand même ! "
Nous sommes à 29 semaines, ils sont là tous les deux, père et mère.
Scène 2 : L’échographiste essaye de retrouver les deux fœtus comme ils étaient décrits dans le dernier compte-rendu pour suivre cette différence de croissance qui était apparue la dernière fois. Ils sont toujours dans la même position.
La mère : " C’est drôle parce que celui de droite, le plus gros a essayé récemment de se retourner, mais son frère l’a gêné et il a dû renoncer à le faire. Peut-être maintenant il va essayer de le faire par l’autre côté "
Le père rit à gorge déployée et s’excuse de nous gêner, mais " la vue de ses garçons l’a fait rire brusquement "
La mère " Ah c’est là que sont ses pieds ! C’est donc lui qui me pousse sur les côtes toutes les nuits ; il me fait un mal de chien à pousser comme ça ! On dirait qu’il voudrait les écarter… " Se tournant cers son mari " Tu te rends compte que sa tête est là et ses pieds ici, c’est incroyable, il est allongé tout du long en travers de mon ventre "
Le père rigole " Oui c’est sûrement lui avec que tu gigotes toute la nuit ".
Comme elle tourne un peu de l’œil l’échographiste lui propose de se tourner vers le côté.
Le père debout tout de suite lui tend le bras pour l’aider à se retourner.
Nous sommes à 35 semaines, ils sont là tous les deux.
Scène 1 : le père toujours en train de rigoler, elle aussi plutôt de joyeuse humeur.
Je demande comment se passe l’évolution de la croissance des bébés.
La mère " Oh là là celui qui était en retard a bien rattrapé l’autre, il l’a même dépassé, c’est lui le plus gros maintenant ! "
Le père " Oui celui qui était le plus petit, maintenant c’est le plus dissipé, le moins sage des deux "
Scène 2 L’échographiste : " Eh bien ça remue là-dedans, c’est le moins qu’on puisse dire ! "
La mère : " Effectivement, on vient de me faire un pelvi scanner et ça n’a pas été simple, parce qu’ils bougeaient tout le temps. Donc là ils vont continuer, bien sûr "
L’échographiste " Ecoutez, ils ont encore plein de liquide, pourquoi se gêneraient-ils ; c’est souvent ce qui arrive avec des bébés dodus, ils ont encore beaucoup de liquide à la fin du terme et ils continuent à bouger beaucoup, tout cela est très bien ! Il ne faut pas s’en plaindre, vous faites de très beaux bébés ! En plus ils sont tous les deux en transverse arrière alors, ils s’amusent bien "
La mère " Ah ça vous pouvez dire qu’ils s’amusent bien ! "
L’échographiste : " Qu’est-ce qu’on vous a dit ? Dans quinze jours à peu près, vous allez accoucher ? "
La mère " Non, on ne m’a rien dit du tout et moi je veux les garder encore pas mal, pas question de les sortir pour le moment ! ! "
C’est comme l’interne quand je suis arrivée aux urgences l’autre jour. Il me dit " Je ne veux pas vous accoucher ". Mais moi, j’ai répondu que je n’étais pas venue pour accoucher, mais au contraire parce que j’avais beaucoup de contractions douloureuses et très rapprochées, et que là-dessus je venais à l’hôpital pour prendre des calmants, pas pour accoucher, pas du tout ! !
Il ne comprenait rien du tout. Il me répétait " mais Madame, je ne veux pas vous accoucher "
Non moi je veux les garder encore un peu… Ils sont bien là, non ? "
L’échographiste " Oui, bien sûr mais dans trois semaines on ne vous les laissera plus, les bébés ne sont plus bien après un certain délai, ils sont mieux dehors "
La mère " Oui mais pour l’instant, ils sont mieux dedans "
Trois séances au cours desquelles se développent les différents scénarios projectifs d’humanisation des fœtus :
A 26 semaines, les scénarios de socialisation s’élaborent :
On est déjà dans la chambre des enfants, d’enfants qui jouent, qui font la sieste et qui se réveillent, les futurs parents " jouent aux parents " anticipant la naissance.
Ils tiennent beaucoup à différencier leurs bébés, à leur assigner des prénoms qui permettront d’écrire leur histoire intra utérine et d’établir une liaison entre la vie intra utérine et l’après naissance.
" Nous essayons de nous repérer, si vous voulez. On cherche des prénoms et on aimerait bien déjà être capable de repérer A et B et de les reconnaître ensuite.. Dans le fond quand ils vont naître on ne pourra plus savoir qui était qui pendant la grossesse. "
A 29 semaines, les scénarios de socialisation abondent :
S’agit-il de l’image échographique ou d’une projection paternelle sur ses futurs deux garçons ?
Les enfants ne sont pas encore nés que déjà on évoque leur présence oedipienne.
A 35 semaines, le couple vit déjà une vie de famille, avec évolution des caractère, rattrapage des retards,
enfants dissipés, etc. :
Ce tableau idyllique peint par les parents depuis la première séance se conclue naturellement par :
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
36 ans GG DD
XY/XY
Multipare 1ère grossesse en 85, fausse couche en 98 2 fois
Non
Nous sommes à 22 semaines, la mère est accompagnée du père.
Scène 1 : La femme est brune en robe rose, très élégante, maquillée, chargée de mission communication pour la ville de Paris. L’homme, jeans et chemise rose. Elle est volubile, dit que son gynécologue la mise en arrêt de travail, qu’elle souhaite connaître le sexe des bébés, surtout si ce sont des filles. Elle voudrait des filles, en tout cas pas de garçons... Elle a déjà une fille et pense que c’est plus facile. Lui aimerait bien un garçon quand même.
Scène 2 : Elle se déshabille et s’allonge, très jolie femme, fine, très féminine, prenant beaucoup soin de son corps. Elle est nerveuse. Son visage est tendu (comme si elle souffrait). Elle coupe souvent l’échographiste pour lui poser des questions, ne supporte pas bien le silence. Elle touche son ventre en disant qu’elle sent bien que l’un des deux bouge tout le temps. Son mari vient s’asseoir à côté d’elle, il lui prend la main, doux et tendre.
Scène 3 : Après un examen long et minutieux, l’échographiste dit avoir vu deux garçons. L’un des deux présente un petit problème, une formation multikystique abdominale bénigne, probablement une multikystose d’un rein. Il ne bénéficiera donc que d’un seul rein fonctionnel.
Les parents sont silencieux, très inquiétés par le diagnostic.
Après un temps de latence, ils demandent beaucoup de détails sur le type d’invalidation de l’enfant plus tard.
Lorsque L’échographiste lui dit qu’elle doit retourner dans la salle d’attente pour attendre son compte-rendu, la mère déclare que malheureusement elle ne peut pas attendre très longtemps parce qu’elle a un rendez-vous important qu’elle doit assurer. L’échographiste s’en étonne puisqu’elle s’est dit elle –même en arrêt de travail, elle sourit en disant qu’elle conserve malgré tout des obligations, vu ses responsabilités. Elle demande à son mari de rester pour recevoir le compte-rendu. L’échographiste leur dit de prendre rendez-vous dans trois semaines pour qu’il puisse suivre l’évolution du jumeau malade.
