La pierre douce
Dans le ciel d'hiver
La froide violence de l'eau
Solide au milieu de la pente
Je peux parler anglais
Hier encore,
*
La vie comme un roman
Au début il faut un meurtre.
II
Il faut dès l’enfance approcher le papier
Le toucher le caresser le casser le plier
Voir dans chaque feuille un avion
Une cocotte un chapeau pointu
Une vraie fleur qui s’ouvre sur l’eau
Si l’on veut apprendre plus tard
A plier le silence avec les mots
Pour avoir un avion de paroles
Le lancer faire la nique à la pluie
Qui descend la rue du soir au matin.
III
Aujourd’hui le ciel vide
Comme un coeur qui s’emballe
Laisse éclater les arbres
Entre les doigts du vent.
Les dernières hirondelles
Délaissent la transparence
En fuyant au ras du sol
Vers l’été qui les attend
Dans les sillons de leur corps.
Sur l’océan des crêtes blanches
De leur violence éclairent
Ce matin de septembre.
IV
Sur la place les maisons
De pierre de brique et de broc
Sont les coquilles illusoires
Des pauvres vies passées
A les faire à les défaire
Dans le bruit pétrifié des villes.
Un mur qui penche un peu
Donne un ventre à la maison,
Presque un visage,
Quelques souvenirs d’enfance.
V
Hommage à Marcel Delpastre
Je voudrais peindre pour toi
Une nature morte
Avec un vieux panier de fer
Où le soir s’endormirait
Sur trois douzaines d’oeufs.
Lorsque le désespoir s’attablerait
Je réveillerais le soleil
Sous l’espèce savoureuse
D’une omelette dorée.
Il faudrait des raisins aussi
Pour apprivoiser la nuit.
VI
La lune astre mort
Passe entre les arbres
Comme le vide familier
Traverse la forêt des mots.
En écrivant je me demande
Si les images comme l’amour
S’usent de trop mentir...
Passant près du puits
Je te salue Thales
Et viens trinquer avec toi
Heurter nos verres où vacille
Tremblante entre deux mondes
La liqueur froide des étoiles.
VII
Dessin d’enfant
On reconnaît facilement
Des bulles patates
Ce sont des chiens
Comme on en voit la nuit
Rôdant sous les paupières.
Pour les chasser il faut crier,
Allumer une lampe.
Avant d’éclater ils essaient d’aboyer.
Le matin les fait taire
Avec des feuilles de tilleul
Trempées dans le soleil frais
Quelques trilles de troglodyte,
Des bruits de voix et de tasses.
VIII
Dans sa chambre d’hôpital
Elle est assise près du lit,
Le regard fixe.
La nuit gagne son corps.
Rouillée la paix se troue.
Seuls quelques mots
Eclairent son visage
Un instant.
Hier, prise dans le noir,
Elle appelait,
Incapable de bouger,
Les mains enflées,
Les draps trempés.
Ce matin elle sourit,
Demande des fleurs de son jardin.
IX
Dans la rumeur du train
Qui roule sa routine
Les passagers vont seuls
Avec un roman plein d’aventures,
Un baladeur qui tourne en rond
La danse des songes sous leurs paupières bleues.
L’ancien boxeur
Qui dévidait sa vie pour la banquette vide
Descend à Libourne
Appuyé sur sa canne
S’éloigne sur le quai renfonce sa casquette.
Puis c’est le fleuve gris
Derrière la vitre
Qui passe entre les galets.
*
Le soir frémit de l'appel du vent
Le bouleau lui répond
Et le prunier...
Le blanc bouleau tremble
Le prunier couleur de sang
Respire calmement...
Le vent caresse les plis du soir
Tandis que j'écris ce poème
Sur la table du jardin
Les graines de bouleau
Meurent sur ma feuille blanche.
Le soir s'attarde et féconde
L'arbre de mon sang.