La lettre d’Yves Heurté, un écrivain non-virtuel sur la toile

 

 

 

Ecrivain, poète, dramaturge, Yves Heurté a publié une trentaine d’ouvrages dont plusieurs romans pour adultes ou adolescents :
La Ruche en feu (Gallimard, 1970), La Nuque raide (Entente, 1975) Leçon de ténèbres (Arcantère 1988) Le passage du Gitan (Gallimard, 1991) Le Phare de la Vieille (Le Seuil, 1995). Chez Rougerie, cinq recueils de poésie, et plusieurs volumes regroupant ses textes de théâtre (également disponibles à l’Avant-Scène).

Yves Heurté est également l’auteur de romans pour la jeunesse : Les chevaux de vent (Milan), Danse avec la mer (Sedrap, incluant deux cassettes), de livrets d'opéra d’enfants, d’un compact-disc Bois de Mer (18 poèmes mis en musique et chantés par Martine Caplanne, édité par MSI ), d’œuvres multimédia, d’essais…

Sollicité, il a bien voulu donner son point de vue sur l’écriture confrontée à l’Internet. Des mots qui ne sont pas forcément ceux que nous aurions envie d’entendre :-), mais qui enrichissent grandement le débat amorcé sur le Carnet Interdit.

Ne manquez pas de compléter cette lecture par une visite du site personnel d’Yves Heurté, et de celui qu’il consacre à une expérience d’écriture avec des collégiens.

 

 

 

Chère Cyberisanou,

Il y aurait tellement de choses à dire sur l'Internet. Par sa puissance et la révolution qu'il entraîne dans les communications, il nous apporte une nouvelle idéologie, avec ses sommes d'illusions et ses détournements du pouvoir politique vers le diktat d'une technologique incontrôlable complètement débranchée de la réalité. La mondialisation de la communication impose déjà la disparition des langues traditionnelles et de leurs cultures, (paradoxalement, c'est surtout l'anglais qui est touché) mais surtout elle modifie nos structures mentales. Des études américaines récentes montrent ce que l'on soupçonnait déjà: l'écran même vide, par ses périodes spécifiques de balayage et de brillance, induit des modifications sévères des ondes cérébrales et donc des dysfonctionnements de notre cerveau et de la pensée. Paradoxalement, on n'écrit pas les mêmes choses et on ne réfléchit pas de la même façon devant l'écran avec son clavier qui lui aussi a une influence trop longue à expliquer ici, et à la main sur du papier (il suffit de consulter les informaticiens sur la durée de leur sas mental après le travail pour récupérer leur conscience journalière, leur sensibilité et se rebrancher sur le réel).

Il semble aussi (études américaines) que l'exposition prolongée du très jeune enfant à des écrans et à ses images fuyantes conditionne la formation de sa construction cérébrale primaire et entraîne des modes de fonctionnement stables et irréversibles totalement inadaptées à sa vie de relation avec le monde réel et ses rythmes. Elle pourrait faire des inadaptés à vie.

Contrairement aux diverses avancées dites "progrès", dont on pouvait au moins prévoir les perversions et les nuisances, la prospective est actuellement totalement démunie devant l'informatique et devant Internet. On est incapable d'en prévoir les nuisances et les perversités, les bouleversements de la perception du monde et les accidents du raisonnement, qu'il faudra inévitablement en attendre. Sans parler des accidents militaires! Quelle nouvelle forme de société va-t-on produire avec quels genres de relations plus ou moins viables? Personne ne le sait, sauf un peu les militaires.

