Ecrire et publier:
La réalité au risque de l'illusion.

Par Jean-Marc Riquier

         
 
     
     
   
 
   
   
     
  Avant l'objet, c'est le processus de création qui advient. Bien sûr, l'âge tendre, l'amour, les déceptions... Chacun peut vivre de ces instants qui poussent à écrire, à résoudre l'état de tension intérieure dans le flot des mots.

Loin, depuis longtemps maintenant, des rives indécises de l'adolescence, il m'arrive parfois, de vivre certains instants particuliers où l'être entier est plus sensible. En ces moments là, j'éprouve un état de forte tension "émotionnelle" ou intellectuelle et, "ça" résonne ou raisonne en moi. J'ai, à tort ou à raison, le sentiment de mieux sentir, de mieux comprendre non seulement ce qui se dit ou se vit dans la circonstance, mais aussi de "mieux me comprendre". Parfois des mots, une expression, une association d'idées s'imposent, revivifiés, porteurs d'un nouvel élan. Parfois, subsiste seul le souvenir de l'impression du frôlement de quelque chose de bien plus grand que moi. Sensation d'être passé pendant quelques minutes à un autre degré d'être. Oserais - je dire, frôlement du sacré, ombre d'une Présence ?

Ecrire est alors une urgence nécessaire.

Ainsi commence le plus souvent un long cheminement avec des mots, nombreux au départ, de moins en moins nombreux au fil du voyage. Choisir, c'est renoncer. Les textes sont aussi constitués de tous les mots qui n'y sont plus. Exercice nécessaire pour approcher la lumière, les émotions, l'acuité de la perception, les parfums... le sentiment de cet instant premier, ressenti, vécu en bloc, indifférencié et en même temps si diversifié, si riche. Dans cet effeuillage, faire aussi disparaître ce qui n'est qu'à moi. Et, l'ayant reconnu et retiré, vivre l'instant où je crois avoir atteint le seuil de ce qui en moi est commun à tous.
Folle ambition désespérée...

Ensuite, vient le temps du stockage, de la rétention, des réserves. Je n'ai répondu qu'à un pressant besoin intérieur. Il ne m'est pas nécessaire d'aller plus loin.
Alors, pourquoi publier ?

L'affectueuse insistance de quelques personnes qui ont eu connaissance de mes petits bouts de textes, de ce qui reste, des épluchures. Epluchures puisqu'en fait elles sont les restes d'instants vécus, par essence impartageables, indivisibles, individuels. Mais cela à soi seul n'aurait pas suffit. Le temps était venu, pour moi, de me séparer de ces épluchures. Un temps de ma démarche personnelle, une mise en cohérence et une mise à distance.

Suis - je assez assuré de moi-même pour vivre sans ces notes ? Ces faits, contrefaits, me constituent-ils de manière suffisante pour que je puisse me passer de leur contrefaçon ? Ces objets textes ont-ils atteint le seuil où j'ai cru les laisser, celui ou le singulier communique avec l'universel ? Ont - ils une vie en dehors de moi ? Ces objets textes sont-il une création ou se contentent-ils d'être des annotations sur mon carnet de souvenirs ?

Pour répondre à ces questions, j'ai besoin des autres, des lecteurs, de vous, mes anonymes soeurs et frères en humanité. C'est votre regard qui les institue en tant qu'objets poétiques, en tant que créations. S'ils vous ont entendu(e) et qu'ils vous répondent, alors ils ont atteint leur but. S'ils restent fermés, silencieux, c'est qu'il n'est pas temps pour eux ni pour vous. A moins, tout simplement, et c'est bien le plus probable, qu'ils ne soient que ratures. Rien à inscrire dans le marbre ni sur le papier. Des lecteurs inconnus, une publication virtuelle, un clic et tout disparaît.. Je souhaite que mes textes dialoguent un instant avec vous puis que vous en usiez comme l'abeille des fleurs mais si je suis dans l'illusion, qu'ils passent comme un souffle sans parfum.

J'arrête là ce déballage impudique. Impudique ? Alors pourquoi le communiquer ? Je me le demande moi-même et n'ai d'autre réponse que parce que cela s'impose à moi et constitue mon ascèse. Il faut bien un jour renoncer à l'accessoire pour reconnaître en soi l'essentiel avant de rejoindre l'indistinct.

Jean-Marc Riquier

 

 

 
   

 

Annexe : un texte inédit de Jean-Marc Riquier,
inspiré du même thème

 

 

 

 

 

 

Haut de page
Retour
Accueil
Visiter les pages personnelles de l'auteur
Ecrire à l'auteur