Bonjour,

Juste une petite nouvelle (qu'on dira policière) pour le plaisir de tous et pour tester mon "FrontPage Express". Pour vous encourager à la lire, et uniquement pour cela, je précise qu'elle a été sélectionnée au concours de St Nazaire en 1996.

 

 

 

Concours macabre

 

C'est une catastrophe!... Ca ne fait pas six mois que j'ai cette voiture, Monsieur l'agent... Enfin, Monsieur le gendarme... Ca sonne drôle, non, Monsieur le gendarme... Finalement, je crois que je vais vous appeler Monsieur... finalement... Une voiture quasiment neuve, vous rendez-vous compte? Et je ne l'ai pas achetée, je l'ai gagnée... Et je vais vous dire autre chose: je ne pense pas qu'il s'agisse d'un défaut de fabrication... Ce serait plutôt... un avertissement... Comment?... Non, je n'ai pas parlé de sabotage. Cette voiture m'a donné un avertissement... La prochaine fois, elle me précipitera sur un poids lourd lancé à pleine vitesse.. Non, je ne suis pas saoûl, Monsieur l'agent... Et puis, tenez, vous tombez bien, il est grand temps que je me constitue prisonnier si je veux un jour retrouver l'usage du sommeil. Alors, écoutez moi bien, et préparez une paire de menottes pour tout à l'heure.

Tout cela est arrivé à cause de ce fichu concours organisé par la Gazette de Montpellier. D'ordinaire, je ne suis pas très joueur, mais cette fois, je ne sais pas pourquoi, je me suis laissé tenter. Il s'agissait de découvrir, à l'aide d'indices paraissant chaque semaine dans la Gazette, un trousseau de clés dissimulé quelque part dans la ville, les clés d'une voiture flambant neuve. Je ne me souviens plus du premier indice, probablement sans intérêt. C'est le second qui m'a mis sur la voix: "La clé s'ennuie le dimanche". J'ai tout de suite pensé au Jardin des Plantes. J'ai si souvent déploré que ce merveilleux endroit fût fermé le dimanche! Dès lors, je me suis mis à le parcourir de long en large dès que j'avais une heure devant moi. Les indices suivants n'ont fait que confirmer ma première idée. Il y était question d'Henri IV, le fondateur du Jardin, ainsi que de Louis XIV et de Jacques d'Aragon dont les statues ne sont pas loin. On y disait également que la clé était sous la protection de doctes professeurs. Bien entendu, il a fallu attendre la dernière semaine pour rentrer dans le vif du sujet: "Là où elle est, nous disait-on, la clé est toute embuée d'amour"...

Je vous ennuie, hein, avec mon concours pour retraités oisifs. Tant pis... En tous cas, pour votre avancement, il vaudrait mieux que vous ayez la patience de m'écouter jusqu'au bout... "Toute embuée d'amour"! Pour le moins énigmatique, non? Alors , je suis allé voir mon grand-père. On peut dire sans exagérer que ce vénérable vieillard sait tout sur Montpellier, depuis le parachutiste suicidaire de la Tour de la Babotte jusqu'à l'histoire de la maison du fou, en passant par la légende de la Tour des Pins. Il a pas hésité une seconde. C'est la Boite aux Lettres, m'a-t-il dit, le Pillyrea; Une espèce d'arbuste monté en arbre et dont le tronc comporte d'innombrables cavités. Les jeunes filles amoureuses y laissaient leurs messages. D'après le réglement, la clé ne devait se trouver dans sa cachette qu'à partir du 15 Juin. J' en ai conclu que quelqu'un l'y placerait le 14 et qu'il y aurait une sérieuse file d'attente le matin, à l'ouverture du parc. J'ai donc décidé de faire le mur vers minuit. J'en avais le feu aux joues depuis mon départ de la maison; En quarante ans, je n'avais jamais rien fait de plus répréhensible qu'acheter ma vignette avec un jour de retard.

Me voilà donc enjambant l'enceinte du jardin J'ai atterri près de l'une des serres, celle qui jouxte l'Orangerie. Bien sûr, je me suis esquinté la cheville, c'est vous dire si je suis un piètre monte-en-l'air. Tout avait l'air calme. Malgré ma douleur à la cheville, je me suis mis à trottiner vers la "boite aux lettres". J'avais à peine fait vingt mètres que j'entendis un bruit étrange. Le bruit d'un homme qui bêche son jardin. Quoi de plus naturel, me direz vous, lors d'une chasse aux trésor, mais quand même, je n'en menais pas large... Je m'étais réfugié derrière un arbuste dont j'ignorais le nom.