Revenant à l'enfance, je me demande ce que donneront sur l'enfant comme changement dans ses rapports avec le réel environnant et le réel intellectuel interne, la construction mentale, l'attention soutenue, le désir d'apprendre et l'effort d'apprentissage, des journées commencées avec des jeux électroniques virtuels, continuées avec l'ordinateur scolaire virtuel, puis l'ordinateur individuel virtuel, puis les trois heures de télé virtuelles qui seraient la moyenne actuelle de l'enfance, le tout clôturé par des connections virtuelles sur Internet. (Une telle journée tend à se banaliser). Bien malin serait celui qui présumera de ce que cela va donner. Actuellement déjà chez certains on arrive à une indifférence totale au savoir et une incapacité d'adaptation aux rythmes lents de l'apprentissage. Encore plus malin celui qui nous dira comment tout individu pourra dominer un outil d'une puissance et d'un attrait aussi écrasants, c'est à dire échapper à ses perversions alors qu'elles ne sont même pas ressenties.

J'ai eu l'occasion d'être l'animateur d'un roman en ligne avec des collèges des Pyrénées, action créative dont un des buts était d'utiliser cet instrument et en particulier les liens hypertextes en le dominant de façon harmonieuse. Ça s'est révélé possible, et je fais la même chose avec la ville d'Arles. Mais ce n'est qu'un incident infime par rapport à l'aliénation par le virtuel qui commence à se montrer ici et là et ressemble à une cybertoxicomanie, comme on a des drogués obsessionnels des jeux électroniques.

Vous me demandez aussi, écrivain "établi" et publié ce que je pense de l'usage d'Internet pour se faire publier avec comme support le livre?

D'abord, les écrivains de l'establishment, très peu pour moi. Les publications sont toujours aléatoires quand il ne s'agit pas de commandes d'éditeurs même quand on en est à son trentième ouvrage. Les éditeurs peuvent tuer comme promouvoir et ils ne s'en gênent pas, car si on a l'audimat-roi à la télé on a les chiffres de vente-reines en édition. On peut aussi avoir de bonnes périodes puis s'éteindre en radotant ou en s'épuisant ou en se laissant dépasser par son temps.

Pour le moment, une prépublication sur Internet peut-elle entraîner un éditeur à vous publier à compte d'éditeur? Sûrement pas. Et un éditeur à compte d'auteur, avec tout le côté arnaque si fréquent dans de telles pratiques? Sans doute ces boites vont-elles venir pêcher le gogo sur Internet. Mais ce serait un résultat plutôt négatif.

Les publications directes et exclusives sur Internet, du moins ce que j'en connais ont dans leur grande majorité les vices de l'édition à compte d'auteur, sauf le coût bien plus modeste et la diffusion sans doute plus grande. Elles donnent l'illusion à l'auteur que ce qu'il met en valeur attirera l'attention et le fera aimer et apprécier alors que ce genre de support n'incite guère à intérioriser la lecture. Quand on y ajoute des artifices de présentation c'est encore pire.

Quelques rares sites échappent au copinage et au vertige mondialiste de la connerie culturelle pour tous. Tout dépend, comme dans n'importe quelle publication, des rigueurs du comité de lecture. Il le faut assez libre pour virer sans hésitation ce qui est indéfendable et aider ce qui est promesse, avec bien sûr la nécessité d'un jugement pluriel. Il s'agit alors de sites élitaires dans le meilleur sens du terme. Et dans ce cas, je serais tout à fait d'accord.

Je suis moins réticent pour les courriers électroniques qui permettent des recherches de contacts inaccessibles autrement. Pas plus tard qu'hier une classe américaine du Middlewest me demandait une petit texte dramatique en français. Ils m'avaient déniché avec plusieurs autres auteurs francophones par le moteur de recherche en tapant simplement "théâtre".

Un petit désagrément est le bourrage de votre boite par des inconnus branchés qui vous font un devoir de leur répondre et vous engueulent si vous ne voulez pas lire et éventuellement corriger leurs œuvres géniales!

Il y aurait encore tant et tant à dire, mais c'est dimanche et je dois laisser ce baratin pour faire mon bois de chauffage!
Bonsoir et merci à Cyberisanou et à tous.

