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Voici que dans l'ombre s'est avancée la lumière. Et Catherine et Aurélien et Pascal et, somptueux, Boabdil, se lèvent de mes songes en papier.
Et voici que suivent Antoine et Fougère, Geoffroy et j'entends s'élever la voix ineffable d'Ingeborg d'Usher et disparaître Blanche derrière une porte... voici que la femme du poète se métamorphose en chair, en ailes de vent, et l'amour qui la façonne la rend radieuse entre les radieuses.
L'eau noire sous le pont de fer lui renvoie ses yeux de misère. Le masque de plâtre lui dit son hypnotisante passion pour Bérénice, reine échappée d'un lointain Césarée d'où les ruines redeviennent sous les mots du maître, des pierres bâties. L'enfance se consume dans les bras d'une petite fille et l'été dort sur leurs deux corps entrelacés. Et Grenade scintille au bord des cils royaux d'où illuminent très humainement la nuit du monde, des larmes...
L'enfer brûle dans cet univers diurne et au coeur du brasier, une espérance se déchaîne pour sortir des flammes. L'eau vive de la poésie désaltère la fleur oubliée sur le purin. Les mots m'ont prise par la main.
Le malheur d'être une étrangère, la misère et la pauvreté et, jailli d'entre les bras de Victor, le combat pour la justice et la liberté. L'ennui morose de l'après-guerre qui a tout sali, et un matin, chez Blanche et Edmond Barbentanne, l'aurore d'une passion qui éblouira sa vie. Le chant de l'enfance entre les cinq cents pages obscures d'une existence vouée à la malédiction des hommes. Et élevé d'entre les rois de la terre, Boabdil ira dans les ruelles sombres et glacées de Grenade à l'agonie, guidé par le chant d'un Medjoûn étrange et fascinant... Et Antoine brisera le miroir des sortilèges et Fougères comprendra l'incompréhensible, et Blanche réapparaîtra furtive un soir, pour ranimer le coeur en cendres de Geoffroy, même si ce sera pour aussitôt s'enfuir dans la ténèbre.
De tous ces chants entrelacés, irradie comme la flamme d'un foyer, le chant noir mais mélodieux du Medjoûn. Le Medjoûn, le Fou, courbé sous les coups et l'opprobre, et que relève le poème infini et infiniment repris de la vie qui se poursuit, animée par la main virtuose du maître et du poète.
J'ai parlé d'un amour
J'ai parlé d'une révélation
Dans les ruelles ténébreuses du monde
J'ai nommé
Louis Aragon
Que serait un matin sans écriture ?
Un jardin en friche
abandonné à la pluie
ou une aurore
encore embuée
du cauchemar de la nuit
une maison
dont on n'aurait point balayé le seuil
avant l'ardeur du jour qui point
un faux pas
un désert sans piste tracée
pour aller à l'oasis
La Cantatrice
D'or, elle dort sous une pluie de paillettes fauves s'échappant de sa main en volée. Volée de l'âpre rugosité de l'écorce matricielle aux teintes enténébrées. Volée à l'âme de l'artiste, ces deux seins bleus discrets, dévoilés abruptement au regard du voyageur.
Ecorchée vive l'écorce, flamme vivante à l'oeil du visiteur, happé par la couleur comme une clef sous la pierre dévoilée ingénument par un pas posé là au hasard de la promenade.
La femme bleue repose. Elle désigne d'un geste turquoise la fécondité du bonheur.
Exposition Ecorces Vives
D'Alexandra Staebel
17 décembre 1996
La page est blanche
livide de désir
l'amour se meurt
de s'inscrire sur ce vide
ce manque
cri du désir inassouvi
cri de ce qui n'est pas encore et qui veut naître et être
Le poète veut faire l'amour
avec les mots
Mais son lot parmi les hommes
demeure à jamais
de ne pouvoir combler cette dépossession
et de se remettre en route
à chaque petit matin encore vierge
pour découvrir cette présence
dont l'absence lui est toute
Ecrire est ce perpétuel partir
Il pleut
très silencieusement
très régulièrement
On dirait une seule goutte
qui frappe le sol de la cour
très singulièrement
comme un enfant frappe avec une balle
Un jeu désintéressé ?
