L’échographie obstétricale et les particularités de la grossesse gémellaire
Ses aspects historiques et techniques, y compris l’originalité d’une grossesse gémellaire
Le terme anglais SONAR vient de Sound Navigation and Ranging, son origine pourrait être très précisément datée de 1822, quand un physicien suisse, Daniel Colladen, utilise une cloche sous-marine dans l’intention de calculer la vitesse du son dans l’eau du lac de Genève.
Le système de détection sous-marin connaît un brusque développement après la catastrophe du Titanic en 1912 et plus particulièrement au cours de la première guerre mondiale à des fins militaires. En 1915, Paul Langevin et Constantin Chilowsky entreprennent le développement d’un puissant dispositif ultrasonore appelé hydrophone, dispositif qui est à la base du développement ultérieur de l’utilisation des ultrasons en médecine.
L’utilisation des ultrasons dans le champ médical est longtemps confinée à son application dans le domaine de la thérapie plutôt que celui du diagnostic. Ce n’est qu’en 1942 qu’une publication d’un neurologue psychiatre viennois, le docteur Dussik, aborde l’utilisation des ultrasons pour l’établissement d’un diagnostic. Il cherche à localiser des tumeurs cérébrales en mesurant la transmission des ultrasons à travers la tête. Son article " Hyperphonography of the brain " ne présente pas une réussite parfaite de la technique, mais provoque un regain d’intérêt pour cette technique, en particulier aux Etats-Unis. Après la seconde guerre mondiale, les travaux de John Julian Wild se fondent sur une méthode de diagnostic des tissus étudiés, selon l’analyse des différents échos renvoyés par les ultrasons. En 1953, son équipe présente les premières images en temps réel d’une tumeur cancéreuse de 7 mm localisée dans la poitrine. Ils inventent alors les mots échographie et échométrie.
L’application de ces nouvelles techniques dans les domaines spécifiques de la recherche en obstétrique et gynécologie se développe d’une manière spectaculaire tout au long des années cinquante. En 1959, un obstétricien chercheur anglais Ian Donald prétend pouvoir obtenir de clairs échos en provenant d’une tête de fœtus et la céphalométrie du fœtus devient une méthode standard pour l’étude de la croissance fœtale. Il est, dès lors, possible d’établir l’étude systématique du développement de la grossesse de son commencement à sa fin et d’en diagnostiquer les multiples complications ; bénignes comme la gestation de plusieurs fœtus ou graves telles les différentes anormalités du fœtus.
En France, l’échographie est introduite en médecine au début des années 70. Il s’agit alors d’une technique utilisée essentiellement par quelques radiologues et obstétriciens.
Au départ, les radiologues dans leur ensemble ne s’y sont pas intéressés, et c’est ce qui explique qu’en 1985, 80 % des échographies sont réalisées par des non radiologues. Cette tendance s’est, depuis, largement corrigée en raison de l’évolution de l’imagerie et de l’apparition de techniques nouvelles. En effet, tout au long des années 60 et 70, l’évolution technique continue de progresser, perfectionnant la précision et la qualité des images et permettant une nette amélioration de la maniabilité des sondes échographiques. L’augmentation de la rapidité d’analyse électronique de la réflexion des faisceaux d’ultrasons orientés vers les tissus et de leur transformation en imagerie ou la mise au point d’une sonde endo vaginale ou trans vaginale, importante pour diagnostiquer des pathologies gynécologiques, participent de cette évolution.
Les années 90 voient simultanément de très grands développements se réaliser dans des domaines technologiques très proches : téléphones cellulaires, micro-ordinateurs, image de haute définition ; ces avancées technologiques engendrent une baisse sensible des coûts de l’ensemble de l’appareillage électronique et favorisent la généralisation de l’échographie obstétricale. Le prix d’acquisition moyen (Haehnel 1997) d’un appareil d’échographie est passé de 450 000 francs en 1993 à 378 000 francs en 1996.