Yves Heurté

Visiter le site personnel d’Yves Heurté : http://members.aol.com/yheurte
Le site du conte en ligne : http://members.aol.com/heurte

 

 

Réaction de Christophe Grosjean

Je souhaiterais offrir ma modeste contribution au débat ouvert par Yves Heurté. En deux mots : ses propositions de censure me révoltent. Sa distinction entre réel et virtuel m'échappe totalement, d'autant plus que je perçois Internet comme un retour au réel - c'est à dire aux être humains - au contraire des livres, de la télévision du cinéma ou des jeux vidéos... en ce qui concerne le contrôle des média par des "puissances" de la communication contre lequel lutterait encore et toujours un petit groupe d'irréductibles... en ce qui concerne Internet j'observe l'inverse : des puissances du commerce et des médias traditionnel tentant maladroitement de prendre le contrôle d'un réseau dominé par une majorité d'irréductibles. Contrairement au téléspectateur, l'internaute n'est pas, ou pas encore, un mouton.

Pourquoi mettre toutes les technologies et tous les médias modernes dans le même sac ?

Il me semble tout de même qu'il existe une hiérarchie du pire. Le pire, à mon avis, c'est la télévision. Une boîte magique quasi-hypnotique dont on connaît les dégats. A l'extrême elle produit les fameuses "patates de divan" américaines. Pour ce qui est de la violence, à ma connaissance aucune corrélation nette n'a jamais été constatée entre la violence télévisuelle et la violence réelle - quoique je sois tout prêt à croire à un lien. Quelqu'un pourra t'il me citer un chiffre ou un sondage allant dans ce sens ? (évidemment non, Big Brother a tout censuré ;o))

Quant aux jeux vidéo modernes, ils ressemblent de plus en plus au cinéma. Ils ont leurs stars et leurs réalisateurs... on reste encore loin du 7eme art en terme d'aboutissement de "l'écriture", quoique on puisse se demander si Hollywood n'est pas en train de suivre le même chemin que les jeux... dans l'autre sens. On a effectivement constaté que les passionnés des jeux vidéo étaient moins adaptés au monde physique que les adeptes des jeux et sports traditionnels. On observe en particulier une prédominance des sensations visuelles, et dans une moindre mesure, auditives, sur les sensations olfactives et surtout kinesthésiques. J'aimerai bien qu'on compare de la même façon une population de "lecteurs" et de "sportifs". On a également constaté que les jeux vidéos contribuent chez les jeunes à une bonne socialisation. Sans doute parce que beaucoup de jeux se jouent désormais à plusieurs. Les jeux interactifs sur internet vont encore plus loin dans ce sens. Et même si une rencontre a lieu dans un monde virtuel, elle n'en reste pas moins une rencontre réelle, qui peut conduire à des amitiés réelles.

L'Internet constitue un pas de plus en avant... ou en arrière, une technologie qualitativement différence des Mass Media. On s'éloigne du monde de l'immédiat (e-Media ?). Au contraire de la télévision, ou même de la presse, Internet est difficile à contrôler, par qui que ce soit. Comme le remarque Yves Heurté, les pédagogues peuvent le regretter... j'y reviendrai. Sur Internet il subsiste une mouvance : des pages apparaissent ou disparaissent jour après jour de manière anarchique... mais avec une rémanence très supérieure aux autres modes d'informations. Mais JFK n'est pas prêt de se plaindre dans Marianne de la "Pensée Unique de la toile mondiale". Je vois pour ma part le Cynermonde comme un vaste texte, où les images perdent une part de leur importance acquise via la télévision et la presse. Tout internaute est potentiellement un auteur : rien de plus simple que de publier un texte (pour publier celui-ci : je l'ai tapé et j'ai cliqué sur "envoyer", advienne que pourra ;o)).