Nous sommes à 25 semaines de grossesse la mère est toujours accompagnée de son mari.
Scène 1 : Elle demande tout de suite à ce que l’échographiste confirme la position des jumeaux, qu’elle perçoit comme l’un occupant le bas du ventre, allongé la tête vers le haut ; et l’autre totalement à gauche, la tête en bas. L’échographiste confirme.
Le couple est calme ; ils disent s’être rassurés auprès de leurs collègues en échangeant des informations à propos de cette pathologie.
Le père a vérifié que son garçon pourrait faire du sport, parce que dit-il " J’étais inquiet à l’idée de le voir seul dans son coin, sans pouvoir jouer avec les autres. Mais je me suis aperçu que plein de mes collègues connaissent une situation semblable. "
Elle est toujours légèrement nerveuse et s’inquiète d’une éventuelle naissance prématurée, dit qu’elle n’a pas encore fait d’inscription en maternité. Elle envisage pourtant déjà une maternité avec un service de néonatalité, toujours à cause de cette éventualité de naissance prématurée.
Scène 2 : Elle s’allonge et présente encore ce visage crispé qui donne l’impression qu’elle souffre. Elle demande au médecin de bien voir leur position. Elle dit " Je ne peux pas me calmer ni rester tranquille à ne rien faire ".
L’échographiste " Vous ne faites pas rien mais plutôt vous faites deux bébés. "
Elle dit qu’elle ne peut pas rester allongée, et que rester toute la journée à la maison est pour elle synonyme d’ennui, c’est pourquoi elle fait des rangements dans sa maison.
Elle dit : " Par exemple, je tiens à aller à la campagne tous les week-end. Je m’ennuie déjà toute la semaine, quand arrive le week-end, j’ai besoin de bouger ! " Elle ajoute avec un air de défi qu’elle souhaite continuer à se rendre dans leur maison de campagne tous les week-end.
L’échographiste lui demande de quel trajet il est question, elle répond qu’il s’agit d’un trajet en voiture de 300 km.
Scène 3 : Elle se rhabille et poursuit son monologue sur la nécessité qu’elle a de bouger. Le père reste toujours calme. Il répète simplement " Tu sais ce que j’en pense, n’est ce pas ?"
La mère évoque spontanément ses sensations endo corporelles et demande que l’échographiste confirme la position des jumeaux . Elle nous dit préférer des filles, elle a déjà une fille et pense que c’est plus facile. Son désir est contrarié. Elle ne voulait pas de garçons, elle en attend deux.. Cette contrariété ne réapparaît pas au cours des entretiens.
Elle semble, d’autre part, connaître cette difficulté fréquente à l’état de grossesse : celle d’accepter un état de passivité . Elle dit " Je ne peux pas me calmer ni rester tranquille à ne rien faire ".
L’échographiste répond " Vous ne faites pas rien mais plutôt vous faites deux bébés. "
On sent une demande de type transférentielle de la mère vers le praticien, qui apparaît dans sa demande indirecte d’une caution médicale lui autorisant ses déplacements incessants, ou carrément une interdiction de type paternelle, le mari n’est pas entendu sur la question : " Tu sais ce que j’en pense, n’est-ce pas ? "
L’espace temporel entre la première et la deuxième séance nous laisse supposer un travail d’acceptation du handicap par le couple. Le père, dans une projection sur ses futurs bébés garçons s’inquiète d’une socialisation difficile du fœtus handicapé. " J’étais inquiet à l’idée de le voir seul dans son coin, sans pouvoir jouer avec les autres "
Nous remarquons chez la mère très peu d’évocations de vie intra utérine des fœtus, ni d’évocation de scénario les humanisant. Nous n’en saurons pas beaucoup plus sur cette patiente hospitalisée à partir de 30 semaines.
Cas
Age Gestation actuelle
Historique
Suivi
AMP
27 ans GGDD
XX/XX
Primipare, La patiente est enceinte de jumeaux à la suite d’un traitement de Clomid 3 fois
Clomid
Nous sommes à 21 semaines, la mère est accompagnée de son mari
Scène 1 : Ils sont là tous les deux, ils ont l’air très jeunes, l’un et l’autre.
L’échographiste demande si la grossesse est spontanée ou si elle a été induite, et la mère répond qu’on lui a donné du Clomid après avoir vu qu’elle avait un kyste de l’ovaire qui, lui a-t-on dit, allait l’empêcher de tomber enceinte.
Le père " Sinon, on voudrait bien savoir pour le sexe, je crois que là on peut voir maintenant "
Scène 2 : Le père " Pouvez-vous nous dire si vous voyez le sexe des bébés ? "
L’échographiste " Vous voulez vraiment savoir, le fait est que vous avez des jumeaux "
La mère rit " Oui on aimerait bien savoir "
L’échographiste " Ce sont deux filles a priori, vous êtes content ? "
Le père " Eh bien on voulait au moins une fille, on en aura deux c’est bien… Donc vous n’avez pas vu de zizi alors ?"
L’échographiste " Ah je ne suis pas d’accord avec vous, on est pas fille parce qu’on a pas de zizi, c’est autre chose dont il s’agit ! "
Le père " Bon, en tout cas, vous n’avez pas vu de zizi, ça c’est sûr "
Scène 3 : L’échographiste " L’examen a été un peu long parce qu’il est assez difficile "
La mère " Ah oui, pour des jumeaux, c’est forcément plus difficile ! "
Le père " Est-ce que ce sont des jumeaux qui se ressemblent ou pas ? "
L’échographiste " Je ne comprends pas votre question, elles vont se ressembler comme deux sœurs, c’est tout "
Le père " Non, mais moi, j’ai eu une copine qui avait une sœur qui lui ressemblait tellement qu’on ne pouvait pas les distinguer, je voudrais savoir si c’est le cas là ou pas ? "
L’échographiste " Ah oui, et que s’est-il passé ?… Silence, vous les confondiez aussi ? "
Le père " Absolument "
L’échographiste " On ne peut jamais connaître à l’avance le degré de ressemblance, vous le connaîtrez à la sortie… "
Ici la présence dominante du père masque complètement celle de la mère. Elle n’intervient pratiquement pas.
Cette mère est enceinte de deux filles, et le sexe est officiellement confirmé par le praticien.
Le père insiste à plusieurs reprise sur l’absence de zizi dans l’utérus de sa femme. Pas de concurrence ?
La problématique de différenciation indifférenciation apparaît brusquement chez le père. " Est-ce que ce sont des jumeaux qui se ressemblent ou pas ? "
Un contre-transfert se déclenche chez le praticien qui devient légèrement caustique. Les interventions dérapent et le contenu oedipien de la demande du père sur le sexe des fœtus dévoile peut-être sa peur de la confusion des figures féminines, évoquée par l’intermédiaire d’une " ancienne copine qui avait une sœur… "
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
31 ans GG DD
Multipare 1ère grossesse en 91 XY, 2ème en 95 XX,
3ème grossesse en 98 + IMG à 32 semaines1 fois
Non
Nous sommes à 28 semaines, elle est accompagnée de son mari.
