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Il y a presque autant de poétiques que de poètes.
Pas lieu de le déplorer, pas même lieu de s'en étonner:
chacun cherche sa voie, et à chacun il semble plus beau
que la sienne soit universelle. Il suffira de garder à
l'esprit que toute poétique s'autopréface d'un "à
mes yeux" (et d'un "à mon oreille" également,
bien entendu...). De même, le poète gagnerait souvent
à dire "ce que j'ai voulu faire" plutôt
que "ce que j'ai fait ". Sa modestie également.
La poésie est essentiellement travail sur la
langue. Il convient de prendre les deux termes clés
dans un sens très large. Travail désigne
aussi bien le processus de maturation inconsciente qui donne au
poète sa première ligne que ses essais de nombreuses
variantes, ses ratures et ses remords, etc. La langue est
ici bien plus que le code; c'est également l'ensemble de
tous les textes, car de proche en proche un texte conduit à
tous les autres. Le système de résonance est, on
le sait, infini. 
On ne s'empressera donc pas d'opposer vates et artisan:
c'est bien le même animal. Et la première ligne que
nous soufflent les Dieux finit le plus souvent à la poubelle.
Ou survit, méconnaissable, simple syntagme imbriqué
dans un matériau qu'on avait cru moins noble. 
Croire en l'inspiration, en fin de compte, ce n'est rien d'autre
que croire en un processus très lent et long de formation
de la poésie quelque part en nous, en profondeur, loin
de notre travail conscient, et pratiquement jamais accessible
dans sa plénitude. 
Seuls ceux qui n'écrivent pas s'étonnent qu' Une
saison en enfer ne soit pas jailli tel quel, premier jet,
de la plume de Rimbaud. Les précieux brouillons témoignent
d'un travail qui conduit à produire ce qui se lit comme
un premier jet. Pas d'odeur d'huile, mais la lampe est restée
allumée le temps qu'il fallait. 
Poésie de circonstance: de l'exécrable à
l'excellent (un certain Malherbe). Le sujet ne fait rien à
l'affaire. Le poème ne part pas d'une idée, ni d'une
expérience, ni d'un sentiment. Il part d'un bout de langue,
c'est un morceau de la toile textuelle qui le met à son
affaire. Le poète n'a rien à vous dire. Il parle
à la langue, il s'adresse à tout ce qu'elle fait
pour lui. Il est semblable à l'alpiniste, qui remercie
la montagne de l'avoir porté si haut. 
L'attention jamais relâchée que le poète porte
à la langue lui permet de produire des textes de très
haute densité, développant des réseaux serrés
de relations intra et inter-textuelles. C'est dire que le poème
devra trouver lecteur. Il ne s'ouvrira pas à n'importe
qui - à celui pour qui la langue n'est qu'instrument et
le texte communication il n'aura pas grand-chose à dire.
Mais il ne parlera pas non plus à celui qui veut se faire
passer pour intelligent, lettré, etc. à ses frais.
Il donnera à ce lecteur ce que ce lecteur lui demande,
mais gardera ses dons pour celui qui ne vient rien chercher, mais
au contraire apporte tout ce qu'il a, c'est-à-dire avant
tout ce que d'autres textes lui ont donné. Dons de part
et d'autre, mais pas de donnant donnant. Ce give and
take n'est pas à sa place ici. 
Le poème (le poète à travers le poème)
joue sur tous les plans de la langue et du texte: le matériau
phonique et graphique, le sens véhiculé (métaphores,
métonymies, etc.), les liens noués avec les autres
textes (citations ouvertes, cachées, tronquées,
allusions, conventions de genre, etc.). Selon le plan où
le poème se révèle le plus riche, il sera
plus ou moins traduisible. Il faut se garder de clamer que toute
poésie est intraduisible. Tout ne passe pas, certes. Mais
il y a des poètes mieux traduisibles que d'autres: Juarroz
se traduit mieux que Lorca, qui se traduit mieux que Racine (lequel
s'écoule entièrement sans que le vase récepteur
n'ait l'occasion de prouver son étanchéité).
Juarroz se traduit mieux: c'est que - poétiquement - il
ne fait pas appel à l'espagnol en tant qu'espagnol; ce
qui ne veut nullement dire qu'il ne fait pas appel à la
langue en tant que langue, et qu'il ne serait donc pas poète.

La possibilité de traduire est donc liée à
la nature des ressources langagières et textuelles exploitées
par le poème. Dans la poésie biblique (Psaumes,
Isaïe, Job,...), le parallélisme sémantique
et discursif passe bien, mais le souligné qu'il reçoit
grâce à la nature du matériau phonique (évidemment
lié à la langue du poème) ne peut trouver
d'équivalent direct, et la dispersion très tôt
menace. Un mot a plein d'amis et plein de proches (certains ne
sont pas mieux venus que les proches qui s'imposent à nous
comme tels car ils font partie de la même famille que nous,
à des lieues de toute affinité élective).