Apparemment, il y avait là un type prêt à retourner à la bêche le Jardin des Plantes de Montpellier et ce avant le lever du jour, autant dire prêt à tout. D'un autre côté, je savais bien, moi, que la clé n'était pas enterrée. Il n'était pas près de trouver. Je n'allais quand même pas capituler devant un simple d'esprit qui en était encore à chercher une aiguille dans une botte de foin. Je tentais donc de rassembler mon courage. Le mieux était de contourner l'obstacle, de s'emparer du trousseau et de sortir de cet endroit le plus vite possible. Seulement voilà, ça supposait de revenir sur mes pas pour faire le tour de l'orangerie. Un trajet interminable, alors que mes jambes flageolaient déjà, et qui m'obligerait à tourner le dos à mon concurrent.

Non, c'était ridicule... Au pire, si je n'arrivais pas à passer sans être vu, nous nous retrouverions, lui et moi, à tailler une bavette. Je continuai donc d'avancer en me cachant d'arbuste en arbuste. Ma cheville commençait à me faire vraiment souffrir... Et le bruit s'était arrêté, je venais de m'en rendre compte. C'est alors que j'aperçus, au détour d'un maniolia, un trou creusé en plein milieu d'un parterre fraichement retourné sur son ensemble. Un trou peu profond dans lequel on aurait pu caser un homme allongé. La lune devait avoir l'âme facétieuse, car, l'espace d'un instant, j'eus l'impression d'y voir un corps, précisément. Puis quelque chose s'abattit sur mon épaule avec une force prodigieuse, me faisant vasciller sur mes jambes. Le coup m'avait sonné car les cris d'orfraie de mon agresseur me parvenaient de manière assez floue.

- Non, salopard, tu ne l'auras pas, elle est à moi!!!, hurlait-il.

Une voix haut perchée, complètement hystérique. Malgré le choc, je compris tout de suite qu'il voulait parler de la voiture. C'était d'autant plus terrifiant. J'étais bel et bien tombé sur un fou. Pour l'instant, j'étais affalé par terre et je voyais arriver sur moi la bêche dont mon épaule avait déjà tâté. Ce drôle de jardinier allait me couper en deux comme un ver de terre. D'un coup de reins désespéré, je réussis à rouler sur moi-même. Juste à temps car je sentis l'outil me frôler le bas du dos. L'instant d'après, j'étais debout et je courais à toutes jambes vers la grille de l'entrée principale. Derrière moi, j'entendais déjà les pieds de l'autre qui faisaient crisser le gravier à contre-temps de mes propres pas. J'étais de plus en plus persuadé que j'allais mourir cette nuit, par décapitation ou plus probablement de peur, et lorsque, de ses deux bras, le tueur me plaqua aux jambes, je passai bien près de la seconde éventualité. Mon coeur avait "décroché" comme dans un énorme trou d'air. Je ne sentais plus mes membres tant ils étaient cotonneux. La seule partie de mon corps qui fût encore sensible, en dehors de mon épaule meurtrie, c'était mon visage qui venait de s'écraser sur les gravillons.

Je parvins pourtant à me remettre sur pieds, par pur réflexe. Mon agresseur avait lâché sa bêche pour me saisir aux jambes et je ne sais pourquoi, ni surtout comment, je la ramassai en me relevant. Je repris ma course, le souffle court et les jambes en marmelade.

- Tu ne t'en tireras pas comme ça, fit une voix de fausset dans mon dos, la voiture est à moi, tu entends, à moi!!!

Cet énergumène n'avait même pas l'air essoufflé. J'entendis alors un déclic, sec et métallique. Un cran d'arrêt!? Si je continuais de fuir comme un lapin, j'allais bientôt me faire embrocher. Douillet comme j'étais, je perdrais aussitôt connaissance et l'assassin n'aurait plus qu'à me larder d'une cinquantaine de coups de couteau. C'est pourtant l'instinct qui me fit me retourner et non le courage ou la raison; Toujours est-il que, dans ma volte-face, j'imprimai à la bêche un mouvement tournant qui cueillit l'homme en pleine tête. Il mit une seconde à réaliser ce qui venait de se passer. Ca me suffit pour lever mon arme et l'abattre à nouveau sur son crâne. Cette fois, il lâcha son couteau tout en restant solidement campé sur ses jambes.

Je frappai encore, et encore, peut-être une dizaine de fois, mais il ne se décidait toujours pas à tomber. Sur le dernier coup, je misai tout ce qu'il me restait de forces, c'est à dire peu de chose. La bêche heurta une dernière fois la tête de mon ennemi avant de m'échapper des mains. Je n'étais plus capable de faire le moindre geste. Si l'autre décidait maintenant de s'ébrouer et de ramasser son couteau... Il mit encore un certain temps pour s'écrouler, trois mesures de "Notre Père", pour être précis; Une éternité. Quant à moi, il me fallut bien d'avantage pour reprendre mes esprits et quelques forces. Que faire? J'avais un cadavre sur les bras comme on dit dans les romans policiers.