Scène 1 : Elle est brune, petite, très ronde, avec son très gros ventre, habillée en jeans et grand tee-shirt blanc. Elle paraît plutôt en forme. Lui est barbu, assez élégant de sa personne, en cravate et costume gris clair, il paraît plutôt filiforme à côté d’elle.
Scène 2 : Elle garde son jeans, le baisse simplement et s’allonge. Elle suit l’examen, sans aucune manifestation d’anxiété. Le père se lève et s’assoit sur sa chaise à elle, c’est à dire qu’il reste près du bureau du médecin, ne vient pas occuper le tabouret jaune près d’elle, mais il a bougé et s’est rapproché un peu quand même.
L’échographiste : " Les deux ont la tête en bas, l’une à côté de l’autre. "
La mère : " Il peuvent encore changer de position n’est-ce pas ? "
L’échographiste " Oui mais il n’y a pas de raison… Il y en a un qui doit vous sembler avoir souvent le hoquet, n’est-ce pas ? "
La mère " Oui, c’est exact, bien qu’il soit difficile de qualifier toutes ces sensations. Normalement il y en a déjà beaucoup mais là, tout est doublé, alors vous pensez "
L’examen est long, minutieux, les parents sont tous deux silencieux, ne posent quasiment aucune question…
L’échographiste est interrompu par le téléphone et quitte la pièce.
Scène 3 : Nous restons seuls avec le mari, nous ne parlons pas. Elle revient et demande où il est. Son mari lui répond, elle s’assoit et attend dans le silence. Comme l’échographiste ne revient toujours pas, je demande " Les deux grands vont bien ? "
La mère " Oh oui, ils ont 8 ans et 4 ans "
Moi " C’est un garçon et une fille ? "
La mère, croyant que je parle des fœtus : " Oui, enfin c’est ce qu’il nous a dit, mais avec lui on ne sait pas vraiment, ça reste oral et c’est tout "
Le père " Oui, c’est vrai, c’était dit comme ça en passant "
Moi " Non, je parle des grands, ils sont contents ? "
Le père " C’est aussi un garçon et une fille. Lui est content "
La mère " Pour la petite de quatre ans, c’est un peu plus difficile. Et le fait qu’il y en a deux, ça non plus ce n’est pas facile "
L’échographiste, rentrant : " Bon, vous vous êtes là et moi je n’ai pas encore commencé les chiffres, évidemment… "
Quelques minutes plus tard : " Bien, tous les chiffres sont dans les courbes, tout va bien pour la croissance "
La mère " Il n’y a pas trop de liquide, parce que le gynécologue disait qu’il y avait peut-être trop de liquide "
L’échographiste " Non, tout est dans la normalité absolue. Je marque une très légère dilatation des intestins, ce qui explique qu’il ait toujours le hoquet, mais c’est tout. Je le marque pour pouvoir en suivre l’évolution plus tard, mais pour l’instant rien que de normal "
La mère " Vous parlez de celui de droite, n’est-ce pas ?
L’échographiste " Oui ! "
La mère " Donc du garçon ? "
L’échographiste " Si vous voulez " Ils rient.
La mère " Il faut encore combien de temps ? "
L’échographiste calculant " Encore bien deux mois "
La mère ouvrant de grands yeux " Encore deux mois ? "
L’échographiste : " Oui, pendant encore deux mois on va vous embêter pour que vous n’accouchiez pas, puis après, on va vouloir que vous accouchiez, c’est comme ça, on va même vous déclencher. C’est le paradoxe. "
La mère " Bon si j’accouche pour le 25 novembre, c’est bon ? "
Le père " Tu veux dire pour la sainte Catherine ? "
L’échographiste " Vous aurez un peu de mal à vous faire passer pour une catherinette mais qui sait, en mettant un chapeau. " Tout le monde rit
Le père " Oui , il tiendra tout seul, le chapeau "
La mère " Non, mais je ne savais pas que c’était le 25 novembre la Sainte Catherine… Mais le 25 novembre c’est bon ? "
Le père " Oui puisque tout arbre prend racine. C’est vrai j’ai planté un framboisier et ça a marché "
La mère " Oui, c’est vrai les framboises sont bonnes "
L’échographiste, " Non, le 25 novembre ça fait sept mois c’est trop tôt, c’est plutôt pour Noël ! "
Cas d’une grossesse qui suit très rapidement une interruption médicale de grossesse à 32 semaines après diagnostic par le même échographiste de spina bifida et myéloméningocèle.
La mère parle peu de ses sensations et paraît en douter, évoquant simplement une quantité doublée…Le mari reste à distance. L’anxiété affleure dans leur distraction à répondre à mes propos. Je parle des grands, la mère répond sur les fœtus. Tout est inquiétant le départ de l’échographiste, une phrase prononcée par le gynécologue " trop de liquide ".
L’anxiété s’affirme sur la confusion concernant la date du terme, celle choisie par la mère, comme bonne pour elle : la Sainte Catherine… la fête des femmes célibataires. Terme qui se rapproche aussi du terme catastrophique de la grossesse précédente (32 semaines).
Le narcissisme des parents a dû beaucoup souffrir de la grossesse précédente. Ils semblent tous les deux absents… présents dans la séance traumatique de l’échographie antérieure, même lieu et même échographiste.
Les images n’ont pas fonction de réassurance car le transfert ne fonctionne pas.
La mère " mais avec lui on ne sait pas vraiment, ça reste oral et c’est tout "
Le père " Oui, c’est vrai, c’était dit comme ça en passant "
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
36 ans GG DD
XY/XX
Multipare, 1ère Grossesse Gémellaire DD XY/XX par Fivete en 95 Acc à 30 semaines XY vivant XX MFIU, 3 FIV suivantes n’ont pas de résultats 3 fois
Fivete
Nous sommes à 18 semaines, la mère est accompagnée de son mari
Scène 1 Jolie femme, jeune, blonde et douce, quelque chose de fragile et de touchant. Elle est accompagnée de son mari. Il dit tout de suite " Alors cette fois-ci vous allez nous dire le sexe ? " La mère rit. Le mari est très volubile et parle avec précipitation.
Scène 2 La mère s’allonge. L’échographiste commence à parler et est tout de suite interrompue par la mère : " Je m’excuse mais avant qu’on ne commence, je voudrais savoir s’il est possible d’enregistrer une vidéo ? " L’échographiste répond rapidement que c’est impossible puis voit tout de suite une petite fille.
Le père : " Vous êtes sûre, montrez moi, je veux voir ! "
L’échographiste : " Là vous voyez ce petit signe égal, c’est un sexe de fille. "
Le père " C’est formidable, il y a une fille ! Est-ce qu’elle a assez de place ? Parce qu’on en a déjà perdu une… "
L’échographiste : " Je passe à l’autre, c’est un petit garçon, voyez là son sexe. "
La mère dit " C’est bien, un garçon et une fille ".
