Silvaine Arabo

 

SANG D'AME

Extraits

Editions Les Petits Cahiers Poétiques d’Europoésie, n° 24

 

 

" A l’Immortel en nous
A toi, qui toujours ressurgis... "



    Le soir il marche, dans sa tête à elle. C'est toujours cette même douleur de poignard. Sans le cri. Il faut attendre que le Temps développe son parfum inimitable, cette fragrance qui n'appartient qu'à lui, par-delà les dérisions d'un quotidien qui n'aura servi qu'à l'élaborer. Alors se lève cet immobile mouvement de ce qui ne passe pas, alors l'éphémère bascule dans l'éternel.
    A chaque renaissance, quand l'alchimie du dérisoire n'est pas consommée, elle revoit - Oiseau-Phoenix- ce geste d'avant, ce signe des yeux venu d'ailleurs, d'un Temps hors du temps parce qu'il a crié ses blessures dans le temps précisément, le temps dérisoire des horloges.
    Alors, à travers le prisme de la conscience, elle le reconnaît. Elle veut l'atteindre, il lui échappe. Elle avance la main de l'âme : il continue de regarder, visage de sphinx,

    Et ce demi-sourire, si particulier.

    Le reconnaîtrait-elle si elle le croisait aujourd'hui dans la rue ?

 

 

 

    Elle se heurte à ce vide en elle d'immenses cathédrales : des cathédrales dans les neiges - un grand Nord, un désert - avec cette opale, cette lumière des vitraux, derrière l'Hiver.
    Elle pleure le feu perdu, les jeux simples des jeunes femmes dans les nuits d'été, les nuits du Sud.
    Aujourd'hui encore elle se souvient, tentant à travers ses larmes de lamper avidement ces zébrures sur la glace, ces traces de roues sur la neige, ces déserts glacés que les planches disjointes du temps, parfois, lui laissent entrevoir.

    Elle mourut légère cependant - le poids d'un oiseau - se souvenant de son rire, à lui, de son amour, crachant le sang de sa trahison, parmi les roses.

 

 

 

    Abdique toutes tes échauffourées et viens mourir sur son coeur: elle a parcouru tant de ruelles indécises avant de se décider au pardon ! Elle a saturé les confitures aigres du souvenir, sacrifié aux rites des échelles, pratiqué le remords et ses torsions d'insecte, à ta place.
    Elle en a fini. Ou presque.
    Fallait-il que l'amour fût fort pour qu'ainsi elle se ressouvînt de toi, transi par ce matin d'hiver - souviens-toi - où pas un oiseau ne chanta

    Pour saluer ton égoïsme et ta trahison.

 

 

 

    Sache-le : toujours le vent me fut complice. Et ses dégringolades d'oiseaux dans l'air sans arbres du matin.

    Déserts ! Déserts ! Comment avais-je pu oublier vos pliures, comme des cicatrices tendues vers la mer !

    Ô Sables !

    Un jour que mon amant m'avait désertée, je fus courir vos embouchures, fleuves dont le grain est archétype, rainures de cristaux, rainures glacées sous la nuit : c'est ici, sous les chameaux morts, qu'un jour il a fallu m'enterrer, quand tu faisais la fête et narguais sans le vouloir les vecteurs aigus de ma douleur.

    Alors j'ai décidé que le sel était mon seul ami, et je le chante, vois-tu, à l'égal de toi.

 

 

 

    Certain que seul le chant peut encore mesurer le son ancien de ton pas, ces pavés inégaux, la mélodie âcre de ta voix, ce sourire dont tu aimais à jouer avec les femmes.
    Certain que ma colère m'habite encore, en dépit du pardon ( les choses ne sont pas si simples ! ), certain que mes fibres les plus subtiles s'épuisent à te cerner, à te ressusciter, voyou de l'âme, truand de toutes les mécréances, beau limier qui me cloue encore de tous ses sexes

    Et de tous ses regards.

 

 

 

    Plages qu'avec toi je n'ai pas mesurées, isthmes que nous n'aurons pas franchis !

    Nous ne possédons en commun que quelques broussailles, des marais pleins d'oiseaux - O sauvagines ! - les déserts, surtout, les déserts !
Attends que je revienne de mes Norvège en flammes, de toute cette géographie intérieure où sans cesse je me fourvoie, de mes passes d'armes, au garde-à-vous devant le mot - mon seul refuge -, de tous les mannequins sanglants qu'habite ma mémoire. Attends.