La moindre distorsion de l'enveloppe graphique et phonique du
mot conduit à d'autres mots, évoqués dès
lors par proximité. La traduction peut espérer importer
certains de ces amis et de ces proches, mais elle devra en sacrifier
bon nombre, et elle en amènera bon gré mal gré
de nouveaux que le poème (sinon le poète) ne pourra
sans doute pas accueillir sans avoir à redéfinir
son point d'équilibre. 
En gros, la traduction laisserait donc filtrer le signifié,
et bloquerait sur le signifiant? Ce n'est pas si simple. Les qualités
cruciales du signifiant sont souvent maintenues lorsque le passage
se fait vers une langue apparentée; quant au signifié,
bien subtil celui qui dira ce qui lui arrive dans ce transfert.
Le pauvre n'est même pas sûr de franchir sans encombre
la différence d'idiolecte qui sépare deux locuteurs
de la même langue. Bien souvent on convient de se comprendre
au lieu de se comprendre vraiment (cf. mes Fragments sur le sens).

Les manipulations du signifiant, en poésie, ont souvent
fait l'objet de systèmes de règles, plus ou moins
rigides et contraignants (métrique, rimes, assonances,
allitérations,...). On a parlé du carcan constitué
par l'hexamètre dactylique, qui va jusqu'à refuser
droit de cité à bon nombre de mots latins. Deux
choses me frappent: la première est que nous sommes impuissants
à comprendre ce que ce carcan signifiait vraiment, sa raison
d'être. On a bien appris à scander les vers latins,
mais on ne peut s'empêcher d'être certain que quoi
qu'ait été le système de scansion, ce n'est
pas celui qu'on nous propose: il est par trop ridicule et annihilateur
de tout rythme véritable, c'est-à-dire organique
et non mécanique. On a donc perdu la clef, et les efforts
des poètes latins (tel Horace, qui s'est appliqué
à importer des mètres grecs non moins contraignants)
semblent donc vains. Et pourtant, deuxième chose: nous
sommes persuadés que nous ne nous trompons pas grossièrement
dans notre évaluation de la qualité des vers latins,
et pas seulement car nous disposons souvent de la caution des
Latins eux-mêmes. La contrainte n'était donc pas
vaine, même si les buts rythmiques poursuivis ne sont pas
clairs pour nous. Alain déclarait qu'il n'y a de beaux
vers que réguliers (Propos de Littérature).
C'est aller trop loin, peut-être. Mais la contrainte a souvent
un effet positif: c'est qu'elle force à se concentrer sur
la langue. 
Malraux, quelque part dans Les Voix du silence, note à
juste titre que nous acceptons sans regret que les oeuvres d'art
soient mutilées, si nous ne les avons jamais connues dans
leur état premier. Personne ne désire que la Vénus
de Milo recouvre ses bras, et les visages de pierre rongés
de l'art roman ont une grandeur qu'ils n'avaient peut-être
pas lorsque le sculpteur venait de les achever.
Je crois que cette réflexion est aussi valable pour la
littérature. Mais avec cette différence évidente:
les mutilations qu'un texte subit sont non seulement celles que
le temps inflige dans sa transmission, mais proviennent aussi
de l'évolution irrésistible de la langue dans laquelle
le texte est écrit.
Le premier type de mutilation, comparable à celle que subissent
les arts plastiques, caractérise - pour donner un exemple
extrême - l'oeuvre de Sappho. Les quelques fragments qui
nous en restent sont des météores qui nous parlent
de planètes inconnues. Chaque mot y développe tout
un réseau de résonances. Serait-ce le cas s'ils
avaient leur place dans une oeuvre complète, ou préservée
en majeure partie? En dépit de ce que j'ai dit plus haut,
une certaine fermeture accompagne toute oeuvre achevée.
La langue aussi, en s'altérant, altère tous les
textes qui la documentent et en partie la constituent. Un texte
que nous pouvons encore lire dans l'original, mais qui nous résiste
linguistiquement (sans que nous ayons besoin d'une traduction,
toutefois; Montaigne serait un bon exemple), ne me semble en acquérir
que plus de valeur, à condition bien sûr que la résistance
qu'il nous oppose vaille la peine d'être vaincue. Ce n'est
pas une question de charme suranné ou de couleur d'époque.
Je crois que le concept clé est précisément
cette notion de résistance du texte qui, inévitablement,
nous ramène à lui, ne nous permet pas de l'épuiser
en un premier passage, dans une première lecture. Ce qui
rend cette première lecture plus difficile est précisément
ce qui va rendre la relecture possible. Ce qui mérite d'être
lu mérite d'être relu. Indéfiniment. Plaisir
du texte. 