Le père : " On pourra revenir sur la sœur après, écouter son cœur ?… "
L’échographiste : " Plus tard, maintenant il faut que je fasse les mesures. "
Le père ne va pas cesser de l’interrompre, de demander à être rassuré sur la normalité des mesures que l’échographiste relève. Cette dernière va s’appliquer jusqu’à la dernière minute à rassurer le père sur l’espace dont bénéficie la petite fille. Elle finira l’échographie en faisant un tour d’horizon de manière à replacer les perspectives plus justement : le garçon est en avant du ventre, c’est pourquoi il paraît bénéficier de plus d’espace, la fille est plus bas, mais plus profondément enfouie dans le ventre, c’est pourquoi les images sont moins bonnes et elle paraît avoir moins d’espace. Mais ceci n’est qu’une illusion, : son espace est à peu près identique.
La mère paraît émue, plus silencieuse, elle ne fait aucune référence au deuil précédent, à la différence de son mari qui y revient plusieurs fois. Elle suit attentivement les explications de l’échographiste, mais paraît regarder plutôt les images (réactivité au profil, au pouce dans la bouche…,). Alors que le père suit les mesures et s’applique même à les donner avant l’échographiste.
Plusieurs fois il demande avec insistance de revenir sur la fille, d’entendre son cœur, de regarder son sexe. Il s’attache à vérifier qu’il y a bien deux bras, deux mains, deux pieds…
Scène 3 : Elle se rhabille. J’en profite pour demander comment va l’aîné.
La mère dit : " Très bien, il est né à six mois et demi, mais maintenant il va très bien "
Je dis " Bien sûr et par rapport à cet événement, comment le prend-il? "
La mère répond " Très bien, il attend ses frères et sœurs, maintenant il sera content quand il saura qu’il aura un frère et une sœur… "
Lui :" Oui, il aura son petit frère pour jouer et la petite fille elle est pour moi ! "
Je reprends " Lui aussi voudra sûrement jouer avec sa sœur ! "
Le père, riant, enjoué : " Non, non, la petite fille, elle est pour moi…. "
Nous sommes à 22 semaines, la mère est toujours accompagnée du père.
Scène 1 : Les parents sont calmes malgré le très grand retard de l’échographiste (1h30)
Nous sommes trois pour l’examen : l’échographiste, moi et un stagiaire en échographie. L’examen devient lourd avec toutes ces personnes autour du ventre de la mère. Il perd en intimité.
Scène 2 : La mère demande qu’on lui confirme que tout va bien. Elle dit " je sens beaucoup celui de droite mais pratiquement jamais celui de gauche "
L’échographiste " Je commence par situer les bébés, alors il y en a un à droite tête en bas vers la gauche et dos à droite et l’autre tête à côté de l’autre en transverse avec le dos à gauche . Je vais commencer par le bébé de droite, ne me dites pas le sexe, si on vous l’a dit laissez moi vous le confirmer.. Bon il semble que c’est une fille et je regarde le cœur, l’aorte, l’artère pulmonaire, (au stagiaire) tu vois tout ça ?"
Le stagiaire " Oui, d’accord pour l’aorte, mais je ne vois pas d’artère pulmonaire ! "
L’échographiste " Mais si là… "
Le stagiaire " Ah bon "
La mère " On m’a dit que les résultats des taux d’hormones étaient très élevés, qu’est-ce que cela veut dire pour la trisomie ? ... "
L’échographiste " Moi je trouve que ces taux sont inutiles à relever parce que pour les grossesses gémellaires tous les chiffres diffèrent, vous comprenez… ? Les taux sont toujours très élevés et ça ne veut rien dire, vous comprenez ? En tout cas elle bouge très bien "
Le père " Ah bon, parce qu’on s’inquiétait quand même ! Sinon ils ont assez de liquide ça va ?"
L’échographiste " Pour le liquide, je ne sais pas encore, pour le moment je prends mes mesures et je vous dirais après, n’est-ce pas ? Alors cette petite fille ! On attrape une jambe et là (au stagiaire), tu vois si tu prends un membre à la racine tu les gardes et tu t’efforces d’attraper l’autre, dans ce cas-là tu n’as pas besoin de chercher si c’est le gauche ou le droit, puisque tu vois les deux en même temps ! Tiens regardes les mains ! très bien !"
Le père " Oh on voit les deux têtes là ! "
L’échographiste " Non, moi je n’en vois qu’une… ah oui, mais moi je suis concentrée sur celle de la fille alors je n’avais pas remarqué l’autre… "
L’échographiste qui continue sa leçon en même temps : " L’estomac, la vessie, les reins ; les jambes, regardes cette belle jambe, ce bel angle, là on élimine le pied bot par exemple, avec un bel angle comme ça ! "
Le père " Ah bon ! Là vous êtes toujours sur la fille parce que la sonde est complètement à gauche du ventre, peut-être vous êtes sur l’autre bébé ! Et puis, il faut regarder les structures cérébrales parce qu’on ne les avait pas bien vu la dernière fois "
L’échographiste " Ah j’avais cru qu’on avait tout vu la dernière fois, toutes les structures sont là bien visibles en tout cas ne vous inquiétez pas… Non, je place la sonde là parce que c’est l’angle qui me permet de mieux voir la tête, mais je suis bien toujours sur la fille, ne vous inquiétez pas ! Bon je fais son doppler et puis on passe au bébé B, j’inscris B sur le tableau, parce que tu comprends le problème avec les jumeaux c’est qu’on peut ne voir qu’un bébé en croyant voir les deux, donc là je passe à B…. et j’efface le A…. bon je n’arrive pas à effacer le A… mais j’ai écrit le B quand même "
La mère " C’est celui que je sens le moins "
L’échographiste " Bien on dirait un garçon, bon tout est en place aussi, les bras, les mains, les jambes… les pieds ; la tête son doppler… Bien maintenant le doppler des artères utérines…. Bon je n’y arrive pas, je m’interromps pour faire le compte-rendu et reposer mon bras et puis je reprendrai après… "
Scène 3 : Elle change de pièce pour taper les comptes-rendus dans l’ordinateur, les bébés sont beaux 475g pour la fille et 525g pour le garçon, ils ont presque doublé depuis la dernière fois… Magnifique. Pendant ce temps là le père engage la conversation avec moi sur les jumeaux, moi j’élude et je demande des renseignements sur l’aîné.
Le père " oui bien sûr l’aîné, il a vécu cette chose douloureuse, ils étaient deux et puis maintenant il est tout seul… Bon il commence à exprimer qu’il est jaloux c’est sûr ! "
La mère " Oh oui maintenant c’est très net "
L’échographiste revient et fait les deux doppler des artères utérines. Elle finit de taper le compte-rendu et leur dit " Bon tout va bien, voici comment ils sont situés dans votre ventre et voilà d’un côté les photos du garçon à droite et de la petite fille à gauche. "
La mère " Vous n’avez pas vu la face de la petite fille, mais vous n’avez rien remarqué sur l’implantation des oreilles ou quelque autre signe "
L’échographiste " Ecoutez, Madame, nous sommes aussi préoccupés que vous des mêmes choses, je connais vos antécédents donc je sais ce qui vous inspire cette question ! Pour le moment ni moi ni ma collègue précédente n’avons rien vu nous faisant penser à une trisomie donc on continue la prochaine échographie les bébés seront encore assez visibles et par conséquent on vérifiera encore, mais pour le moment tout va bien "
Le père " Oui parce que l’autre grossesse aussi tout allait bien jusqu’à cinq mois et puis brusquement, pas assez de liquide et cet accouchement prématuré, heureusement que ça s’est passé ici sinon le garçon non plus n’aurait pas vécu… "
L’échographiste " Là je vous assure qu’il y a du liquide en quantité normale, et que tout va bien du point de vue de la croissance et de la morphologie des bébés, c’est le principal, je serais très contente si le hasard fait que ce soit moi qui vous fasse la prochaine échographie… A bientôt ! "
Nous sommes à 26 semaines, la mère est seule.
