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Marais
Je m'appelle Hélène. J'habite avec ma famille dans un cottage au nord du nord de la Picardie. Notre vieille maison est propre et bien rangée. La marâtre y met un point d'honneur, pour qu'elle n'aie pas honte quand nous recevons. Nous louons deux chambres à la petite semaine, parce que père a du mal à arracher notre subsistance aux anciens marais. Il dit que tout pousse de travers ici, que les marais sont maudits, que c'est à cause des sorcières qui s'y sont noyées.
C'est vrai, quand père avait posé les drainages pour enlever l'eau de la terre, il avait trouvé des os et il est allé chercher les gendarmes. Ils ont dit que ce sont des très vieux os et qu'on saura jamais d'où ils sont venus.
Mais les gens ici, on connaît l'histoire des sorcières du marais. C'était il y a longtemps, mon arrière grand-père était même pas né, c'est dire que c'est vieux. C'était des femmes de mauvaise vie qui parlaient aux crapauds. Elles attiraient les hommes dans les marais et les tuaient pour pactiser avec les démons en échange du pouvoir.
Moi, je suis une sorcière. Je l'ai dit à mon père au début. On m'a menacé de m'enfermer chez les fous si je continuais à raconter des contes pour dormir debout. Alors j'en parle plus, sauf avec maman, quand elle vient me voir la nuit. Elle se cache dans la peau d'une souris. Je lui parle et elle m'écoute. Je lui ai dit, à maman, que je suis une sorcière. Elle, elle croit tout ce que je dis.
Je sais que j'en suis une, parce que quand j'avais seize ans, j'ai aimé un homme. C'était un voyageur venu habiter chez nous pour quelques jours. Il avait des livres et il écrivait des belles choses. Il notait ces jolies phrases dans un carnet. Ca s'appelle un poète, il m'a dit. Il me lisait des choses qu'il écrivait et j'aimais bien. Ca me faisait drôle d'avoir un ami, quelqu'un qui me parlait et qui m'écoutait. La marâtre n'aimait pas ça. Elle me guettait toujours d'un oeil, que sorcière comme j'étais, je pourrais me faire engrosser.
Alors on se retrouvait vers les marais pour être tranquille. Puis une fois, il a posé ses mains sur moi. J'ai rien dit. Il me racontait que je lui faisais perdre la tête, qu'il était envoûté par moi. Ca me faisait rire et ça me faisait peur, parce que j'aimais ça, de l'envoûter. Puis un jour, c'était fini. Il est parti sans rien dire et je ne l'ai jamais revu. J'ai été triste.
Quand la marâtre a vu mon ventre grossir, elle a tout dit à mon père. Que j'étais une sorcière, que j'allais attirer la honte sur la maison. Alors ils m'ont donné des herbes pour que ça passe. J'ai pleuré beaucoup. J'aurais voulu garder le bébé. Il aurait été peut-être un poète, comme son père.
Mais ça, c'est le prix à payer aux marais pour gagner le pouvoir. Je le sais, parce que c'est un peu après que ça a commencé. Je pouvais parler aux souris et aux araignées de la maison. On discute de tous les secrets que nous connaissons.
Alors ça m'amuse de tout nettoyer la maison, de voir mon père se tuer la santé en asséchant les marais, de voir la marâtre être aimable avec les voyageurs, quand je sais, moi, toutes les choses dégouttantes qu'il y a dedans eux, et qu'ils essayent de cacher, à vouloir changer comment les choses elles sont.
Mais ça, c'est mon secret... d'avec les bêtes de ma maison.
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