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- Comment elle va ?
- Chiffonnée, à s’en essorer les paupières. Elle pense trop à toi. Je lui ai dit: " il vient un temps où tu devrais le noyer dans tes larmes". Mais elle ne peut rien savoir et insuffle vie même au reflet de toi, qui demeure dans ses yeux jusque tard le soir, quand la lune s’allonge aux Antilles... je l’ai vu, je l’ai vu miroiter dans la fumée, projeté par inadvertance avec une taffe de cigarette, et rattrapé aussitôt, et couvert, les yeux fermés... elle ne veut pas que je voie sa petite mort.
- Je lui manque donc tant ?
- Si j’osais faire des phrases je dirais qu’un soleil torturé demande un arrosoir. Elle est -tu le sais- sensible à nervure de coeur (non, ne souris pas...) et je le sens comme je sens le froissement avant la déchirure. Une fleur fane... et se déchire de ses pétales... Mon ami, sa parole même flétrit et s’affaisse sur un tas de feuilles mortes. Avant l’hiver...
- Arrête un peu, tu veux ? Sous tes métaphores, c’est pas joli-joli !
- C’est pas ma faute, tu l’as déglinguée, déréglée comme un radiateur. Elle ne sait plus ni un ni autre, elle ne vit même plus, réagit au contact d’une main sur le bouton. Et ça n’est pas souvent la tienne, de main.
- Si j’avais su...
- Tes tas d’âmes tu peux te les garder. Moi ce que je vois c’est une fille qui ne s’appartient même plus. Elle ne peut pas vivre sans toi (je te l’ai déjà dit, ne souris pas...) : la preuve, ses mains sont déjà mortes, défaites des poupées de rêve que tu lui avais nouées autour des doigts et qui l’aidaient à écrire.
- Ce n’est pas ma faute !
- Je sais. Je sais cela, et aussi que ce n’est même plus toi qu’elle aime. C’est le toi qu’elle avait ourlé de ses propres couleurs, le toi qui avais le même goût que ses fantasmes ; celui qui, en lui volant les yeux, lui aurait donné les siens en retour. Créé des lettres de vos deux noms : un toi-elle. Et je dirais même... qu’elle s’est aimée à travers toi... et forcément, Narcisse est condamné à mourir.
- Pauvres folles.
- Non. Son problème, ça n’est pas, ça n'est plus toi.
Elle ne sait pas pleurer.
A Mélie comme en rêve au milieu des éclats
De rire ô Mélie
homélie bleu azur
Avec les ailes en sus
Elle rêvait qu'elle volait
Le miroir la fixant
jusqu'à l'avoir empreinte
Elle menait avec elle un être portatif
à coller sur les murs
un sourire de ciel pâle
Lunaire loup marqué
d'un sceau d'ébène -tantôt
bénéfique ou garou
elle aimait plaire aux deux
déboussolante vertu
faite de vices et de lierres
grimpant au coeur
au corps
aux viscères
enfin
Laissant l'aride amer côtoyer l'insensé
Au point que la nuit même paraîtrait de papier
S'il n'était ce sourire
aux soufres mélangés
I) De la gaucherie
C’est marrant, ma mère dit toujours: tournes ta feuille, tu vas te tordre le dos. Mais bon, je suis sinistre, qu’y puis-je ? Prendre les mots à rebrousse-lettres est mon passe-lune favori.
Alors, tant pis pour la phrase débutée déjà et qui oscille sur les deux pattes que j’ai oubliées à un m. Je versorise la feuille, pour la dorer un peu de chaque côté, après tout c’est meilleur au tournebroche (Même si l’encre se calcine plus qu’elle ne dort).
Comme quoi, il faut toujours penser des deux hémisphères.
II) Le crayon
Un crayon, c’est tout sauf un bâton à écrire. Un crayon parle de tout sauf de lui-même, alors il n’écrit pas, puisqu’il ne parle même pas de sa fin première. Et puis s’il parle, d’abord, il n’écrit pas. Puisque c’est difficile de faire deux choses en même temps.
Sauf pour les gauchers.
J’en déduis donc que je sais faire écrire ce crayon qui me parle. De plus, moi seule peux le comprendre.
Donc, je suis unique même si je pense double.
Puisque je sais faire penser mon crayon ?
III) De la finitude du papier
Si le papier boit l’encre, c’est qu’il est encrolique. Il lui en faut toujours plus.
C’est un défaut bizarre qui n’atteint que lui. Et même s’il veut répartir cette drogue sur mes doigts, lui seul est imbu, et imbibé de ce que je lui déverse par l’intermédiaire de mon crayon.
Donc, le papier est le seul garde-fou des pensées du crayon.
Le papier est mon garde-fou.
Mais mon papier est périssable, à cause de la cirrhose.
J’en déduis que je suis condamnée à être folle, puisque ma camisole est bio-dégradable.
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