Une poésie à contraintes formelles est éminemment
sujette à dégradation. Le signifiant se dégrade
plus vite que le signifié, en ce que ses propriétés
s'altèrent plus vite dans le temps: bon nombre de vers
de Racine sont faux, ou doivent être dits d'une manière
qui ne peut plus passer pour naturelle, et qui leur donne un air
déclamatoire et suranné dont ils se passeraient
volontiers. Les rimes anglaises de Pope ou de Dryden bien souvent
n'en sont plus - tea ne se prononce plus [tei]. Ici encore,
il ne faut pas exagérer le contraste entre la fragilité
du signifiant et la résistance du signifié. Le cheval
a toujours quatre pattes, une crinière et une queue - mais
c'est similitude de possibilité de référence,
pas similitude de signifié. L'animal cheval ne partage
plus notre vie de la même façon et partant le mot
cheval ne signifie plus la même chose. Il ne faut pas se
laisser obnubiler par une certaine fixité (toute relative
d'ailleurs) des espèces animales et végétales,
et de certains autres traits du monde naturel - la valeur, au
sens saussurien, a changé. 
Les contraintes de contenu n'ont certes pas été
absentes. Les topoi ont longtemps régné en
maîtres. Il y avait des choses qu'on disait en prose, des
choses qu'on disait en vers, et surtout, bien sûr, des choses
qu'on ne disait pas - du moins, qu'on n'écrivait pas -
du moins, dont on ne faisait pas de la littérature. Est-on
bien sûr d'être loin de tout cela, libéré
de toute contrainte de contenu, comme on semble libéré
de toute contrainte formelle? 
En fait, on n'est libre ni des unes ni des autres. Pour ce qui
est des topoi, ils ont changé, c'est tout. Quelle
vigoureuse famille de topoi pour nous que celle constituée
par l'impossibilité d'écrire, les traîtrises
du signifiant, les infidélités du signifié,
la mort du sens, l'impossibilité du silence, etc. etc.
Quant aux contraintes formelles, il est remarquable combien la
poésie contemporaine se remet à jouer avec, d'un
air pas sérieux, bien sûr, mais enfin ces enjambements
sont des enjambements (voyez le conrad detrez de William
Cliff, par exemple), ces demi-rimes sont des demi-rimes, et on
serait déçu si on faisait un vers boiteux qui ne
serait pas perçu comme tel. La contrainte est là:
elle nous renvoie tous les pieds-de-nez qu'on peut lui faire.

L'originalité, cette valeur clé depuis le romantisme,
est une bien piètre pierre de touche pour juger des oeuvres
littéraires. Je serais encore plus sévère
à l'égard de la sincérité, du moins
au niveau où on la place généralement. Une
belle oeuvre d'art est sincère par sa beauté même,
cette beauté qui est en harmonie avec ce qu'il y a de meilleur
en l'homme, et qui ne peut pas mentir. Mais la sincérité
des 'sentiments éprouvés' n'est vraiment pas de
ce niveau - sans parler d'une sincérité encore plus
méprisable, celle des situations et des personnages. Curieux
reproche que: il n'a pas pu la connaître car chronologiquement
... fadaises! 
Quelle force acquiert le Verbe d'être la source première,
ou, plus simplement encore, d'être le seul à être!
D'où la tentation - pour moi, irrésistible - d'habiter
poétiquement l'univers du croyant. On a reproché,
je pense, à Martinus Nijhoff de ne croire qu'à l'intérieur
de son oeuvre littéraire, pas dans la vie, donc de n'être
pas sincère. Comme je comprends Nijhoff, si cela est vrai!
Il est absurde de parler ici de manque de sincérité:
à l'intérieur de son univers poétique, il
est parfaitement sincère (je pense au merveilleux poème
sur Saint Jean et à un des sonnets de Voor dag en dauw:
De kamer hardt de lucht niet langer van). L'oeuvre serait
tout simplement ratée si on soupçonnait qu'il pourrait
s'agir uniquement d'un manteau de mots. L'univers qui se base
sur cette foi est poétiquement infiniment plus riche que
l'autre, du moins pour Nijhoff et pour moi. Pas de quoi devenir
schizophrène, pour autant qu'on reconnaisse qu'on est diversement
habité - il y a bien des pièces dans la demeure
du Père. 
Pendant de longs siècles on a vécu avec un système
de valeurs qui mettait l'imitation dans la position de choix où
nous mettons l'originalité. Le plaisir de reconnaître
dans une oeuvre les échos d'autres oeuvres, tout ce qu'elle
leur doit, la façon dont elle se les approprie: voilà
ce qui donnait prix à une oeuvre d'art. Je pense que nous
reviendrons à cette conception - le mouvement de retour
me semble déjà amorcé. Elle pourrait nous
amener à revoir quelques-uns de nos jugements de valeur.
