Philippe Caquant

LES GENS DE L'ILE DE PIERRE

 

       Les gens. Menus, sans doute. Frêles - grêles ; peu manifestes : peu sûrs. Peuple crochu. Crispé. Peuple crépu de racines intersticielles. Texture de racines, syntaxe de la roche abrasée. Sous les pas, racines.

       Genou en terre. Les deux genoux ; et puis les mains - allongez-vous. Cédez à la rugosité saline. Desserrez les dents. Le gravier explore le palais. La roche amère rétracte la langue. Peu importe. Ecoutez. Ce sont les gens de l'île. Ils parlent. Pas à vous, non : ils se parlent. Se murmurent entre eux leurs pensées souterraines, leurs songes intriqués de racines - de très anciennes racines neuronales. Polyphonie infime, hymne subtil et intuitif. Ils vous pressentent là. Peut-être vous jugent-ils ; peut-être vous blâment-ils. Mais vous - comment le sauriez-vous.

       Et déjà vous vous arquez - et vous vous rigidifiez - et vous vous solidifiez. La respiration se bloque. La pensée durcit. Vous voici tronc, branche sèche, arbre pétrifié. Vous voici soudé au sol, soudé comme par le sel. Il faudrait pleurer, bien sûr, mais comment pleurer pierre ? comment crier roc, et mâchoires cimentées ? La voix serait pulvérulence.

       Et voici. Désormais, vous savez. Ce qui s'infiltre par votre gorge, ce qui s'instille dans votre cage thoracique, enserre vos vertèbres ; ce qui s'agrippe, ce qui s'incruste ; ce qui vous infibule ; ce qui vous étreint - ce qui vous aime...

... les gens de l'île de pierre.

 

 

 

 

 

CARNETS D'AUTOMNE

 

l'araignée
jette son châle dans les genêts
et ramène des bulles de rosée

*

dans le calme de la vallée
un seul feuillage éclate d'or
comme touché par un doigt

*

crissant sur la porcelaine du ciel
l'écorce du bouleau - on voudrait
désapprendre

 

* * *

 

                  Quel batteur fou fait crépiter les monts nocturnes
                  dans un fracas éblouissant de magnésium
                  La foule noire des forêts arc-boutée hurle
                  un monstrueux et sacrilège Te Deum
                  Sorciers ! je suis un voyageur, je suis un homme
                  humble, petit, sans intention maligne aucune -
                  je ne demande qu'à poursuivre mon chemin.

 

* * *

 

                     guetteur de saisons, veilleur exilé :
                     il pleut sur la mer du verre filé.

 

 

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