UN cadavre? Je repensai alors à l'ombre que j'avais aperçue dans le trou, derrière le maniolia... Il fallait que je sache. Je retournai donc là-bas, ma bêche dans une main, on ne sait jamais, et mon autre main posée sur mon coeur pour tenter de le ralentir. Je m'arrêtai à dix bons mètres du trou. Inutile d'aller plus loin. J'avais bel et bien deux cadavres sur les bras. Bien entendu, j'aurais dû aller chercher la police; Mais mon histoire était tellement abracadabrante! Et de voir cette tombe, cette tombe toute prête qu'il suffisait de reboucher, après l'avoir élargie néanmoins, au préalable, pour y loger le deuxième corps! Visiblement, le parterre tout entier avait été travaillé la veille et personne ne devinerait quoi que ce soit. Je n'ai pas réfléchi plus avant et je me suis mis au travail.

Le premier homme n'était pas bien lourd et je n'eus guère de mal à le sortir du trou. Creuser me demanda un effort plus important; La chose me prit une petite heure, ou pas loin. Lorsque je pus à nouveau faire rouler le cadavre au fond de la tombe, je commençai à reprendre espoir. Il ne me restait plus qu'à aller chercher l'autre... Comment, l'autre quoi?!... L'autre cadavre, celui du fou furieux!... Dites donc, vous êtes sûr que vous suivez?!... Donc, je suis retourné vers la grille de l'entrée, au niveau du tombeau de Narcissa; C'est là que je l'avais laissé... Hé bien, vous savez quoi, Monsieur l'Agent?... Il n'y était plus. Mon premier réflexe a été de tournicoter un moment sur moi-même, dans tous les sens, comme un gamin qui fait la toupie au jeu de Collin Maillard. J'imaginais déjà la lame pénétrant entre mes omoplates. J'avais été stupide, j'aurais dû lui tâter le pouls, l'achever, au besoin, mais je ne suis pas un tueur, Monsieur; J'avais sauvé ma peau et je n'avais pas cherché plus loin. Mes gesticulations pour garder mes arrières commençaient à me donner le tournis. C'est alors que je l'aperçus... Allongé, face contre terre, au pied du Ginkgo Biloba, mort cette fois. Le bougre avait rampé sur une bonne vingtaine de mètres. Heureusement, il les avait faits dans la bonne direction.

- Merci pour le bout de chemin, je lui ai fait comme çà. Je ne suis pourtant pas du genre cynique mais là, ça m'a fait du bien. J'ai attrappé mon lascar par les pieds et l'ai traîné jusqu'à sa dernière demeure, comme on dit. En un quart d'heure, tout était réglé, le trou rebouché et la terre ratissée, à la main, bien sûr. Il devait bien y avoir un rateau quelque part dans ce jardin, mais je n'avais pas le temps de chercher. Il me restait encore à dénicher la clé car j'étais bien décidé à n'avoir pas fait tout ça pour rien. La "boîte aux lettres" n'était qu'à quelques mètres de là. Aussitôt, j'entrepris d'explorer les trous du vieux tronc, un par un. J'en eus bientôt les doigts tout écorchés mais la clé demeurait introuvable. Je ne pouvais pas le croire. Mon grand-père se serait-il trompé? Impossible. Je restais là, hébété, quelques secondes et puis, peu à peu, mon esprit se remit à fonctionner. C'était bien sûr. La clé était dans la poche d'un des macchabées, le dernier survivant probablement, celui qui m'avait coursé. J'aurais dû y penser plus tôt mais j'étais un peu perturbé. On l'aurait été à moins, n'est-ce pas, Monsieur le Gendarme.