Heredia, par exemple. Regardons-y mieux: Heredia n'est pas Leconte
de Lisle, n'est surtout pas Sully-Prudhomme. Il n'y a pas à
juger les Parnassiens en bloc. Heredia, c'est la merveilleuse
harmonie classique. Les Trophées (je note que l'exemplaire
que je possède appartient à la deux-cent quatorzième
édition chez A. Lemerre - elle date de janvier 1944) contient
quelques joyaux. Je ne peux qualifier autrement L'Oubli,
Le Chevrier, Le Naufragé, Lupercus,
Vitrail, Médaille antique et les merveilleux
sonnets de la suite Hortorum deus. Certes, Heredia n'y
parle pas de lui-même et ne cherche pas à faire l'original.
Dans Le Chevrier, par exemple, il se contente de donner
une forme parfaite et une musique exquise à la grande tradition
bucolique. Et ainsi il prend rang auprès de Théocrite
et de Virgile: pas si mal.
Deux des plus beaux poèmes de la poésie française
du vingtième siècle, Le Cimetière marin
et La Chanson du mal aimé, sont somme toute très
banals de 'contenu', j'entends par là les idées
ou sentiments qu'ils véhiculent. Et le sommet du Cimetière
marin n'est pas là où il se veut peut-être
moins banal, c'est-à-dire plus 'philosophique' (la célèbre
strophe sur Zénon d'Elée). 
L'éternelle question de la forme et du fond en poésie:
s'agit-il d'une pseudo-question? Quand je lis et je relis (Horace,
Odes, I, I, 1-6):
Maecenas atavis edite regibus,
o et praesidium et dulce decus meum,
sunt quos curriculo pulverem Olympicum
collegisse juvat metaque fervidis
evitata rotis palmaque nobilis
terrarum dominos evehit ad Deos
je me dis qu'il faut qu'il dise quelque chose, pour pouvoir faire
sentir cette essentielle harmonie du fond et de la forme, qui
fait croire que les deux sont indissociables, mais que la nature
de ce quelque chose ne compte pas vraiment. Il accepte qu'elle
soit purement conventionnelle. Peut-être le souhaite-t-il
même: si le fond est tout à fait conventionnel, on
admirera plus purement la beauté de la forme. Réflexion
de Valéry sur Bossuet:
Pour ces amants de la forme, une forme, quoique toujours provoquée
ou exigée par quelque pensée, a plus de prix, et
même de sens, que toute pensée. (P.Valéry,
Sur Bossuet dans Variété, repris dans
Oeuvres, Tome I, p.499, Pléiade)
La poésie partage avec les autres formes d'art les bienfaits
que l'art nous prodigue, tels que: affirmation de notre dignité
d'homme, aide à supporter la vie et la mort, etc. Par exemple,
ces vers de Cliff:
jusqu'au jour
où la terre
me prenant dans ses bras
soufflera sur mon nom
pour l'effacer du monde
(En Orient, Gallimard, 1986; Kars, 6, p.100)
Ce que la poésie ne partage pas avec les autres formes
d'art, c'est sa matière, la langue. Or cette matière
n'est pas son instrument, mais son tout. La poésie rend
à la langue sa supériorité sur le réel
ou l'irréel qu'elle désigne ou connote. Et c'est
au moyen de la langue que le poète fonde cette supériorité:
cruelle ironie! Ne jamais admettre que la langue s'efface dans
le monde qu'elle désigne, voilà la tâche;
l'instrument, c'est la langue, celle avec laquelle j'achète
le journal, qui en est lui-même plein...
Ce que je recherche dans la lecture d'une oeuvre littéraire,
c'est une résistance, une épaisseur de la langue,
source de difficulté. Difficulté qui est elle-même
source de richesse, pas d'obscurité. Il faut aussi que
cette résistance ne soit pas gratuite: Tacite ne lasse
pas, un rhéteur (les Sénèque) lasse, bien
que Tacite ait beaucoup d'un rhéteur.

La poésie c'est la primauté de la langue sur le
monde, pas de la forme sur le contenu. 
Tout le monde sait ce qu'est l'idéal en matière
de règle: la règle immanente, organique, unique,
que le poème lui-même instaure, et sans laquelle
il perdrait toutes ses qualités. Il n'y a pas à
se soumettre à des règles extérieures, qui
conviendraient à tout et à rien. Il y a une seule
règle par poème, et le poème la rend évidente
et nécessaire. Mais c'est là un idéal furieusement
difficile à atteindre. Cette règle unique, on ne
pourra donc pas la reconnaître de l'extérieur, se
mettre en attente de la reconnaître et d'en apprécier
les effets, comme on le fait pour la rime et le mètre,
ou les étapes et passages obligés d'un topos.
Cette règle naîtra de la nécessité
interne au poème d'organiser le réseau de relations
intra et inter-textuelles qui le constitue tout entier. Pas vraiment
une mince affaire. 
Car si le poème est un objet au même titre qu'une
toile ou qu'une sculpture, il est aussi le centre du réseau
de résonances qu'il crée. Il est indépendant,
et détachable - mais il est aussi dans une toile qu'il
tisse, et qui est faite de textes. L'étymologie, ici, ne
nous égare point. 
