LES
GENS DE L'ILE DE PIERRE
Les
gens. Menus, sans doute. Frêles - grêles ; peu
manifestes : peu sûrs. Peuple crochu. Crispé.
Peuple crépu de racines intersticielles. Texture
de racines, syntaxe de la roche abrasée. Sous
les pas, racines.
Genou
en terre. Les deux genoux ; et puis les mains -
allongez-vous. Cédez à la rugosité saline.
Desserrez les dents. Le gravier explore le
palais. La roche amère rétracte la langue. Peu
importe. Ecoutez. Ce sont les gens de l'île. Ils
parlent. Pas à vous, non : ils se parlent. Se
murmurent entre eux leurs pensées souterraines,
leurs songes intriqués de racines - de très
anciennes racines neuronales. Polyphonie infime,
hymne subtil et intuitif. Ils vous pressentent
là. Peut-être vous jugent-ils ; peut-être vous
blâment-ils. Mais vous - comment le
sauriez-vous.
Et
déjà vous vous arquez - et vous vous rigidifiez
- et vous vous solidifiez. La respiration se
bloque. La pensée durcit. Vous voici tronc,
branche sèche, arbre pétrifié. Vous voici
soudé au sol, soudé comme par le sel. Il
faudrait pleurer, bien sûr, mais comment pleurer
pierre ? comment crier roc, et mâchoires
cimentées ? La voix serait pulvérulence.
Et
voici. Désormais, vous savez. Ce qui s'infiltre
par votre gorge, ce qui s'instille dans votre
cage thoracique, enserre vos vertèbres ; ce qui
s'agrippe, ce qui s'incruste ; ce qui vous
infibule ; ce qui vous étreint - ce qui vous
aime...
... les gens de l'île de pierre.