Surfer sur Internet, c'est voyager dans un monde d'idées, d'opinions, de sentiments : rien de plus réel (du moins pour les poètes et pour les rêveurs). Les idées changent le monde. Le plus grand risque à s'exprimer sur Internet, c'est que personne ne vous écoute. Par contre, il ne me semble pas que le concept d'hypertexte soit réellement novateur. Un lien reste une tentative de détournement de l'internaute. Un hypertexte n'est qu'une superposition de linéarités, une superposition de textes qu'un auteur (ou des auteurs) s'échinent à contrôler. Une sorte de site « dont VOUS êtes le héros ». Le spam, ou la bataille du contenu « push », sont des tentatives de détournement à plus grande échelle. Une tentative des puissances de l'information et du commerce (et du savoir ?) pour retrouver une mainmise qui leur échappe. Pour moi la puissance d'Internet tient pour beaucoup dans les moteurs de recherche : il s'agit de véritables mines d'information. En contrepartie, il faut nécessairement développer un esprit critique. Il faut agiter dans sa trémie quelques tonnes de gravier pour extraire la moindre pépite. Un effort utile lorsqu'on revient aux médias traditionnels : les stupidités y sont tout aussi fréquentes, quoiqu'exprimées de manière plus fleurie (j'ai une - petite - expérience de la presse, et, de l'intérieur, je serai moins romantique qu'Yves Heurté en ce qui concerne les journalistes intègres face aux vilains publicistes).

En ce qui concerne la littérature ou la poésie, l'apport d'Internet me semble beaucoup moins évident... à la rigueur comme mode de diffusion, quoique je me voie mal lire dans mon bain... un roman sorti tout chaud de mon imprimante (pas pratique, dans le bain, les feuilles volantes au format A4). Internet reste sans conteste un précieux outil de recherche et d'analyse. Un roman virtuel - mieux : un roman réel sur papier virtuel - présente enfin l'avantage de ne jamais être épuisé.

Je reviens pour finir sur les risques pédagogiques d'informations non maîtrisées, ou l'élève peut dépasser le maître. Et alors ? N'est-ce pas le but de tout maître d'être dépassé par ses élèves ? Je voudrais aussi citer à ce propos Evariste Gallois qui parlant des mathématiciens de son temps disait : "toutes leurs erreurs de raisonnement viennent de ce qu'ils ne savent pas dire je ne sais pas". C'est à mon sens une erreur pédagogique que des enseignants veuillent encore faire croire à leur omniscience. Une manière efficace de passer pour un menteur à la première erreur, une manière confortable de tuer dans l'oeuf l'esprit critique.

 

 

Réaction de Martine Morillon-Carreau

A propos de la missive d'Yves Heurté : voilà qui est intéressant mais par trop pessimiste me semble-t-il !

Pour ce qui est de l'incidence d'Internet sur la santé, ou sur les capacités de conceptualisation et de formation/déformation des jeunes, n'y a-t-il pas là cependant - et heureusement - faux problème ? Pourquoi, à ce compte, ne pas pousser en effet le raisonnement jusqu'au bout et refuser la lecture, en raison des déficits visuels qu'elle induit à plus ou moins long terme chez ses boulimiques impénitents ? Pourquoi surtout (et certains n'ont d'ailleurs pas manqué de le faire) ne pas l'accuser de déformer et d'abrutir les jeunes cerveaux, sous prétexte qu'une Emma Bovary passait ses tristes loisirs à lire de sentimentalo-gélatineuses fadaises ? On actualisera ad libitum, avec par exemple les romans de la célèbre collection Harlequin. Ceux qui se passionnent pour Dostoïevski, Sarraute, Butor... ou Flaubert n'en ont cure. L'overdose dans ce cas mène peut-être à une myopie accrue, des migraines plus tenaces, et pourquoi pas, reconnaissons-le sans fausse honte, des comportements parfois quelque peu décalés du réel ;
Littérature, les risques du métier, en quelque sorte.

Les nouveaux media, ou nouveaux supports de media comportent aussi sans doute des dangers, mais leur éventuelle nocivité ne tient-elle pas davantage, comme en toute chose humaine (déjà la langue d'Esope...), à l'usage qui en sera fait ? Quand c'est l'ouvrier qu'il faut mettre en cause, pourquoi accuser l'outil, potentiellement si riche, de mésusages ne pouvant en réalité être imputés qu'à ses utilisateurs : passifs, incurieux, voire débiles - et qui en ce cas, quel que soit le passe-temps choisi, Internet ou autre, resteront incurablement débiles - (cf Brassens : "quand on est con...") ?