Un drôle d'objet, tout de même. A-t-on assez insisté
sur le fait qu'il ne s'appréhende que dans le temps, et
qu'en conséquence on ne le tient jamais tout entier sous
le regard, comme on peut le faire avec une toile de peintre, un
Cézanne par exemple? Je peux bien sûr tenir sous
mon regard tout le texte d'un poème assez court, en appréhender
même partiellement la structure. Quand je regarde ainsi
En Arles de Toulet, je vois quelque chose, et ce quelque
chose a quelque chose à voir avec le poème de Toulet
- mais ce n'en est qu'une image, et une image dans un autre matériau,
indépendant du déroulement temporel. Même
si je connais le poème par coeur, je ne peux faire que
me le rejouer - c'est à cet égard plus une partition
qu'un tableau. 
Julien Gracq insiste sur la nécessité d'étudier
sérieusement les mécanismes de mémorisation
et de condensation qui sont nécessairement à l'oeuvre
dans tout acte de lecture, particulièrement dans la lecture
d'oeuvres d'un certain volume tels que romans et nouvelles. Il
est certain que nous privilégions un faisceau d'hypothèses
interprétatives pour retenir: nous retenons ce qui contribue
à l'interprétation que nous sommes en train de construire.
On voit par cette caractérisation combien l'entreprise
est périlleuse et les résultats précaires.
Je juge au moment même où je ne possède pas
ce qu'il faut pour juger - aussi bien je m'engage sur des voies
de traverse, je plonge dans des sentiers qui finiront dans les
ronces. Je rebrousse alors chemin, mais sans revenir d'où
je suis parti, car ce point n'existe plus. Il n'existait qu'à
ce moment de ma lecture, et j'ai lu trop loin pour y revenir.
Si j'y reviens c'est en tant que métalecteur - je ferai
maintenant lecture du livre, mais aussi lecture de mes lectures
antérieures. Il n'est pas vraiment étonnant que
nous trouvions des choses différentes dans les livres,
et que les livres que nous avons lus changent à la relecture.
Cette diversité est garante de notre plaisir renouvelé.
Les infidélités de notre mémoire, ou mieux:
la nature foncièrement active de son jeu, nous empêche
de nous plonger deux fois dans le même fleuve de lecture.

Mais en va-t-il de même pour un texte court, et que je connais
par coeur? Oui, car le texte, à notre insu bien souvent,
continue à écrire en nous, et nous découvrons
d'un coup un texte beaucoup plus riche, et qui nous émerveille.
Le texte avait la capacité de grandir - c'est la qualité
essentielle du texte poétique. Je donnerai un exemple,
dont la pertinence vaudra, j'aime à le croire, pour bien
d'autres lecteurs que moi: il s'agit du passage de la Recherche
où le narrateur voit s'avancer la jeune fille qui porte
du café au lait alors que son train va repartir du quai
de la gare (édition Quarto, Gallimard, p. 520-523). Chaque
fois que je retourne à ce texte, je m'étonne de
le voir si court, et je m'étonne - plus proprement, je
m'émerveille - de sa capacité à évoquer,
qui semble inépuisable. Le souvenir de ces lignes est toujours
différent d'une fois à l'autre. La relecture n'est
jamais vaine; elle s'est toujours enrichie du travail du texte
chez le lecteur. 
Le pouvoir d'évocation ne résulte pas de la décision
délibérée de l'écrivain de 'laisser
dans le vague' - le vague n'a pas la force génératrice
voulue. Il s'agit d'autre chose. "La table dressée
de grand matin sur la terrasse": écrivez, laissez
agir. Mais il n'y a pas de recette. Ce n'est pas le caractère
défini des groupes nominaux: "une table dressée
de grand matin sur une terrasse" peut agir tout aussi bien,
encore qu'il faille peut-être un peu plus de contexte. Ceux
qui connaissent bien mes textes se doutent que le seul syntagme
'fenêtre ouverte' me fait palpiter. 
Un poème, c'est comme Hamlet: x caractères
typographiques, mais il est ridicule de dire que ce n'est que
ça. 
Chaque fois que je regarde une toile de Cézanne ou une
fresque de Piero, j'y découvre de nouvelles choses. En
quoi est-ce différent de la relecture d'un poème?
Je crois que c'est la linéarité du texte qui fait
la différence - mon appréhension ne peut être
globale, il n'y a rien à saisir d'un coup. En conséquence,
le texte est bien plus libre que la toile ou la fresque de cheminer
à son aise dans un réseau sans fin de résonances.
Il est moins prisonnier de sa matérialité, moins
limité par ce qu'il est. Le côté négatif,
c'est qu'il est plus dépendant encore du lecteur, moins
apte à s'imposer. Il dépend de l'attention du lecteur
- une attention bienveillante et soutenue (qui n'exclut pas la
critique, mais au contraire s'en nourrit). Il semblerait que ce
soit beaucoup demander. C'est beaucoup demander. 
