|
Je voudrais écrire des poèmes parfaitement inutiles. Je suis fatigué de
ceux qui servent à combattre, à blesser, à tuer, à guérir, à se sauver, à
s’illuminer, à jouer au poète, à se divertir, à se faire plaindre, à se faire
aimer, à se faire détester, à passer le temps, à gagner de l’argent, à perdre
ostensiblement de l’argent, à masquer le vide, à dépeupler la nuit, à
peupler l’insomnie, à jouer, à gagner, ou même plus simplement de ceux
que l'on utilise comme appeau pour attirer les girafes.
Je veux des poèmes
aussi parfaitement inutiles que des personnes, des animaux ou, selon
certains textes bouddhistes, l’illumination. Il me semble même que c’est à
proportion de son inutilité qu’un texte est poétique. C’est comme tous
les objets : prenons, cher lecteur, le câble téléphonique qui vous permet
de lire ce texte. Il vous est utile, c’est pourquoi il n’existe aucunement à
vos yeux. Autant de présence à l’écran qu’un acteur de téléfilm français !
Seule, du moins je le voudrais, cette page vous paraît présente.
Mais voici que, l’oeil fatiguée ou la bourse vidée par vos cyberséjours
prolongés, vous abandonnez l'écran pour gagner votre jardin. L'été range
ses moutons. Sur le fil téléphonique le soleil, déjà ce soleil oblique de
l’automne, posé près de trois hirondelles.
Il ne vous sert plus à rien, ce
damné fil ! Il vous saisit simplement : c’est un poème presque, une
phrase nominale, l’odeur du Haiku que vous venez de perdre. Car déjà la
mémoire de l’homo faber vous envahit. Il vous revient que vous devez
voir les oiseau sur le fil comme des notes sur une portée musicale. Il vous
revient que c’est un symbole de l’harmonie. Et ça tombe bien, vous aviez à
l’instant un vague sentiment de bien être qui pouvait passer pour de
l’harmonie. Appelez pythagore, vite! Et que trompètent les sphères. Le
signe vous fait signe : la présence de l’être s’envole, et les hirondelles
qui rêvent d’Afrique. Utile ! Voici votre sortie socialement rentabilisée
lorsque vous communiquez l’image convenue à ceux qui vous féliciteront
d’être poète ( "mais où va-t-il chercher tout ça... cher rêveur"). Ceux qui
sont tellement heureux que vous disiez bien mal ce qu’ils sentaient
confusément en regardant les actualités télévisées.
Mais le poème, le
vrai, vous l’avez laissé fuir, entre les mailles de votre filet de mots. Le
poème, cette présence qui ne sert à rien, cette unité secrète (et tellement
évidente) de l’être. Du coup vous avez le sentiment d’être inutile, et vous
ne songez même pas un instant à vous en réjouir.
|
|