Scène 1 : Nous profitons d’un retard de l’échographiste pour parler un peu avant de passer en salle d’échographie et je lui demande comment va Matthieu et comment il prend cette prochaine arrivée. Elle me confirme qu’il a eu l’air perturbé mais que maintenant cela va mieux, parce qu’elle s’occupe à nouveau plus de lui, alors qu’elle l’avait un peu négligé ces derniers temps.
Spontanément elle me dit qu’elle ne relie pas cette grossesse à la précédente parce que dans la précédente elle n’a jamais senti qu’un seul côté bouger, alors que là elle est sûre de les sentir tous les deux bouger très activement.
Scène 2 : Nous lui demandons comment elle se porte physiquement.
La mère " Très bien, je suis contente parce que je les sens beaucoup "
Elle s’allonge. L’échographiste fait toutes les mesures et n’arrive toujours pas bien à voir l’image de la face de la petite fille. Elle voit son nez, sa lèvre supérieure et c’est tout. Elle doit même pour établir une bonne mesure du périmètre crânien passer une sonde endovaginale, car la tête de la petite fille est profondément enfoncée dans le bassin. Elle redemande plusieurs fois de voir les oreilles et s’inquiète d’un signe quelconque de trisomie.
L’échographiste la rassure en lui disant qu’elle n’a vu aucun signe inquiétant en ce sens.
Scène 3 : L’échographiste lui confirme que les mesures sont bonnes, que tout va bien, qu’ils poussent bien.
Nous sommes face à un cas particulièrement complexe avec trois séances d’échographie très chargées, dues nous semble-t-il à un deuil non accompli sur la précédente MFIU et à la répétition d’un même scénario de grossesse gémellaire bisexuée. Les réactions du père et de la mère sont différentes. La mère est assez effacée, alors que le père se met très en avant. Les attitudes des échographistes sont également très différentes et génèrent en retour des placements divers des parents. Ce qui nous montre bien le poids du transfert sur l’échographiste dans les effets d’annonce, que les nouvelles soient bonnes ou mauvaises.
On voit la première échographiste, en fin de séance, effectuer ce travail de rassemblement des fragments de discours et d’images dont parle Paul Denis, pour créer une image unifiée des deux fœtus. Elle me dit spontanément avoir été très angoissée par l’attitude du père. Elle dit regretter d’avoir tout de suite parlé de la petite fille. Nous nous demandons comment ils vont vivre jusqu’au prochain rendez-vous, elle me répond : " Vous savez, nous avons remarqué, nous, que les parents ne vivent que d’une échographie à l’autre. "
Sur un autre plan, nous retrouvons une attitude similaire à celle du cas précédent : Lorsque j’interroge les parents sur les réactions des aînés, on me répond sur la période de l’accident et non pas à propos d’un éventuel trouble présent.
La mère doute en permanence de ce qui lui est dit et de ce qu’elle ressent, à la dernière séance, sans la présence du père, elle finit par dire que, seul, le fait qu’elle les sentent tous les deux bouger, lui permet de dissocier cette grossesse de la précédente. Dans les deux séances antérieures, elle insiste toujours sur l’absence de sensations concernant le garçon, comme s’il devait maintenant lui arriver quelque chose à lui … Une réparation ?…
Elle demande une vidéo, une preuve ?… Elle se fixe sur un détail pseudo scientifique (les oreilles) pour exprimer la persistance de son inquiétude. L’attitude de la deuxième échographiste face à ces demandes réitérées, confine à l’agacement, elle sait ce qu’elle fait. Ici encore, le transfert semble défaillant et les images ne rassurent personne.
Le père très volubile se réfugie dans une attitude compulsionnelle. Il voit mieux que l’échographiste les mesures, les images et il arrive même à prendre ce dernier en défaut lorsqu’il voit deux têtes sur une seule image, alors que le praticien n’en a vu qu’une.
Il est encore plus violent dans l’expression du fantasme quand il dit de son fils qu’il est seul à présent, maintenant contre toute réalité la dyade non advenue. On peut supposer que l’image du fils recouvre en permanence l’image de la fille perdue, ce qui l’amène à cette expression crue " la petite fille, non, non, elle est pour moi "
Rappelant qu’ " ils en ont déjà perdu une ", il cherche toujours à revenir sur les images. Il est parfois à la limite de l’agressivité, dans la contemplation compulsive de sa fille et à la limite de l’intrusion, c’est-à-dire, à la fois s’introduisant sans aucun droit et par force, dans l’espace de l’échographiste.
Il ne cesse également de se préoccuper de l’espace dont dispose la fille, supposant implicitement que le garçon ne lui en laisse pas assez, comme lui-même, peut-être, exorcisant ainsi sa propre peur de lui-même mangeant tout l’espace de la séance échographique. Tout l’espace du couple ?…. Le couple gémellaire est projeté ici en miroir du couple géniteur…
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
36 ans GG DD
XY/XX
Algérienne, primipare, Stérilité primaire de 11 ans 1 fois
ICSI
Fivete
Nous sommes à 26 semaines, ils sont ensemble, le père et la mère.
Scène 1 Le père est grand et lourd, affiche un sourire doux et paraît très heureux.
La mère petite, forte, très sombre et paraît en contraste avec son mari, particulièrement renfermée et peu communicative.
Scène 2 Le père " Vous vous rendez compte, qu’est-ce qu’on a galéré pour les avoir et maintenant le choix du Roi ! Moi je n’aurais jamais cru que ça bougeait tant dans le ventre, des bébés, l’autre fois j’étais très étonné"
L’échographiste commence à faire son tour d’horizon et demande s’ils veulent une confirmation du sexe.
Le père dit " Oui ! "
La mère n’ouvre pas la bouche. L’échographiste me dira après l’examen qu’elle l’a toujours vu comme ça. On dirait qu’elle ne comprend pas le français, elle ne répond à aucune question. C’est toujours lui qui répond pour elle.
Dans le dossier, j’ai vu qu’elle était " professeur de supérieur " en Algérie et qu’ils étaient tous les deux au RMI maintenant en France. Elle me paraît extrêmement déprimée.
L’échographiste confirme la présence d’un garçon et d’une fille.
Puis elle va se concentrer sur le garçon, faire les mesures, les doppler…
Au moment où elle descend sur la fille, elle s’arrête sur son beau profil et dit " Regardez moi cette jolie fille, ce beau profil ! " Puis elle descend sur le cœur et là elle fixe son image longtemps, et tout à coup demande " Vous avez eu la grippe récemment, ou vous avez senti des modifications dans les sensations, non ? "
La mère reste silencieuse.