Toute l'attention qui va à autre chose qu'à la langue
profite à autre chose qu'au poème. Le peintre a
besoin d'un sujet - le poète doit dire quelque chose. Mais
trois pots de fleurs sur ce qui ressemble à un appui de
fenêtre, c'est assez comme sujet pour Cézanne (je
pense à la merveilleuse aquarelle Trois Pots de fleurs
sur la terrasse de l'atelier des Lauves). La pluie et le beau
temps - pourquoi pas? Je ferme le livre et je regarde par la fenêtre
- le mouvement de la main, le regard qui se lève: bien
assez pour le peintre, bien assez pour le poète également.

Le poète serait bien en peine d'imposer sa vision: il le
voudrait qu'il ne le pourrait pas, car il n'est pas maître
de ce qui se fera avec son texte, de comment son texte grandira
chez ses lecteurs. Mais il ne le veut pas: il propose, le lecteur
disposera - ou plutôt, la langue disposera. C'est elle le
maître du jeu. 
Le long poème est-il contradictio in terminis? La
densité peut-elle se maintenir vers après vers,
strophe après strophe, chant après chant? Il est
permis d'en douter. Le procédé guette... Dès
qu'il apparaît, la densité est en chute libre - tout
est prévisible et il ne reste plus qu'à dévider.
Le livre tombe des mains, les petits clapets de l'attention, discrètement,
se sont fermés, il y a quelque temps déjà.
Quand on dit d'un long poème qu'il est beau, on veut souvent
dire qu'il contient beaucoup de beautés, et qu'il ne verse
pas outrageusement dans le médiocre. C'est déjà
exceptionnel. Combien en pouvez-vous citer? 
Un bon poème, un vrai poème - un poème tout
court - possède deux grandes qualités: il est dense
et il est cohérent. La densité du réseau
qu'il établit avec la langue elle-même et avec les
autres textes qu'il convoque en les évoquant (autres textes
de l'auteur, littérature dans cette langue, autres littératures
parallèles, etc.) a déjà été
abordée dans ces notes; il faut dire quelques mots de la
cohérence. On sait que de proche en proche en partant d'un
texte on va partout. Le texte de base doit orienter ce chemin,
doit faire distinguer nettement centre et périphérie.
Il faut qu'on puisse s'écarter, mais il faut qu'on sente
qu'on s'écarte. C'est par le renforcement mutuel des actions
à divers plans de la langue et du texte (son/sens, plus
largement signifiant/signifié, organisation rhétorique,
etc.) que le texte se tient; chaque maillon, si on n'y prend garde,
tend à se distendre, à se défaire, à
céder. Il faut constamment resserrer. 
L'ouverture du texte est donc aussi un danger. On peut aller partout,
et y aller de manière bien savante, et il y faudra bientôt
des notes, ou un lecteur qui a fait le même parcours. Mais
ces parcours sont individuels, et il n'y a plus de tradition unique
sur laquelle on est certain de pouvoir construire sans encourir
le risque de produire un poème qui ne se suffit pas à
lui-même et qui nécessite un mégalecteur -
qui a tout lu, tout retenu. Le Wasteland de T.S. Eliot
indique une direction qu'il est dangereux de poursuivre. C'est
bien sûr la cohérence qui est l'élément
salvateur ici - si le réseau est serré, on court
moins le risque de s'égarer. Un texte peut être touffu,
intéressant, mais échouer en partie en tant que
texte, ne pas faire objet. 
Le grand ami et tout à la fois le grand ennemi de la poésie
est le besoin de faire sens. L'homme ne supporte pas le vide de
sens. Il est tout prêt à en mettre là où
il n'y en a pas, autant qu'il en faut. Mais le sens produit
ainsi pèche par absence de qualité: c'est n'importe
quoi pour se sortir d'embarras. Il n'y pas besoin de chercher
à dire quelque chose: le texte s'en charge. Tout le monde
peut apporter des tas d'exemples. Cette fausse profondeur séduit
- mais un instant seulement, et un lecteur qui s'enthousiasme
vite, mais dont l'enthousiasme retombera aussitôt. 
Il est sot de croire qu'on peut libérer la poésie
de toute contrainte. La langue ne fait sens que par un système
d'oppositions. Si tout peut être mis en lieu et place de
tout, il n'y a plus de valeur car il n'y a plus d'opposition.
L'implacable leçon de la linguistique saussurienne. 
Pour échapper aux contraintes, il faut sortir de la langue,
et partant sortir de la poésie. Il n'y a pas de poésie
sans langue. Quand on dit d'un clair de lune qu'il est poétique,
ce n'est pas pour souhaiter que la poésie se conforme au
clair de lune - on ne fait que rendre hommage à la poésie
(et complimenter le clair de lune, bien entendu). 
On connaît le danger des règles - c'est de les ériger
en procédé, passer du mode analyse au mode génération,
pour parler en termes de TAL (traitement automatique de la langue).