Cette progression constante aboutit à un véritable envol de l’utilisation de l’échographie obstétricale. Pour reprendre les termes du docteur Bessis : " L’exploration ultrasonore révolutionne l’art obstétrical et apparaît chaque jour plus riche " (Bessis, 1980) et selon Luc Gourand, on peut dire qu’aujourd’hui " la France a la particularité d’être l’un des pays d’Europe où l’on pratique le plus d’échographies prénatales. " (Gourand, 1999). Le rapport du Conseil National de l’ordre nous donne les chiffres suivants : 34 % en Allemagne, 17,8 % en France, 17,1 % en Italie, 6,3 % au Benelux, 5,7 % au Royaume-Uni, 4,4 % en Espagne et 4,1 % en Scandinavie (Haehnel 1997). Selon ce même rapport, 20 millions d’actes échographiques sont réalisés en France chaque année, 42,7 % par des gynécologues obstétriciens, 24 % par les praticiens en recherche fœtale.
Nous apprenons, au cours de nos lectures de publications concernant l’échographie, que l’examen échographique est " opérateur dépendante " mais également " appareillage dépendante ". Le développement de la technique, son caractère affirmé non invasif, permettent en effet à tout médecin de la pratiquer librement. Mais à la différence du scanner et de l’imagerie par résonance magnétique qui produisent des documents reproductibles et sur lesquels un diagnostic est possible par d’autres praticiens, puisqu’il s’agit d’un document unique et non altérable, l’échographie doit d’abord être réalisée avant de pouvoir donner lieu à interprétation, le médecin qui la pratique est au contact même du patient. Ainsi la qualité de l’examen est d’autant plus grande qu’il est réalisé par des praticiens d’expérience utilisant des appareils de haute performance. Si l’échographie est un véritable acte médical, elle est également un examen technique très difficile à pratiquer.
A ses débuts, cet examen clinique se contentait d’une localisation du bébé et du placenta et d’une vérification des battements du cœur ; ensuite s’installe la pratique de la biométrie qui construit des mesures du corps et des courbes standardisées de croissance ; enfin, dernièrement, se met en place l’aspect morphologique de l’examen, où l’on visualise et l’on examine patiemment la structure et le fonctionnement de chacun des organes des fœtus. Cette échographie obstétricale se déroule à trois reprises lors d’une grossesse simple : à 12 semaines, à 22 semaines et à 32 semaines. Dans le cas d’une gestation multiple, on recommande d’en pratiquer cinq à 12 semaines, à 22 semaines puis toutes les 4 semaines jusqu’à l’accouchement pour surveiller de près cette " grossesse à risque ".
Cette première échographie autour de 12 semaines d’aménorrhées (deux mois et demi de gestation) sert à vérifier le nombre d’embryons, à déterminer son emplacement, apprécier sa mobilité spontanée, et son activité cardiaque. On localise également l’implantation du placenta. La biométrie présente quelques chiffres : diamètre bi pariétal, abdominal et longueur fémorale. On commence un premier bilan morphologique pour éliminer certaines malformations : on vérifie l’épaisseur de la nuque, qui, à ce terme de la gestation, est un signe d’appel. Le signe d’appel en imagerie médicale provoque tout un débat éthique. Luc Gourand (Barchewitz et Al, 1999) en a donné une bonne explication dans le glossaire de l’ouvrage collectif consacré à l’échographie de la grossesse, explication que nous reprenons ici : " Au fur et à mesure des progrès en imagerie et en diagnostic échographique, les praticiens les plus avancés ont publié des observations de plus en plus fines mettant en valeur des images d’abord peu évidentes mais qui pouvaient être constatées et retrouvées une fois qu’on savait ce qu’on cherchait et pourquoi on le cherchait… Une mesure anormale de la clarté de la nuque, par exemple, si elle est effectuée dans de bonnes conditions à douze semaines est un bon marqueur de risques d’anomalie chromosomique… Mais ces signes sont dangereux, car ils ne sont pas spécifiques, ce ne sont pas des diagnostics, et surtout ils posent le problème difficile des limites… un peu au-dessus de la limite supérieure amène à poser l’indication d’une amniocentèse… "
On établit une liste plus ou moins longue et précise des organes vérifiés, liste qui varie selon les échographistes : l’estomac, les champs pulmonaires, la vessie, le rachis, les ventricules cérébraux, les segments de membre, le placenta, le volume amniotique. On cherche la présence d’images qui deviennent suspectes par une échogénicité trop forte.