L'ennui ?
Non
La musique
du très uniquement
qui bat inlassablement
dans la profondeur
du plus humainement
Il pleut
L'ange parle
ses cheveux
sont les grains de la pluie
Il dit :
Voici l'achèvement
Voici l'accomplissement
Il marche
Il avance
Il vient sous le déluge
Celui que l'on annonce
Celui qui doit partir
et toujours revenir
Vrille et vibre
C'est mon coeur qui écoute
battre le monde
Vrille et vibre
jusque dans mon âme
le rouvre est blessé
Vrille et vibre
Une chanson me répond
Est-ce une invite ? Est-ce une plainte ?
J'ai ouvert les volets
J'ai descendu la première marche
les visages m'étaient inconnus
Je suis étrangère en mon pays
C'est au petit matin
quand le jour est encore vierge
que me prend le désir d'écriture
Tous les possibles sont latents
Chaque être chaque chose
peut revêtir la robe
du commencement
C'est là que l'espérance est folle
et dans le coeur des hommes
la paix sans doute
pour demain
Jouir du monde
dans sa première donne
Jouir d'avoir un corps
qui vibre au paysage
aux couleurs qui virent
à la chaleur
qui rend sensuel
à la saveur des mets
qui éveille le palais
et descend
comme une boule dorée
et odorante
pelotonnée
au creux du ventre chaud
O sensation
les sons fondent
m'enveloppent
les épaules
C'est un oratorio
La vie se dilate
Le coeur entonne
sur des cordes qui vibrent
à l'unisson
du chant de la terre
Fouler l'herbe odorante et tendre, la retourner, se baisser et la porter aux narines : fragrance d'une enfance oubliée ou inventée, réinventée... Battre comme au fléau le brasier des cauchemars qui engrossent le monde et les âmes inquiètes des hommes dans leur obscurité...
Pétrir une pâte blonde pour un pain chaud et doré qui nourrira les coeurs pour leur longue traversée sur la terre...
Aller en nomade sur les routes du monde et glaner la paix, la pureté, la lumière, l'amour, la beauté et la mort dans leur indifférence... Dresser un bouquet des mille fleurs éparpillées aux quatre vents de la planète... et toujours repartir...
Ce serait écrire.
à JRF
La vie s'arrête dans son reposoir
la corbeille de l'été où se mêlent soleil et pluie
irradie comme un foyer
la lumière du soir
J'écris sur du lys
les fragrances de l'enfance
parfument ma mémoire
Un jour comme un cadran
s'est arrêtée l'enfance
il était neuf ans
la femme en moi s'esseule
de longs sanglots ploient son âme
une cicatrice inscrite dans la chair de ma chair
se rouvre sempiternellement
Une enfant dans mes rêves
dessine un ange fleur
avec un grand soleil
J'ai un rapport désirant à l'écriture, un rapport d'amant à amante,
un rapport d'aimant, ou est-ce elle qui se trouve aimantée par moi, aimante de moi ?
L'eau que j'y bois est plus vivifiante que le vin doux
plus désaltérante que la source au mois d'août
Le feu qui m'y réchauffe plus rouge que le sang d'un vivant
plus ardent qu'un coeur qui bat au rythme des vents
qui agitent notre temps
Le diamant y est plus pur que la perle sous-marine
au fond de l'océan des âges
plus transparent que la transparence des ruisseaux des montagne
Mais la pierre plus tranchante que celle qui frappe le désert
dans la solitude des sables arides
La lettre se coule dans le silence flamboyant de la nuit à son centre et la solitude d'un peuple élève sa voix de sang dans le cadre diurne de l'écran où volent en éclats les cris muets à la conscience de la ténèbre algérienne
Voici que Dieu agonise mille et mille fois encore sous des yeux impuissants
Qui sauvera le monde ?
Ah Orphée que ton chant cruellement nous manque !
Ah si les poètes pouvaient souffler sur l'âme des morts !
22 janvier 1998 Soirée thématique spécial Algérie Arte
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