Je refais ce qui a bien marché - au lieu d'un bon texte,
j'en ai bientôt vingt médiocres, et la chose terrible
est que le bon est maintenant parmi les médiocres, car
on ne voit plus que c'est lui la matrice. 
Le danger d'interpréter la règle comme un procédé
ne se présente pas dans le cas de la règle parfaite,
la règle immanente au poème et que le poème
lui-même instaure. Elle n'est évidemment pas réutilisable.
Mais on sait combien elle est chose rare. En conséquence,
après s'être libéré des règles,
on reprend des béquilles. Vive le vers libre - mais il
ne faut pas qu'on le prenne pour de la prose. Je maintiens les
coupures, qui au mieux ne font qu'indiquer la lecture que je souhaite,
en marquant les respirations, en organisant les accents. Ils devraient
s'imposer d'eux-mêmes. On en est bien loin. Faites le test,
demandez à un lecteur sympathique de restituer les fins
de ligne dans un poème prosifié: rien ne s'impose.
Liberté des lectures? Oui, évidemment. Mais aussi
manque de cohérence. Lisez aussi le texte en tant que texte
en prose, j'entends avec la découpe de la prose discursive:
il doit garder beaucoup, mais aussi perdre beaucoup. En dernière
instance, est-ce que les fins de ligne ne seraient pas là
tout simplement pour ralentir la lecture, pour dire: attention
poème en chantier ralentir? 
Le poème et le poète ne sont pas là pour
nous dire quelque chose de profond et d'inconnu, qui transformerait
notre connaissance de l'homme et de l'univers. Le poème
est là pour révéler - on ne révèle
à quelqu'un que ce qu'il sait déjà, mais
qu'il savait sans savoir qu'il le savait, tant c'était
vital. La poésie, au sens platonicien, rappelle: elle révèle
ce que la langue contient depuis toujours, car depuis toujours
le texte est inscrit dans la langue. La révélation
est d'un autre ordre (sens pascalien) que la connaissance. Mais
il ne faut pas que le poète en tire gloire et orgueil;
qu'il se souvienne que c'est la langue qui l'écrit. 
Pour une telle poétique, quelle critique? On distinguera
soigneusement le discours scientifique sur la littérature
du discours critique, ce dernier seul envisageant de manière
explicite la question de la valeur. Il est vrai que prendre pour
objet d'étude un auteur ou une oeuvre implique déjà
que cet auteur ou cette oeuvre n'est pas totalement insignifiant.
Mais la critique doit aller plus loin - son essence même
est de porter des jugements et d'expliquer sur quoi ces jugements
sont fondés. 
Le critique mettra en lumière le tissu de relations dans
lequel le poème s'insère. Il montrera la cohérence
de ce système de relations intra- et inter-textuelles.
Au passif, il débusquera les procédés, les
tentations de facilité auxquelles le poète a cédé,
comme son désir de se conformer à une certaine mode,
une certaine façon d'écrire qui est au goût
du jour. Ce qui suppose que le critique n'est pas lui-même
prisonnier des modes... 
Le poème sert, mais il ne peut pas être fait pour
servir autre chose que lui-même. Il sert car il est, pas
parce qu'il véhicule. 
Il faut avoir le courage de dire que pour le travail poétique
toutes les langues ne se valent pas, et toutes les époques
n'offrent pas les mêmes ressources. Les langues ne se valent
pas, car la richesse de leur patrimoine littéraire est
très inégale, et le poète puise avant tout
dans ce qui a été écrit dans sa langue. Les
langues ne se valent pas, car leur densité n'est pas la
même. Considérez ce passage d'une ode d'Horace:
(...) Me tabula sacer
uotiua paries indicat uuida
suspendisse potenti
uestimenta maris deo.
(I, 5, 13-16)
Rien ne vous frappe? Pas un seul mot outil, pas de mot charnière,
pas de remplissage. Belle aide fournie par la langue latine à
la poursuite d'un caractère emblématique: le frappé
d'une médaille. Certes, le latin n'est pas une langue sans
mots outils. Si c'était le cas, on perdrait le contraste.
Horace de nouveau:
Qui fit, Maecenas, ut nemo, quam sibi
sortem
seu ratio dederit seu fors obiecerit, illa
contentus vivat, laudet diversa sequentis?
On n'est plus dans les odes - on aura reconnu le début
de la première satire (Sermones, I, I, 1-3). Le
contraste est évident. Ce qui est important, c'est que
le latin le permette. Le français et nos autres langues
modernes ne le permettent pas.
Les époques ne se valent pas. Sainte-Beuve dit très
justement (Port-Royal, Livre II, Pléiade, Tome I,
p.427) que saint Augustin est un grand écrivain desservi
par une langue minée par la rhétorique. Ses qualités
sont siennes, ses défauts ceux de son époque. 
Il faut être conscient que nous privilégions le fragment
plutôt que l'oeuvre achevée. C'est une mode qui passera
- on en mesurera alors le prix. 