Comme en matière de lecture, de spectacles, de cinéma, de télévision, tout reste donc question de choix, de discernement. Et à cette condition, magnifiquement libre et pour tout dire, humaine, les nouveaux supports de media offriront de nouveaux moyens de se cultiver, d'enrichir ses connaissances, sa sensibilité, d'élargir ses horizons.

D'ailleurs, si Yves Heurté n'en était pas au fond aussi convaincu que moi, aurait-il créé sa propre page Web ? Sauf à croire que le chant des sirènes virtuelles l'ait étrangement ensorcelé :-) ...

 

 

Yves Heurté:

J'ai lu la sympathique réponse à ma cyberlettre. Je crois que le problème est posé, mais notre amie raisonne en termes de continuité ce qui permet un certain optimisme qui est le sien, que je respecte, et que j'aimerais partager. Malheureusement dans l'implosion informatique et ses dérivés il n'y a pas évolution mais rupture culturelle et inversion des valeurs dans tous les domaines et en même temps. Personne n'en peut prévoir l'évolution, ni les réponses susceptibles d'y faire face, c'est à dire d'humaniser cette nouvelle forme de totalitarisme occulte et mondial. Il y avait jusqu'ici une évolution lente (sur des siècles) des moyens de communication et d'accumulation des connaissances. Actuellement, c'est tous les deux ou trois ans qu'on multiplie par dix cent ou mille les chiffres et les pouvoirs donnés par l'informatique à quelques uns dans tous les domaines.

Ces échanges de données instantanés et planétaires rassemblées entre les mains de ces quelques uns laissent totalement démunis ceux qui n'y ont pas accès. Pire: ceux qui les possèdent en font actuellement un usage purement virtuel et sans projets pour le monde réel (les échanges de capitaux, sources principale de pouvoir, sont virtuels et l'échange purement spéculatif est cinquante fois plus important que l'échange commercial normal. Ce qui nous amène vers des catastrophes bancaires en cours et à venir qui retentiront sur tous les secteurs de notre vie et ruinent les efforts des pays qui émergeaient).

Les pouvoirs politiques culturels ou sociaux mis ainsi sous tutelle en sont souvent réduits à leur plus simple expression. L'espoir que la poignée de décideurs qui ont ce pouvoir puisse un jour en faire bon usage n'a aucun sens car ils ne savent plus ce que serait un bon usage et n'y prêtent donc aucun intérêt. Beaucoup d'entre nous sont dans la même illusion. J'ai beaucoup travaillé dans le milieu scolaire sur des romans en ligne et les enseignants se sont aperçus que l'écriture hypertexte par exemple les amenait à des conceptions pédagogiques qu'ils ne maîtrisaient plus, et avec l'accession des élèves aux banques de données ils pouvaient être pris en défaut d'ignorance. Sans parler, dans certaines classes de technologie, de la supériorité technique de quelques élèves doués sur leur professeur! Avant donc de faire du bon avec le neuf il faudra une formation de base, une réforme en profondeur de la pédagogie, et un recyclage permanent.

Sur le plan culturel et de l'éducation la pression de ces mêmes pouvoirs se fait de plus en plus forte (télévision, cinéma, presse, nouveaux supports, etc) avec une indifférence totale quant à la qualité du contenu et à la conséquence qui en résulte. Les quelques-uns qui les défendent savent le risque d'être éliminés s'ils gênent tant soit peu le profit. Dans l'Observateur, par exemple, la ligne éditoriale de gauche est contredite par la ligne publicitaire du profit à l'état pur, et dans le clash ce n'est pas le contestataire qui a eu le dernier mot! Ces pouvoirs veulent que tout savoir, toute création deviennent des produits entraînant un profit dont l'usage ne sera que la capitalisation de spéculation (comme l'annoncent sans vergogne les américains dans les discussions sur l'A.M.I). Et c'est la mort annoncée de la création.