L’échographiste " Parce que, parce que le cœur de la petite fille a cessé de battre, mais c’est très récent, tout est encore en place, les images sont très belles, les organes sont parfaits, je ne vois aucune pathologie… Mais son cœur ne bat plus… "
Nous nous figeons tous dans un silence glacé, les mots raisonnent dans ma tête, je ne comprends pas leur sens. Je regarde l’image et je vois un cœur bien dessiné, les quatre cavités bien en place, il ne bouge pas !
L’échographiste " Ecoutez, j’aimerais pouvoir vous dire que je me trompe, mais je ne peux pas malheureusement, le cœur de votre petite fille ne bat plus "
Le père se penche et prend la main de sa femme, elle ne dit rien regarde d’un air hébété l’image, mais ne dit toujours rien…
Le père : " Mais quand même il y a une raison, sûrement, ça n’est pas possible quand même "
L’échographiste " Ecoutez oui sûrement mais moi là je ne peux pas la trouver car pour moi tout est en ordre "
Le père " Mais pour le garçon maintenant, comment ça va se passer ? "
L’échographiste " Ca ne change rien pour le garçon, lui va continuer à pousser et à se développer mais sa sœur, elle a déjà arrêtée ".
La mère ne dit toujours pas un mot.
Le père " C’était trop beau deux bébés, un garçon et une fille, vraiment c’était trop beau ! "
L’échographiste " Non, mais vous savez quand on a réimplanté des embryons, on en a replacé plusieurs, il n’y en a que deux qui ont pris, les autres ne se sont pas développés, là c’est un peu pareil sauf que c’est plus tard dans la grossesse. "
L’échographiste les envoie dans le jardin pour être
seuls. Elle appelle le chef de service et lui demande la conduite à tenir (CAT). Elle n’est pas sûre
de ce qu’elle doit leur dire : garder le fœtus mort ou l’évacuer ?
L’obstétricien répond que puisque ce sont des DC, il faut laisser la grossesse se dérouler
sans intervention. On peut proposer une échographie dans une quinzaine de jours pour rassurer les parents
sur le bon développement du garçon, quant
à la petite fille, on la retrouvera papyracée à la sortie.
On va voir les parents leur donner le compte rendu
Scène 3 : Le père " Vous savez quand on est arrivé en France, on ne pensait pas avoir jamais d’enfants alors… "
La mère a une larme qui lui coule sur la joue.
Le père " Mais le garçon ne risque rien, il ne risque pas d’être empoisonné ?
L’échographiste " Non, non il n’y a aucun risque, ils sont comme frère et sœur, c’est tout, pas plus "
Le père " Ah oui, ils ont chacun leur petite pochette, c’est vrai. Non mais c’est vrai, on y croyait plus nous à avoir des bébés " Il pleure.
La mère nous regarde d’un air éperdu.
Ils s’en vont.
Je dis à l’échographiste que je suis très inquiète pour la maman que je trouve très mal, en plus du traumatisme d’aujourd’hui je me demande comment s’est passée leur émigration, parce qu’elle est vraiment très déprimée.
L’échographiste " En plus, il faudra faire une césarienne, parce que la petite est en transverse devant le garçon, il ne pourra pas sortir tout seul " Elle part prendre sa patiente suivante.
Nous avons, dans ce cas particulièrement terrible, en plus d’une stérilité primaire de 11 ans, une dimension sociale difficile à évaluer : émigration, perte de statut social, isolement.
La technique d’AMP utilisée est lourde et a mis à mal le narcissisme du couple.
La mère est quasiment mutique (observation confirmée par l’échographiste qui la suit).
Le père est en sur investissement assez classique dans les cas d’ICSI. C’est lui qui réagit aux images.
Il dit " Moi je n’aurais jamais cru que ça bougeait tant dans le ventre, des bébés, l’autre fois j’étais très étonné ", propos unique, sur notre échantillon, venant d’un père.
La séance d’échographie dérape brusquement avec l’annonce d’une mort fœtale in utero inexplicable. Arrêt cardiaque de la fille. La mère hébétée devant l’image reste silencieuse. C’est à nouveau le père qui réagit, intervient, questionne : pourquoi, que va-t-il se passer ?… C’était trop beau…
Il évoque tout de suite le problème de la survie du garçon.
L’échographiste, troublée, doit consulter par téléphone l’obstétricien, ne sachant elle-même que répondre aux parents. Pendant ce temps, les parents sont livrés à eux-mêmes. Le père évoque une peur d’empoisonnement du fœtus vivant par le fœtus mort.
La réponse de l’échographiste est technique et n’évoque que la dizygotie ; elle ne prend pas en compte le phénomène de la gémellité " Ils sont comme frère et sœur, c’est tout " et les fantasmes de contamination du vivant par le mort.
La difficulté de représentation nous paraît double :
celle d’une mère qui porte ensemble dans son ventre un enfant vivant et un enfant mort ;
celle d’un fœtus garçon qui continue son développement à côté d’un fœtus fille qui régresse jusqu’à être papyracé.
La mère mutique à l’arrivée, hébétée au moment de l’annonce, est éperdue au moment de nous quitter.
Le père répète " Vous savez quand on est arrivé en France, on ne pensait pas avoir jamais d’enfants "… " on y croyait plus nous à avoir des bébés ".
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
34 ans GG DD
XY/XX
Multipare, 1ère grossesse en 93 3 fois
Non
Nous sommes à 27 semaines d’aménorrhées, elle est seule.
Scène 1 : Jolie femme, brune, pleine d’allant et de charme ; une grande simplicité…
Scène 2 : Elle se déshabille et s’allonge.
L’examen est rapide, parce que l’image est très claire, très nette, on voit excessivement bien les organes, les formes…
L’échographiste " Ils bougent bien vos petits, j’ai du mal à obtenir ce que je veux… "
La mère " Ne m’en parlez pas, ma fille est comme ça, c’est infernal "
L’échographiste la regardant " Les enfants font ce qu’ils veulent et c’est bien comme ça "
Scène 3 L’échographiste " C’est drôle, le garçon commence à prendre du poids nettement plus que la fille. "
La mère " Très bien une fille un peu plus fine c’est parfait "
Nous sommes à 32 semaines, elle est toujours seule.
Scène 1 : Elle est toujours aussi resplendissante.
Elle est un peu excitée et quand on lui demande si elle va bien, elle répond avec un grand sourire " très très très bien ". Effectivement elle porte cet énorme ventre avec une facilité éblouissante, presque avec grâce.
Scène 2 : Sa peau est très échogène et donc les images toujours très belles. Nous voyons les deux placentas accolés avec une membrane extrêmement fine entre les deux poches. L’échographiste enregistre ces images. Nous voyons ainsi longuement les deux fœtus interagirent l’un avec l’autre en déformant à volonté la membrane.