On écrit sur l'écriture, et surtout sur l'impossibilité,
la futilité d'écrire. Une attention envers l'outil:
c'est bien. Regarder l'outil avec méfiance au lieu de s'en
servir avec confiance: c'est beaucoup moins bien. C'est une mode
qui passera - on en mesurera alors le prix. 
Plus de poésie après Auschwitz: oui, si plus
se traduit ici par more. 
On n'échappe pas à la tradition - il n'y a pas d'écriture
qui ne fasse appel à une écriture. On peut la récuser,
mais c'est peut-être s'y soumettre encore, et de la façon
la moins intéressante. Celle en tout cas qui conduit le
plus sûrement à l'excès, et relance le balancier.

Le poète ne peut être son propre critique. Il fournit
à ses textes la résonance dont ils ont besoin pour
exister. Ils n'existent peut-être que pour lui. Ce qui ne
les rend ni nuls ni inutiles. Mais les autres n'y puiseront rien.
Interpréter ses propres oeuvres est une entreprise
sujette à caution. Pourquoi privilégier l'interprétation
de l'auteur? N'a-t-elle pas un effet réducteur, dans la
mesure où elle permet à d'aucuns de croire qu'ils
peuvent réfuter d'autres interprétations, parce
qu'elles ne rendraient pas compte de 'ce que l'auteur a voulu
dire'? Or, ce n'est pas le vouloir dire qui importe, mais le dit.

Le poète doit être très sévère
avec lui-même. Qu'il songe qu'il a tout intérêt
à ne livrer qu'une anthologie de son oeuvre - qu'il choisisse
d'abord, les autres élagueront encore (cf. André
Suarès, Carnet 29, p.115-116, cité dans Poétique,
Rougerie, 1980). Qu'il réfléchisse que les plus
grands poètes ont laissé une oeuvre peu abondante.
Les exemples sont nombreux: Catulle, Cavafy, Baudelaire, Keats,
Nerval, Valéry,... 
Fuir la publicité: c'est essentiel. Ne pas refuser la publicité,
c'est-à-dire ne pas refuser de rendre public: c'est essentiel
également. Il faut que le poète s'oriente, qu'il
sache ce qui passe et ce qui ne passe pas. S'il cède sur
quelque chose, c'est qu'il n'y tenait pas assez, et que ça
n'en valait pas la peine, et qu'il a donc eu raison de céder.
Processus dévastateur mais salubre. 
Fuir la publicité: ne pas tourner autour de son oeuvre
et s'imaginer qu'on y travaille. Rester au centre. 
Il faut s'y résigner: il n'y a chez l'homme aucun progrès
moral, comme d'ailleurs aucun progrès intellectuel ou artistique.
Les limites sont là; un individu peut les franchir, mais
il n'entraînera pas l'espèce avec lui. Le seul vrai
progrès est scientifique et technologique. Encore que dans
ce deuxième cas le mot progrès soit mal choisi.
Il conviendrait de parler plutôt d'accroissement.
Cette terre, nous aurions pu choisir de l'habiter au lieu de la
dominer (mais à vrai dire, il aurait fallu pour cela précisément
que l'homme - et l'homme en tant qu'espèce - dépassât
ses limites...). Y trouver notre place, en harmonie avec le reste
de la nature, plutôt que de faire régner le pousse-toi-de-là-que-je-m'y-mette
qui distingue si bien notre espèce.
Heureusement (mais est-ce heureusement? cf . Platon, Lois,
817 a-c ), il y a l'art, qui nous permet de prendre part à
un autre monde, voire de le créer, et celui-là nous
comble, nous satisfait en profondeur. La Dixième églogue
de Virgile, la Flagellation de Piero della Francesca, le
Requiem de Mozart: honneur et fierté de l'homme.
Grandeur.
Voyons les choses 'positivement': c'est l'absence de progrès
moral qui nous permet de toujours reconnaître un sommet
en Jésus, en Socrate, en Pascal. C'est l'absence de progrès
en art qui maintient Homère et Isaïe au premier rang.
On ne s'émerveille pas des qualités technologiques
de telle ou telle invention des temps passés (astrolabe
ou arquebuse) - au mieux dit-on 'c'est astucieux, ça'.
On admire le génie d'Archimède ou de Newton, de
Paracelse ou de Vésale, mais on sait qu'ils ont été
dépassés. Leur contribution est immense, mais elle
a été engloutie, comme il fallait qu'elle le fût
pour que le progrès continuât. On ne retourne pas
à eux comme à des présences vivantes, des
'pierres vives'. Voilà aussi ce qu'a accompli le progrès
scientifique ou technologique. Rien de tel en morale ou en art.

Aimer écrire de la poésie n'implique pas nécessairement
aimer en lire. La poésie est-elle faite pour être
faite, ou faite pour être lue? Est-elle encore faite
pour être lue? Peut-être plus. Triste constat? Peut-être
pas.
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