Enfin, on reporte sur des courbes standardisées les mesures prises au cours de l’examen, pour suivre le bon développement de la croissance du fœtus. Cet aspect prend une importance particulière dans les gestations de multiples, puisqu’il sert également à comparer le développement d’un fœtus par rapport à l’autre ; le fait qu’ils se développent d’une manière parallèle est très importante pour les médecins et toujours d’un bon pronostic. Même s’ils sont petits ou gros ou maigres, le fait qu’ils se suivent de près est systématiquement vérifié. Idéalement, l’échographiste souhaite trouver des mesures à peu près identiques pour des jumeaux que s’il s’agissait de deux singletons. Selon le docteur Bessis (Bessis, 1991) : " Les courbes établies pour les grossesses mono fœtales sont parfaitement adaptées pour la surveillance des grossesses gémellaires ".
Toujours pour les mêmes raisons et dans les cas de gestation multiple, certains échographistes apprécient le fait de pouvoir pratiquer une échographie de contrôle supplémentaire à 17 semaines.
La seconde, autour de 22 semaines (cinq mois de gestation), est plus couramment appelée " morphologique ", car elle sert véritablement à dépister les malformations ; les différents organes du fœtus sont alors particulièrement bien visibles. On vérifie toujours sa mobilité spontanée et son activité cardiaque. Dans le chapitre biométrie, on rajoute aux diamètres bi pariétal et abdominal et à la longueur fémorale, la longueur des pieds, la dimension des os propres du nez, le diamètre inter orbitaire, la largeur du cervelet.
Mais l’aspect de l’étude morphologique prend ici un développement très important Tout est examiné sous plusieurs angles : écho structure, volume, fonctionnement. On traque l’anomalie et les aspects suspects. On relève aussi bien des détails sur les quatre cavités cardiaques, sur les appareils valvulaires, les gros vaisseaux, les artères ombilicales, la ligne médiane, le cervelet, la position des doigts et leur motilité.
On pratique parallèlement un examen complémentaire : le Doppler, qui analyse la vitesse de circulation du sang dans les artères utérines de la mère et dans le vaisseau ombilical du fœtus. Cet examen complète l’approche morphologique en donnant de précieuses indications physiologiques.
Dans le cas d’une gestation gémellaire, tout est en double, il s’agit d’examiner deux fœtus et non plus un, cela explique que le temps d’une échographie de jumeaux soit presque double de celui d’une échographie d’un singleton. A partir de cette échographie, dite aussi échographie du second trimestre, le bon développement des multiples sera suivi toutes les quatre semaines environ : 26 ou 27 semaines ; 30 ou 31 semaines, 34 ou 35 semaines.
Pour les grossesses simples, la troisième et dernière échographie, réalisée peu avant la fin du terme, autour de 35 semaines d’aménorrhées (huitième mois de gestation), sert principalement à donner des éléments pour préparer l’accouchement. Par exemple : appréhender le plus précisément possible la position du fœtus, c’est-à-dire s’il se présente en siège, en présentation transversale ou céphalique, etc. L’aspect et la situation du placenta. Le bien être du fœtus est examiné toujours à travers sa motilité spontanée et la quantité de volume amniotique dont il dispose encore. Les aspects bio métriques de l’examen permettent de donner quelques éléments sur le poids qu’aura probablement le bébé à sa naissance.