La mère : " Ils sont vraiment comme en train de jouer l’un avec l’autre
L’échographiste " Ou de se battre, qui sait ? "
La mère nous apprend que sa maman était sage-femme et qu’elle s’est sentie très à l’aise dans tout cet univers hospitalier qui lui rappelait l’univers de son enfance.
Nous sommes à 36 semaines, le père accompagne la mère.
Scène 1 : Ils sont là tous les deux… Lui assez effacé. Il ne parlera pas du tout, sauf pour dire quelque chose sur son métier dans l’édition, il est chargé de la commercialisation des images BD, le " merchandising ".
Elle parle, elle parle sans arrêt, raconte des anecdotes… Rit en prétendant vendre aussi des livres, elle est chargée de communication, mais peut vendre également son mari, si c’est nécessaire…
Elle reconnaît être un peu fatiguée, en avoir assez de les porter, avoir des difficultés à s’asseoir au volant de sa voiture…
Scène 2 : L’examen est rapide, juste pour confirmer la position des bébés. L’un d’eux, le garçon est tête en bas, ce qui réjouit beaucoup la maman, lui donnant la perspective d’éviter une césarienne.
Elle parle sans cesse. Le père regarde à peine les images et dit voir les bébés dans son imagination.
Scène 3 :
Les bébés vont bien, ils ont réduit le léger écart qu’ils avaient.
La mère " J’ai entendu dire que des jumeaux étaient nés avec une grande disparité
de poids : 2400g pour la fille et 3200g pour le garçon. Moi
ça m’inquiéterait qu’ils soient si différents. "
L’échographiste " Mais ils ne sont que des frères et sœurs, il faut les laisser être aussi différents que des frères et sœurs… "
La mère " Oui mais pas trop différents là ça fait beaucoup quand même "
Le placement dans le couple est le suivant : Le père ne veut pas regarder les écrans, il regarde les bébés à l’intérieur de lui-même. La mère réagit aux images dans une dynamique de transfert avec l’échographiste, cette dynamique circule sur le thème, " ils jouent / ils se battent " dans son ventre
L’axe gémellisation / différenciation apparaît avec les remarques : la fille doit être fine, mais pas trop différente du garçon. La différence entre fille et garçon est anxiogène, ce qu’on peut mettre en relation avec le placement original de ce couple. La femme avancée sur une position phallique, l’homme en retrait dans une position féminine, il regarde à l’intérieur de lui-même.
L’échographiste, comme dans le cas précédent, insiste sur la différence naturelle entre frères et sœurs, éliminant la fantasmatique gémellaire.
L’assurance de cette femme dans la gestation apparaît très rapidement comme reliée à un mandat trans générationnel, c’est celui de son enfance et du métier de sa mère, sage femme.
Cas
Age Gestation
actuelle
Historique
Suivi
AMP
37 ans GG DD
XY/XX
Multipare Congolaise, 1ère G Gémellaire en 86 + naissance prématurée à 33 semaines XY/XX, 2ème grossesse en 90 MFIU à 26 semaines, fausse couche en 91 1 fois
Non
Nous sommes à 28 semaines, elle est seule.
Scène 1 : La maman est une énorme noire, qui a le plus grand mal à se déplacer. Elle parle spontanément de la difficulté de cette grossesse.
Scène 2 : Elle s’allonge difficilement et demande souvent de pouvoir regarder l’écran. Elle se préoccupe du commentaire de l’échographiste, demande si on peut confirmer qu’il s’agit d’un garçon et d’une fille, elle a l’air très contente de l’apprendre à nouveau. Elle dit " C’est le papa qui va être content ! " Je lui demande quelle est l’opinion des jumeaux aînés, elle me dit " Eh bien, depuis le temps qu’ils attendent, ils vont être contents ". L’échographiste lui explique le positionnement des bébés, le garçon est en haut en transverse la tête à gauche, le dos vers la droite, la fille est la tête en bas
" Oui dans le bassin " dit la mère. Comme elle souffle très fort, je lui demande si elle trouve cette grossesse plus compliquée que la première, elle me dit que oui, qu’elle aurait dû la faire plus jeune. L’échographiste doit pratiquer à la fin une écho vaginale pour mesurer la longueur du col, et lui retire sa culotte. Elle enfonce la sonde vaginale ; le col est très court.
Scène 3 : L’échographiste lui donne de très bonnes nouvelles sur le développement des bébés, ils ont passés la barre des 800 g tous les deux. La mère réagit en disant " Ils ont doublé de volume alors, ça c’est bien ". Par contre, le col a diminué. Elle lui conseille de continuer à se reposer, pour tenir encore les trois mois qui restent. Spontanément la mère nous dit " Je n’ai pas trop de problèmes avec les jumeaux, c’est quand ils sont seuls que j’ai des problèmes "
Le cas montre, comme dans le cas 10, l’importance de la répétition d’une grossesse gémellaire bisexuée. Celle-ci fructueuse malgré l’arrivée avant terme des bébés (ils sont vivants).
La mère paraît raisonnablement inquiète, pose des questions sans vouloir maîtriser un savoir qui lui est étranger et, si elle ne mentionne pas du tout la mort du bébé il y a neuf ans., elle relie spontanément cette nouvelle grossesse à la première grossesse gémellaire, effaçant les échecs des grossesses de singletons.
Comme si elle ne savait faire que des jumeaux…
Cas
Age Gestation actuelle
Historique
Suivi
AMP
38 ans GG DD
XY/XX
Multipare 1ère grossesse en 93, inquiète, elle consulte pour une éventuelle AMP, la grossesse survient spontanément 1 fois
Non
Nous sommes à 27 semaines. La mère est là accompagnée de son fils.
Scène 1 : Très jolie femme, blonde, beaucoup de charme, visage très expressif, très extravertie.
Elle est directeur juridique d’une grosse société japonaise et vient d’avoir une promotion. Cette promotion, annonce-t-elle, explique qu’elle ne soit pas venue ces dernières semaines, alors que son gynécologue lui avait conseillé de faire cette échographie de contrôle il y a plus de cinq semaines. Elle en ressent une certaine culpabilité
La mère " Moi je croyais que j’avais des problèmes pour être enceinte, et puis j’ai fait une fausse couche, au début de l’année et juste après j’ai été enceinte des jumeaux. Alors qu’on était près de me faire des traitements pour stérilité.
L’échographiste " Et votre première grossesse ? "
La mère " J’ai été arrêtée vers six mois, pour menaces d’accouchement prématuré , non vers 5 mois et demi en fait… Et je suis restée allongée jusqu’au bout "
L’échographiste " Et là vous travaillez ? "
La mère " Ah oui, là je ne peux pas m’arrêter, à cause de cette promotion. Il faut que je tienne jusqu’aux premiers jours de janvier, après je serais déjà en poste, donc c’est possible, avant ce serait embêtant ! Je ne sais pas très bien pourquoi ils me font cette promotion maintenant, je récupère tout un nouveau service. J’imagine que c’est parce qu’ils veulent que je revienne après, sinon je ne comprends pas ! "
L’échographiste " Vous avez fait une amniocentèse ? "
La mère " Non, l’obstétricien n’a rien
vu aux échographies, enfin rien de ces signes inquiétants, donc il m’a dit que ce n’était
pas la peine. Et moi, je n’ai pas insisté "
L’échographiste " Vous ne vouliez pas ? "
La mère " On si moi je l’aurais fait, mais comme lui il n’a pas trouvé cela nécessaire, je n’ai pas insisté "
L’échographiste " Bien, je vous laisse cinq minutes et je reviens " Il sort.