    Je serai forte ensuite.

    Attends que j'exorcise les phosphores amers de tes désirs, ton abandon
    - pour rien - mon sang qui ne sert plus sans toi
    Et puis
    Tous ces recoins de siècles où sans cesse tu me viens piéger,

    Puis jeter,
    Comme on jetterait la mer.

 

 

 

    Tu disais que j'étais ton égérie, ta bonne étoile infinie. Et puis sur le front des bohémiennes tu as inscrit la croix de ton silence. Tu as marqué au fer rouge toutes les tribus qui font s'entrouvrir la mer. Quel fruit pouvais-tu faire mûrir à cet holocauste des princesses ?

    J'ai divagué longtemps parmi nos ruines, appelé à l'éternelle vengeance : tu es tombé, comme un adolescent trop pâle.

    Et tous mes coquelicots - ceux qui coulent comme des fleuves - jamais n'endormiront ces cicatrices de l'âme, qui ressemblent aux replis des sables dans un désert trop blanc.

 

 

 

    Le temps et ses vitraux. Organise en un cosmos - une cathédrale- ce qui fut chaos, dans toutes nos fondrières.

    Givre.

    Sans doute n'y a-t'-il rien à regretter.
    Sans doute tout est-il à sa place ?
    Qui dira ?

    Il se peut qu'un puzzle gigantesque préside à nos destins de cormorans, tantôt nous foudroyant, tantôt nous magnifiant.

    Comprendre.

    Le faut-il ?

    Une seule chose : dans cette débandade des apparences, l'oiseau vermeil de ma gorge chante pour toi,

    Mon Aimé

    Mon Ennemi.

 

 

 

    La seule ouverture qu'aujourd'hui je livre, la devineras-tu derrière ces pauvres ruses ?
    Si tu pleures sans comprendre, dans ta langue à toi, sache que j'aurai caressé tes cheveux et jusqu'à l'insolence de tes dédains.

    Sache la beauté des pierres transmuées, dans les labyrinthes du temps.

    Sache que j'aurai aimé - jusqu'à la passion - cette fleur rouge qui rappelait le sang,

    L'escarboucle.

    Et aussi, par- delà les apparences, ta réalité de Prince.

    Mais sans royaume.

    Aujourd'hui je couche nue
    Et seule.

 

 

 

    Des abeilles qui font leur miel. J'entends le bourdonnement blanc - à d'autres imperceptible - de toutes ces séquences et de leurs alternances : rumeurs subtiles, si réelles, avec leurs crevasses, leurs gerçures, la finesse de leurs tracés.

    Le monde n'est qu'une immense ruche où s'opèrent les mystérieux transferts que veille, inlassable, infiniment plus haut que sa cathédrale,

    L'Ange du Sourire.

    Les apparences sont écorces qu'il faut briser, test fondamental, lions imaginaires. Il y faut ce courage de l'affrontement: alors s'effritent les façades, comme un gâteau que l'on émiette.

    Et tu m'es révélé, par-delà toute douleur,
    Ou à cause d'elle.

    Alors je sais combien je t'aime

    Et tu me re-connais.

 

 

 

    Attends la préférence et ces canaux bleus des Venise désertées: j'aime aussi l'hiver. Le sol résonne mieux sous les pas. Il y a dans la liquidité du gel quelque chose qui me fait ressouvenir de toi, derrière tes fureurs, feintes ou non.
    Les mots ont remplacé les mouchoirs de batiste et c'est tellement plus
fin, ces vibrations qui courent d'un bout à l'autre de nos territoires.

    On pourrait donner à cela bien des noms. Mais ce serait enfermement. Et je m'y refuse.

        Revenons à Venise, à ses palais d'or qui s'enfoncent dans la lagune, à cette irréversibilité du temps qui passe : vers quels destins d'or et de boue?

    Peut-être est-ce la responsabilité du Rêveur ?

 

 

 

    Le poème dit toujours plus. Il déborde son objet. Comme le temps, il te fait le paladin d'un mythe dont ton être de chair n'est que l'en-deçà.

    Les revers de la Mémoire sont surprenants.

    Preuve que le Verbe est vivant et permanence de la Création.


 

 

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