Donc, me voilà reparti là-bas. Incroyable, non!? Vous devez me prendre pour un véritable charognard... On dit souvent qu'il n'y a que le premier pas qui coûte. C'est vrai... Et pour peu que vous vous soyez mis dans la tête de pas l'avoir fait pour rien, ce premier pas, alors là!... J'avais toujours ma bêche à la main, cette foutue bêche qui avait failli me tuer. Il serait peut-être prudent de la laisser au fond du trou cette fois. Je me mis à creuser délicatement, d'abord pour ne pas abîmer la clé et en plus je n'avais pas envie de sectionner une artère ou quelque chose comme ça. A cette heure-ci, ma raison n'aurait pas survécu à la vue d'un geyser de sang. Enfin, c'est ce que je me suis dit. J'aperçus bientôt un peu de cuir sous la terre: Le blouson de mon agresseur. Des poches à ne plus savoir qu'en faire, Monsieur l'agent! Décidément, rien ne me serait épargné. Je libérai donc tout le haut du corps en prenant bien soin de laisser la tête recouverte. Une fois fait le plus gros du travail, je m'agenouillai pour terminer "d'épousseter" à la main. Puis je me mis à fouiller, poche par poche. J'avais à nouveau les joues toutes rouges, on ne se refait pas. Et toujours pas de clés. Rien non plus dans les deux poches de pantalon. Peut-être les avait-il cachées dans ses chaussures, ou dans son slip! Cette fois-ci, j'étais bien prêt de renoncer quand j'aperçus une autre fermeture éclair au niveau de la manche. C'était un de ces blousons aviateur avec des poches dans les manches. Je dus dégager un peu plus le bras pour accéder. Elle était bien là, avec un joli porte-clé en forme de paquet cadeau où il était inscrit "Bravo". Je me suis relevé tout doucement, j'avais la larme à l'oeil. Ma première voiture neuve, gagnée à la sueur de mon front. Je n'étais pas peu fier, malgré les circonstances. J'avais eu toutes les audaces, surmonté toutes les peurs et en plus, j'avais débarrassé la ville d'un dangeureux psychopathe. J'en étais presque à regretter que mes exploits dussent rester dans l'ombre. J'étais un héros, du moins, je le croyais. C'était avant que l'autre me saisisse la cheville, avant que je me pisse dessus.

Pardonnez-moi l'expression, Monsieur l'agent, mais je n'en connais pas d'autres. Si je vous avais dit "avant que ma vessie ne me lâche", vous n'auriez pas compris ce que j'ai pu ressentir. Je me souviens avoir poussé un hurlement à n'en plus finir. Un hurlement comme on en entend que dans les cauchemars. C'est ce qu'ont dû se dire les riverains que je n'ai pas manqué de réveiller: Qu'ils avaient fait un cauchemar. Je n'osais pas regarder mon pied et encore moins cette main qui le tenait. Je fermai les yeux au contraire, pour hurler plus fort, et surtout pour ne pas voir ce qui pourrait surgir de cette tombe que j'avais moi-même creusée. Maintenant, lorsque j'y repense, - et j'y repense souvent, croyez-moi, toutes les nuits - je crois qu'en fait, j'avais peur d'y être englouti, entraîné par ma victime, plus que d'en voir sortir quelqu'un ou quelque chose. Puis la pression s'est relâchée; La main est retombée le long du corps enterré. Les doigts s'en sont ouvert, vaincus. J'aurais pu ramasser la bêche et trancher le membre pour plus de sûreté, mais j'avais peur... Hein?... Peur de quoi?... Vous êtes un bout-en-train, vous, non?... Alors, j'ai commencé à reboucher le trou, tout simplement, en évitant les gestes brusques pour ne pas réveiller à nouveau mon mort. Peut-être lui restait-il un souffle de vie, mais en tous cas il ne s'est plus manifesté. D'ailleurs, c'était le cadet de mes soucis. Je l'avais enterré vivant une première fois, je pouvais bien recommencer.

Je suis rentré chez moi vers quatre heures du matin. J'ai dormi jusqu'au lendemain matin, 16 Juin. A la Gazette, ils ne comprenaient pas où était passée leur clé, ou leur gagnant. Ils ne savaient plus s'ils devaient chercher l'une ou l'autre. Ils commençaient à soupçonner les pies, nombreuses dans la région et voleuses, paraît-il, comme c'est pas permis. J'ai dû leur raconter que mon petit neveu de deux ans et demi avait joué avec la clé pendant que je me changeais et que j'avais ensuite passé plus de vingt-quatre heures à retourner toute la maison à la recherche de la dite clé.

Voilà, Monsieur le Gendarme, vous savez tout. Vous savez pourquoi cette voiture m'a précipité contre ce platane. Vous savez pourquoi j'ai des poches sous les yeux. Alors, s'il vous plaît, mettez-moi vite à l'ombre, que je puisse y dormir tout mon soul. Et, je vous en prie, allez déterrer ces foutus cadavres avant qu'un jardinier ne tombe dessus et ne fasse une attaque... Et revenez me dire qu'ils sont bien morts.

 

Si vous êtes arrivé jusqu'ici, j'en déduit que ça vous a intéressé dans l'ensemble. Alors un petit message pour me dire dans quelle mesure...Merci.

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