Les grossesses multiples seront, elles, suivies régulièrement chaque mois, à compter de la vingt-deuxième semaine. En effet, les risques de mort fœtale in utero sont nettement plus élevés dans le cas des grossesses multiples, une surveillance très rigoureuse doit être engagée dès le cinquième mois de gestation. Les deux échographies supplémentaires de 26 et 30 semaines gardent une orientation morphologique très importante, toujours dans l’idée de traquer les anomalies, mais relèvent surtout d’une stricte surveillance bio métrique du développement de chacun des fœtus. Selon Catherine Tchobroutsky (Tchobroutsky 1991) la surveillance par échographie est primordiale pour les grossesses multiples " Elle permet de surveiller la croissance, la quantité du liquide amniotique dans chaque poche, les mouvements actifs et éventuellement de dépister un début d’anasarque . Surveillance du rythme cardiaque fœtal, comptage des mouvements actifs ".
Dans notre introduction, nous avons rapproché didymologie et tératologie, parce que par son origine même, la grossesse multiple est considérée comme anomalie de la gestation humaine. Si l’œuf humain fait partie de la catégorie des œufs dits polyembryoniques, soit à partir desquels plusieurs individus peuvent se développer, son développement naturel reste très rare : 1,5 % du total des naissances (Encyclopaedia Universalis, 1999). Biologiquement on parle d’anomalie des sécrétions hormonales pour les " faux jumeaux " ou d’anomalie par inactivation d’un chromosome de l’œuf pour les vrais jumeaux, mais toujours d’anomalie.
Nous avons développé en annexe des textes expliquant l’origine et la détermination des grossesses multiples, leur placentation spécifique, l’évolution de la physiologie maternelle au cours de la gestation, ainsi que l’augmentation de la fréquence des diverses pathologies.
Les potentiels pathologiques accrus des grossesses multiples
La survenue prématurée de l’accouchement est, selon le professeur Papiernik, la complication principale de la gémellité. Nous avons rencontré à de nombreuses reprises cette menace d’accouchement prématuré dans les grossesses multiples, soit simple menace, soit comme antécédent traumatique déjà inscrit dans l’histoire du couple parental en particulier chez des couples ayant régulièrement recours à l’assistance médicale à la procréation pour concevoir leurs enfants.
Le retard de croissance in utero (RCIU) est la deuxième grande cause de gravité après la prématurité de la grossesse gémellaire
Les complications dues à une séparation insuffisante des jumeaux : syndromes transfuseurs transfusé, siamois ou fœtus in foetu. Nous rappelons ici la phrase célèbre d’Etienne Wolff : " Si l’on peut parler de réussite dans l’anormal, on peut dire que les jumeaux sont des monstres doubles qui ont réussi à rejoindre le normal "
L’hydramnios aigu est la cause la plus fréquente des avortements du second trimestre en cas de grossesse gémellaire.
Mort in utero d’un jumeau : Sa fréquence est supérieure à celle notée au cours des grossesses uniques et plus élevée dans les grossesses monozygotes que dans les grossesses dizygotes.
Cet aperçu biologique et médical, s’il est loin de tout aspect psychologique, se doit d’être exposé avant toute réflexion sur la grossesse gémellaire. En effet, la mère, portant une grossesse gémellaire, se trouve imprégnée par le discours scientifique médical dès le début de sa gestation. Soit parce que l’origine de sa grossesse n’était pas spontanée et le parcours d’assistance médicale à la procréation l’aura familiarisée avec toutes ses notions, soit parce que, même dans un cas de grossesse multiple spontanée, la prise en charge classique de ces grossesses se trouve systématiquement médicalisée. Les obstétriciens, rappelant leur formule de grossesses multiples = grossesses à risque, revendiquent ouvertement ce processus de médicalisation, en insistant sur son caractère préventif. Ils vont même couramment jusqu’à le trouver insuffisant. Nous avons, par ailleurs, pu constater les revendications de certaines mères à comprendre et s’approprier ce discours, essayant de faire face aux montées d’angoisse qui accompagnent les menaces de dysfonctionnement dans la gestation. Ici le discours scientifique rassure ou anesthésie.