Quand un accident de parcours les gène, on peut toujours, en dominant l'information, le neutraliser. Par exemple au japon il y a quelques années les "légers malaises" de certains enfants devant un programme dérivé de Nitendo, sous la pression des lobbies du jeu, n'ont pas eu de réelle publicité. On n'a su que plus tard que ces "légers malaises", c'étaient 700 hospitalisations et 10.000 accidents mineurs chez des jeunes ayant visionné cette seule séquence. Ce qui a obligé les fabricants de jeux à insérer un avertissement, sans toutefois spécifier ce qui déclenchait ce genre d'accident, car on ne le sait guère avec certitude, et à aggraver leurs publications. Que dire de l'usage régulier pendant des heures tous les jours de programmes virtuels dont on ignore les conséquences mentales sur l'apprentissage lent et qui dans certains pays dépassent largement le temps laissé à l'école?

Pour la guerre électronique du golfe, même problème. La presse et la télévision, censurée par les pouvoirs ont parlé de guerre "technologique" propre. Or, pour une vingtaine de soldats américains tués il semble que la population civile ait eu des dizaines sinon des centaines de milliers de victimes civiles. On pourrait appeler ça crime de guerre. Et comme le dictateur est toujours là, la haute technologie vient de faire de nouveaux essais en données et en temps réels.

Ceux qui dominent l'information et contrôlent les connaissances infiltrent et dominent peu à peu tous les pouvoirs et leurs relais sont partout. Tel journaliste de haut niveau qui s'élève contre la publicité mensongère, par exemple un détournement général et non pénal de l'image, est mis sur la touche ou poussé à la démission par le propriétaire du journal.

De ce fait, les moyens de lutte sont très limités pour l'individu comme pour les états, ce qui fut vrai contre tout régime totalitaire et l'est encore plus pour un totalitarisme mondial sans idéologie affirmée.

Ce n'est toutefois pas en repoussant globalement ces technologies ou en les diabolisant à tous les niveaux qu'on arrivera à les humaniser mais plutôt en les pervertissant à toute petite échelle, en détournant ce qui peut l'être, ce qui est leur fragilité, et ce qu'on peut faire à tous moments. En démystifiant l'outil, en apprenant quand on le peut et quand on en est soi-même conscient, à faire la part entre ce virtuel mensonger et le réel, l'utile et le besoin artificiel, la musique et le conditionnement de masse systématique des jeunes, etc... Et en poussant (sans illusion) à l'interdiction pure et simple de certains produits : CDROM de jeux pervers ou vantant le crime et la violence, excès du temps d'accès des enfants et des adultes au délire virtuel qui finit par virtualiser leurs rapports sociaux eux-mêmes. Quand on a tué mille fois dans un jeu, qu'on a vu tuer dix fois par jour à la télé on est tenté de tuer aussi à l'école ou dans la rue et on incendie pour que le jeu continue. Combat sans illusion, car ceux qui en tirent d'énormes bénéfices diront que leur produit plaît, qu'il faut respecter la liberté, que c'est le prix du progrès, etc...

Dans ce sens je crois beaucoup par exemple à l'échange d'idées par Internet, aux débats de fond réels et mondialisés entre gens qui ne se rencontreront jamais mais se "reconnaissent", aux publications sélectives et libres d'idées, systématiquement censurées par la presse et par la télé quand elles les contredisent (chacun sait la censure occulte pratiquée par les publicistes sur l'information et la vie culturelle, quand elle dépend d'eux financièrement), à la création littéraire plurielle, à la défense de la langue, de la lenteur, à la nature, etc... En ayant conscience qu'on fait là un travail de sape et de résistance contre des pouvoirs de plus en plus totalitaires et de plus en plus puissants de "big brother", qui dispose de relais incontournables dans l'environnement culturel.

Là je rejoins un certain côté optimiste de notre correspondante, mais en sachant que pour le bon usage des nouvelles technologies, nous sommes encore des fourmis paumées dans Jurassic Park.

 

 

Réaction de Michel Ducom

Tout apprentissage
Est fulgurance

 

 

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