Emmanuel Hiriart

 

 

 


Fragment d'un brouillon:
Emmanuel Hiriart écrit à la plume

 

 

 

 

La pierre douce
Semble rire du vent
Et claire s'offre à la pluie
Froide comme le volet clos
Que les passants regardent.
Entre leurs pas pressés
Le silence fait un bruit curieux

 

 

 

 

 

 

Dans le ciel d'hiver
Passent les grues
Alignées pour la guerre
Leurs cris sont gris
Semblables au temps.
Elles passent, et ne restent
Que points, ligne, point
Plus rien
Le silence, comme déchiré.

 

 

 

 

 

 

La froide violence de l'eau
Eclate. Et la roche
Aveugle, muette, monumentale.
Toujours à Gavarnie un poème s'écrit
Avec les mots mûris
D'un chant plus ancien.
Au plus pur de la source,
Dans le fracas froid du gouffre,
Un vertige
Au coeur de la langue
Inextinguible flamboie de nouveau,
Déchire les masques,
La politesse usée des phrases invétérées
Dans le secret de son silence.
Et c'est sur le chemin du retour
La couleur dans les prairies des fleurs
Le soleil régnant sur les êtres apaisés
Les mots qui s'élancent sans bruit
Invisibles félins des forêts de l'esprit.

 

 

 

 

 

 

Solide au milieu de la pente
L'Eglise est une forteresse
Plus forte au milieu du village
Que la tour d'orgueil qui s'offre aux vents.
Solide au centre du village
Elle a vu monter les maisons lourdes
Les hommes dos cassé sous le foin
Le troupeau bête des moutons à clochettes.
L'Eglise est carrée ses pierres sont carrées
Un chrisme simple clôt son enceinte
Tour elle garde le silence
Comme le fruit fragile du premier amour
Qu'il faut sauver des hommes et des cimes.
Mais parfois il s'enfuit seul sur les pentes,
Vole le vol des vautours,
Frémit sur les lèvres d'un passant
Qui le perd sans l'avoir vu passer.

 

 

 

 

 

 

Je peux parler anglais
Chien sans doute
Et même merle,
Chêne parfois
Mais les rochers
Sont


trop


Lents


Désespérément


Mais,
Dans la voix

Des torrents
Monte l'écho de leurs paroles,
La lente épopée minérale
Qui veillait, à l'aube
Pour l'entendre?

 

 

 

 

 

 

Hier encore,
Ici,
Les gens voyaient Mari
La blanche
Paraître au seuil des cavernes
Ils voyaient
Les Laminak dans les moissons
Des hommes sauvages
Couraient la montagne et cachaient
Leurs trésors dans les jardins de pierre
Où gisent les morts
Ils appelaient la Lune
"Ilargi"
Le soleil "iguzki"
Dieu "jainkoa"
(ce n'étaient pas leurs vrais noms)
Pour eux
"Tout ce qui a un nom existe"
"Il ne faut pas croire que c'est vrai,
Il ne faut par dire que ça n'existe pas"
Je reprends ces paroles
Comme un sentier de berger
Tracé dans la montagne
Et je crois comprendre:
C'est là que j'écris.

 

 

 

*

 

 

 

La vie comme un roman

Au début il faut un meurtre.
Puis avec une loupe
On découvre des signes
Dans le salon dans la cuisine.
Le mort se calme lentement,
Respire plus calmement,
A la façon des pierres qui le couvrent,
Le cachent et l’apprivoisent.
Le monde enfin s’ordonne
Beau comme étaient les livres
Lorsqu’il y avait des philosophes
Pour le repeindre chaque année.
Adieu fantômes adieu misère
Adieu cher inconnu
Adieu mes rêves noirs que j’avais tant aimés...
Les enfants se marient
C’est l’heure d’oublier
L’indispensable victime.

 

 

 

 

 

 

II


Il faut dès l’enfance approcher le papier
Le toucher le caresser le casser le plier
Voir dans chaque feuille un avion
Une cocotte un chapeau pointu
Une vraie fleur qui s’ouvre sur l’eau
Si l’on veut apprendre plus tard
A plier le silence avec les mots
Pour avoir un avion de paroles
Le lancer faire la nique à la pluie
Qui descend la rue du soir au matin.

 

 

 

 

 

 

III


Aujourd’hui le ciel vide
Comme un coeur qui s’emballe
Laisse éclater les arbres
Entre les doigts du vent.
Les dernières hirondelles
Délaissent la transparence
En fuyant au ras du sol
Vers l’été qui les attend
Dans les sillons de leur corps.
Sur l’océan des crêtes blanches
De leur violence éclairent
Ce matin de septembre.

 

 

 

 

 

 

IV


Sur la place les maisons
De pierre de brique et de broc
Sont les coquilles illusoires
Des pauvres vies passées
A les faire à les défaire
Dans le bruit pétrifié des villes.
Un mur qui penche un peu
Donne un ventre à la maison,
Presque un visage,
Quelques souvenirs d’enfance.

 

 

 

 

 

 

V


Hommage à Marcel Delpastre

Je voudrais peindre pour toi
Une nature morte
Avec un vieux panier de fer
Où le soir s’endormirait
Sur trois douzaines d’oeufs.
Lorsque le désespoir s’attablerait
Je réveillerais le soleil
Sous l’espèce savoureuse
D’une omelette dorée.
Il faudrait des raisins aussi
Pour apprivoiser la nuit.

 

 

 

 

 

 

VI


La lune astre mort
Passe entre les arbres
Comme le vide familier
Traverse la forêt des mots.
En écrivant je me demande
Si les images comme l’amour
S’usent de trop mentir...
Passant près du puits
Je te salue Thales
Et viens trinquer avec toi
Heurter nos verres où vacille
Tremblante entre deux mondes
La liqueur froide des étoiles.

 

 

 

 

 

 

VII


Dessin d’enfant

On reconnaît facilement
Des bulles patates
Ce sont des chiens
Comme on en voit la nuit
Rôdant sous les paupières.
Pour les chasser il faut crier,
Allumer une lampe.
Avant d’éclater ils essaient d’aboyer.
Le matin les fait taire
Avec des feuilles de tilleul
Trempées dans le soleil frais
Quelques trilles de troglodyte,
Des bruits de voix et de tasses.

 

 

 

 

 

 

VIII


Dans sa chambre d’hôpital
Elle est assise près du lit,
Le regard fixe.
La nuit gagne son corps.
Rouillée la paix se troue.
Seuls quelques mots
Eclairent son visage
Un instant.
Hier, prise dans le noir,
Elle appelait,
Incapable de bouger,
Les mains enflées,
Les draps trempés.
Ce matin elle sourit,
Demande des fleurs de son jardin.

 

 

 

 

 

 

IX


Dans la rumeur du train
Qui roule sa routine
Les passagers vont seuls
Avec un roman plein d’aventures,
Un baladeur qui tourne en rond
La danse des songes sous leurs paupières bleues.
L’ancien boxeur
Qui dévidait sa vie pour la banquette vide
Descend à Libourne
Appuyé sur sa canne
S’éloigne sur le quai renfonce sa casquette.
Puis c’est le fleuve gris
Derrière la vitre
Qui passe entre les galets.

 

 

 

*

 

 

 

Le soir frémit de l'appel du vent
Le bouleau lui répond
Et le prunier...
Le blanc bouleau tremble
Le prunier couleur de sang
Respire calmement...
Le vent caresse les plis du soir
Tandis que j'écris ce poème
Sur la table du jardin
Les graines de bouleau
Meurent sur ma feuille blanche.
Le soir s'attarde et féconde
L'arbre de mon sang.

 

 

 

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