Je reste seule avec la patiente et son fils, je m’approche d’Alexandre, le petit garçon de 6 ans : lui dit " Tu veux rester là, tu ne préfères pas attendre dans la salle avec les autres gens ? "
Lui " Non, je veux rester avec maman "
Moi " Tu veux peut-être dessiner, si je te donne des feutres et des papiers blancs, tu peux faire quelques jolis dessins… "
Alexandre " Oui, mais je veux du noir alors ! "
Moi " Ah ça, je ne suis pas sûre de te trouver du noir ; tiens voilà du rouge et du vert… "
Alexandre " je voudrais du noir, s’il te plaît "
Moi " Je vais essayer d’en trouver et je reviens "
Je sors prendre du papier blanc et reviens " Tiens voilà des feuilles, je n’ai pas trouvé de noir… désolée "
L’échographiste revient, l’enfant se met à dessiner.
Scène 2 : L’examen est long, compliqué car les fœtus sont déjà très gros et difficiles à cerner pour l’étude morphologique. L’échographiste passe beaucoup de temps en observation pure des mouvements cardiaques et vasculaires.
Alex regarde de temps en temps les écrans et le ventre dénudé de sa mère. Puis il continue de dessiner.
La mère " Tout va bien, ou vous voyez des problèmes ? "
L’échographiste " A vrai dire c’est difficile de voir maintenant ; je vais faire de mon mieux ! "
Il commence un Doppler, .
Le bruit fait arrêter le dessin de l’enfant qui lève la tête et regarde les écrans en écoutant ces battements sourds.
Il fait trois dessins différents.
La mère " On m’a dit qu’il y avait un garçon et une fille, vous le confirmez ? "
Alexandre lève la tête et dit " Je sais que c’est le garçon qui est le plus gros "
L’échographiste sourit et acquiesce. Il enfonce un peu la sonde comme s’il n’arrivait pas à établir ses mesures, la mère fait des drôles de grimaces qui indiquent qu’elle est mal à son aise. L’échographiste lui demande si elle se sent mal, elle répond que non que c’est lui qui lui fait un peu mal. Il dit qu’il a du mal à faire les mesures et qu’il va peut être devoir passer par voie endovaginale. Je lui glisse à l’oreille qu’il me prévienne parce que je tiens alors à ce que l’enfant sorte. Il renonce assez vite.
Scène 3 : L’échographiste montre les chiffres dans les courbes, les fœtus sont très proches l’un de l’autre.
La mère est heureuse, elle dit " Alors tout va bien ? Parce que j’étais inquiète quand même… "
En regardant les photos, Alexandre dit " de toute façon c’est le garçon le plus gros "
Alexandre a fait trois dessins. Comme il termine le troisième, je lui demande ce que c’est…
Il me répond très sérieux " c’est un arbre "
La mère " Oh ! mais c’est pas comme ça un arbre, il n’a pas de feuilles, pas de branches, on ne fera jamais de toi un peintre mon pauvre Alexandre "
Moi " Il est beau ton arbre, tout vert comme ça "
L’enfant me regarde.
L’échographiste " Et ça cette ligne courbe au milieu, c’est quoi ? "
Alexandre " Ca, c’est une ligne qui passe dans l’arbre, il y a plein de lignes dans un arbre ! "
Moi " Et les autres dessins ? "
La mère " Ca, c’est aussi des arbres sûrement "
Moi, montrant le premier " Ca c’est quoi ? "
Alexandre " C’est un bonhomme " Ci contre :
La mère " Ca un bonhomme ? Mais ca n’y ressemble pas du tout "
Moi " Quoique ! Donc ça ce doit être son corps n’est–ce pas ? "
Alexandre " Oui, exactement, et ça sa tête ! "
Moi " Et dans sa tête il y a quoi ? "
Alexandre " Ca ce sont des yeux, en fait il a trois yeux, non quatre " et il en dessine un quatrième.
Moi " D’accord un bonhomme à quatre yeux, ça c’est drôle alors "
Alexandre " Oui, c’est drôle hein ! "
Moi " Alors ça c’est son corps mais il n’a ni jambes, ni bras ? "
Alexandre " Oh zut j’ai oublié " et il rajoute des traits qui sont ses bras qui partent de la tête et un grand zigzag qui se prolonge jusqu’au milieu de la page… " Ca c’est les cheveux ! "
Moi " Bon, alors il est drôle ton bonhomme ; moi il me plaît bien, il a quatre yeux et ses bras partent de sa tête, très joli… et celui-là, c’est quoi ? " On voit deux blocs qui prennent toute la page avec des bulles rondes
dessinées dessinées dedans. Alexandre " Ca c’est des maisons "
La mère " Oh des maisons mais elles n’ont pas de portes ni de fenêtres tes maisons ? "
L’enfant regarde l’échographiste et dit " C’est pour lui "
L’échographiste " Merci beaucoup, il est très beau, je suis très content, je les range tu vois ? "
L’enfant " mais celui-ci, je ne l’ai pas fini, donc je le garde " et il garde celui de l’arbre et s’en va.
Il dit " Au revoir " sans se retourner.
L’examen se déroule en présence de son
fils aîné, c’est une illustration intéressante d’un rapport entre une mère et la fratrie
aînée, comme de la violence du vécu de l’enfant placé à l’intérieur de
cet examen.
Il interrompt son dessin lorsque résonnent les bruits des cœurs des fœtus et regarde l’écran. Quand sa mère évoque le sexe des fœtus, il s’identifie tout de suite au garçon en disant " Je sais que c’est le garçon qui est le plus gros "
La possible figuration du médecin - machine à quatre yeux, liées aux quatre écrans, et ses bras - sondes reliées à la tête, exprime bien le sentiment d’étrangeté qu’a ressenti le petit garçon. Peut-être s’agit-il encore des bébés et de leurs quatre yeux dans le ventre de la mère, maison sans porte ni fenêtres.
Les réactions de la mère aux dessins de son enfant fonctionnent en miroir de son attitude à son état de grossesse actuelle ; elle est très occupée, ne peut pas s’arrêter. Elle a des responsabilités professionnelles. Peut-être n’entend-elle pas faire profession de mère
On peut peut-être parler de déni de maternité : la manière dont s’est enclenchée la grossesse qualifie la cécité de la jeune femme à ses propres désirs. La promotion professionnelle, dont elle bénéficie à l’heure actuelle est déjà organisée en système de justification pour un retour rapide à une activité prenante après la naissance des bébés.
" Je ne sais pas très bien pourquoi ils me font cette promotion maintenant, je récupère tout un nouveau service. J’imagine que c’est parce qu’ils veulent que je revienne après, sinon je ne comprends pas ! " Pourtant elle est aussi inquiète : " Parce que j’étais inquiète quand même " dit-elle en s’excusant presque.