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Il n'est question dans ce billet d'humeur ni de poésie, ni de littérature.
mais de philosophie. Et c'est un coup de gueule contre le sectarisme. Mais
suis-je si loin du domaine : quand Zarathoustra parle, est-ce de la
philosophie ou de la poésie ? L'impact de ses mots contourne l'intellect
pour frapper droit à l'âme. C'est aussi la force d'un Lao Tseu,
officiellement classé "philosophe Taoïste". Je pense aussi à l'effet qu'ont eu sur moi certains contes de Daniel Etchegoyen : bien plus certainement
que ses écrits "sérieux". Vive le mélange des genres. Alors on verra bien,
voici mon coup de gueule.
Lu dans le Nouvel Observateur N°1801, page 18 : "Imaginerait-on un
astrophysicien qui ne tirerait pas tout l'enseignement possible des écrits de Galilée et de Copernic avant de se mettre lui-même au travail ? L'activité philosophique ne peut se concevoir en marge de la philosophie, de
son histoire, de ses courant de pensée, de ses grands dignitaires et de
leurs écrits. [...] Non seulement on ne perdra pas son temps à fréquenter ces
aventuriers de l'esprit, mais on apprendra à leur contact qu'on ne peut bien
penser par soi même, de soi-même, comme le suggère Marie-Reine Morville, qu'en prenant appui sur cet héritage deux fois millénaire [...]". Au secours !
Si vous ne comprenez pas à la première lecture ce qui me choque profondément
dans le discours conformiste qui précède, je peux vous donner un indice :
quelque chose manque. Quelque chose d'intrinsèquement lié à la philosophie,
ou du moins qui devrait l'être : l'universalité.
L'auteur de cet article - aussi intéressant et instructif qu'il puisse être
par la suite - commence par établir des castes de penseurs. Il y a les
philosophes et les autres. Par exemple ces fameux astrophysiciens qu'une fatale première phrase cantonne sans rémission à leur domaine. Du même
coup, l'auteur autorise implicitement les philosophes à négliger les
enseignements de Galilée et de Copernic. La spécialisation à outrance est un
mal chronique dont souffre déjà trop notre société, et cela dans tous les
domaines. Littéraire : un dramaturge n'est pas un poète, qui n'est pas un
romancier. Ne parlons pas des auteurs de sous genre comme le polar, le roman
de SF, ou le récit historique qui ne sont pas - ou plus - des romanciers.
Scientifique : un mathématicien n'est pas un physicien, qui n'est pas un
biologiste et tous dédaignent l'informaticien ou l'ingénieur, humbles
praticiens à qui la théorie restera à jamais fermée. Musical : éternelle
bataille de genres dont seuls les noms changent avec les époques :
classique, Jazz, rock, pop, variétés, punks, rap, boys bands, techno. Qui d'entre nous n'a pas rejeté a priori au moins l'une de ces tendances comme n'étant pas de la musique ? Scolaire : qui classe les élèves en studieux et
cancres, littéraires et scientifiques. Le monde du travail ? Eternelle
rivalité entre manuels et les intellectuels, entre cadres et employés, entre
public, privé et indépendants.
J'exagère un peu, j'accentue le trait, mais pas tant que ça. Dans tous les
exemples cités, les frontières ne sont - heureusement - pas tout à fait
étanches. Elles sont simplement difficiles à traverser. Bien chanceux ceux
qui parviennent à faire partie de plusieurs catégories : ils ont un choix.
Quel rapport avec la philosophie ? Elle, qui devrait être une discipline
universelle par essence (c'est ainsi que les Grands Anciens la pratiquait en
tout cas) est en train de se refermer sur elle-même. Un philosophe moderne
doit connaître les philosophes du passé, tous les philosophes, mais rien que
les philosophes. Il peut impunément ignorer les penseurs de tout autre
domaine. Qu'importe si Evariste Gallois, Einstein, Planck, voire Freud
restent lettre morte pour lui. Qu'importe s'il ne connaît - dans le meilleur
des cas - Bertrand Russel, Mitchell Feigenbaum, Thomas Khun ou Gregory
Bateson que de nom. C'est tout juste s'ils acceptent (en faisant la moue)
les travaux de sémiologie d'un Umberto Ecco ou les abîmes spirituels où nous
plonge un Borgès (sans doute parce que la philo reste en France une
branche de l'enseignement littéraire). Mais, escorté de Platon, Descartes,
Nietsche, Sartre et consorts le philosophe se sentent suffisamment fort pour
dédaigner tout autre enseignement. A l'inverse : le philosophe - du
moins c'est ainsi qu'il parle de lui-même - n'écoute pas ceux qui prétendent
se référer aux savants ou autres penseurs non autorisés, passés ou présents.
Et que dire d'un auteur qui a l'affront de penser aussi, ou d'un honnête
homme qui fait l'erreur de s'y référer : "lisez les Philosophes, Monsieur.
Ou taisez-vous ! ". La philosophie en France se veut historique et humaniste,
avec 2000 ans d'histoire derrière elle, elle n'a que faire de la science,
elle n'a que faire de la Littérature... elle n'a que faire de l'Univers.
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