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The spaghetti incident
Elle ne comprend rien. Ca fait des années qu'elle ne comprend rien et pourtant je reste avec elle.
- Le plafond du salon est beaucoup trop bas. Que je lui ai dit. Il est beaucoup trop bas ce plafond ! Ca me rend malade de voir des plafonds si bas nom de Dieu ! On est quand-même pas des termites !
Elle ne comprend rien. Elle m'a regardé comme si j'avais proféré je ne sais quelle obscénité, après quoi elle a haussé les épaules. Vous parlez d'une réaction !
- Putain mais ose donc me dire que ce plafond n'est pas beaucoup trop bas ! Allez ! Vas-y donc ! Là, juste pour voir si t'en es capable ! - T'énerve donc pas. Elle a dit. Non, elle a marmonné. Alors pour le coup ça, ça m'a vraiment contrarié. Je me suis levé d'un bond et j'ai balancé le plat de spaghettis d'un revers de la main. Le saladier a entamé un vol surprenant jusqu'à la télévision contre laquelle il a volé en éclat. Putain ! Alors ça aussi ça m'a contrarié ! Plus de télé maintenant ! Un plafond trop bas et plus de télé ! J'ai bien cru que j'allais devenir cinglé. Elle, elle a rien dit. Elle est restée là comme une statue de cire avec sa connasse de fourchette à la main et elle a continué de me regarder avec cet air de ne rien regarder. J'ai pris mon manteau et je suis sorti prendre l'air et me calmer. Dehors il faisait nuit. Et comme on habite en banlieue, quand il fait nuit, il fait noir. C'est pas la peine de chercher un réverbère vu qu'il n'y en a qu'aux croisements de rues, et encore, quand ils fonctionnent, ce qui n'est pas le cas si souvent. J'ai pris la voiture et j'ai roulé jusqu'au premier tabac ouvert. Je me suis payé une cartouche de Pall Mall et un truc à gratter. J'ai gratté le truc et bien sûr j'ai rien gagné du tout. Ca m'a bien contrarié. J'ai ouvert un paquet de cigarettes et j'en ai fumé trois d'affilée. Combien de chances y avait-il pour que cette saleté de saladier rempli de spaghettis tièdes aille se fracasser pile poil contre le téléviseur situé à l'autre bout de la pièce et que j'avais payé une fortune à peine un mois plus tôt ? Combien de chances ? Peut-être une sur un million ! Et combien y avait-il de chances pour qu'en grattant le coupon de jeu je tombe sur le gros lot ? Peut-être aussi une chance sur un million ! Pareil ! Exactement pareil ! Sauf que le destin a décidé que moi, je serais gagnant au concours du lancer de saladier rempli de spaghettis tièdes et pas à celui du jeu de grattage à la con ! C'est pas contrariant ça? J'ai commandé une bière, puis une autre, puis une troisième.
Elle ne comprend rien. Elle n'a jamais rien compris à rien de toute manière. Je me demande pourquoi je reste avec elle. C'est pas à cause du gosse vu qu'il n'est pas de moi et que d'ailleurs, s'il était de moi je serais mort de honte d'avoir produit un crétin pareil. Ca a seize ans et ça se croit capable de critiquer tout le monde. Il a vraiment quelque chose de pathétique ce con avec ses cheveux longs et son blouson de cuir noir que lui a payé son crétin de père. A chaque fois que j'essaye de lui parler, elle se ramène aussitôt et y va de son "sois donc conpréhensif" qui me donne envie de tout casser.
A l'époque pourtant on était bien elle et moi. On n'avait pas le mioche sur les bras et on allait même au cinéma tous les mois ! Fichtre ! Les choses ont bien changé. Maintenant j'ai plus envie de rien faire avec eux. Moi je voudrais me tirer sans rien dire à personne et refaire ma vie très loin, peut-être bien aux USA. J'y suis jamais allé aux USA. Jamais. Non. Quand j'étais petit je rêvais d'y aller aux USA. Je me disais que j'irais en Amérique dès que j'aurai dix-huit ans et que je deviendrais acteur. Finalement, quand j'ai eu dix-huit ans, je suis allé en taule et je suis devenu drogué, ce qui n'avait pas grand chose à voir avec ce que j'avais prévu. C'est la vie. C'est ça que je me dis quand j'ai le blues. Je me dis ça et après ça va un peu mieux. Un peu seulement parce que ça ne change rien au fait que j'ai cinquante ans et que j'ai légèrement foiré ma vie. Mais bon, là encore, c'est la vie. On y peut rien, ou plutôt, on n'y peut plus rien. C'est trop tard. C'est comme quand on se pointe au cinéma et que la séance est déjà commencé. C'est exactement pareil. Moi, je me suis pointé au cinéma de ma vie et la séance avait déjà commencé. Pas de chance. J'aurais pourtant fait un bon acteur. Surtout quand j'étais jeune parce que quand j'étais jeune j'étais beau. Enfin, pas beau mais mignon. En tout cas j'étais pas laid, ça c'est sûr. Des fois, quand je voyais un film, je me disais que j'aurais fait des merveilles dans le rôle principal. Dans un film comme Rocky par exemple. Parce que à cette époque là je faisais du sport en plus ! Donc j'aurais même eu le physique idéal pour jouer ce rôle là ! Prenez la montée des marches. Eh bien la montée des marches, avec moi ça aurait été une scène encore plus émouvante.
Moi quand j'étais jeune j'avais plein de rêves et aussi plein de volonté. Pas comme ce petit crétin à la maison qui passe son temps libre vautré sur son lit à écouter du hard rock avec des tapettes aux cheveux longs qui braillent des fuck à tout bout de champ. Il passe son temps vautré dans son lit à rêver sur des posters de tapettes en pantalons de cuir ultra moulants et le torse nu avec tout plein de bracelets de tapettes. J'arrive pas à comprendre comment on peut rêver sur des trucs pareils. C'est aberrant. C'est complètement aberrant. Vous allez voir qu'un de ces soirs il va nous revenir tatoué ce con ! Il en est bien capable ce petit crétin. Et vous allez voir que ce jour là sa conne de mère dira l'air navrée qu'il faut être compréhensif. Tu parles ! Je lui en foutrais moi de la compréhension ! Et puis de toute manière il n'y a plus rien à comprendre dans ce monde parce qu'il se barre en couille et que ça sera bientôt un tel foutoir qu'on ne pourra plus revenir en arrière. Le pire dans tout ça, c'est que c'est moi qui vais passer pour un hystérique quand je vais revenir à la maison. Elle aura ramassé les spaghettis, débranché le téléviseur et se sera mise au lit avec un des ses bouquins à la con d'Alexandre Jardin de mes couilles histoire de bien me faire remarquer qu'elle est plus maline que moi qui ne lis jamais rien à part les programmes télé, que je ne lirais même plus d'ailleurs vu que la télé, on l'a plus.
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