|
Lettre de la forêt carélienne....
...à sa cousine Stéphanie, forêt en graines sur un balcon de Paris
Chère cousine,
dans mon pays, la Carélie, les habitants possèdent tous une petite boite
pas plus grande qu'un plumier,
cachée dans le secret de l'écorce, dans l'épice du bois
En buis, elle bat
Ils y gardent, dit-on, les lettres de l'aimée, des fleurs séchées, et des flacons de cèdres
On ouvre ces boîtes en chuchotant une clé d'aurore
Ce matin j'ai chuchoté
et la boîte s'est ouverte comme une amande.
J'y ai trouvé, surprise, une perle de verre, un paquebot de laine, un bouchon de liège, un cd de Moby, un requiem de Mozart et la complainte d'un phoque en Alaska.
J'ai épousseté,
enlevé les plumes et les météores boréales
rincé à l'eau d'airelles
et refermé au fil de soie.
Guérie !
chère Stéphanie,
On m'a dit, mais je crois que c'est une rumeur d'étoiles jalouses
on m'a dit que dans votre pays, où les gens parait-il apprennent la sagesse dans les livres de philosophie
on m'a donc dit qu'on avait enfermé l'eau vive
(je ne sais pas si on dit Lo vive ou l'eau vive, votre langue d'écrire est si peu maternelle)
et qu'on avait serti des barreaux aux fenêtres
Comment fait-on dans votre terrarium pour respirer si on ferme les fenêtres ?
On ouvre les murs ?
Ici dans mon pays, l'eau court vive comme les loutres.
chère Stéphanie,
J'ai retrouvé votre coeur, vous l'aviez perdu dans un rayon de lune
il y a quelques années-lumière
Elle dormait dans une grappe de sorbes, au fond de mon jardin.
Jade est venue la réveiller
d'une langue de café et d'une pomme cannelle
Maintenant je vous l'envoie
brûlante comme un incendie de forêt.
chère Stéphanie,
Ici dans mon pays, vous ne verrez pas de chats
(qui, dit-on, se nourrissent de croquettes et d'odeurs humaines)
pas de chats suspendus aux gouttières des coeurs
pas de chattemites, pas de pattes griffes
Dans mon pays, il y a des martres et des zibelines
elles vivent fourrées contre mon cou
chère cousine
Aujourd'hui j'ai ramassé quelques loups
et un panier de girolles
Ce soir le soleil a les lèvres bleuies
d'avoir mangé des myrtilles dans ma main
Le lac lave ses oiseaux d'ambre
L'air vibre d'un murmure lointain
grégorien
la psalmodie shamane de la taïga
Lac Ladoga, le 14 octobre 12546
Petit glossaire du Millénaire
A sera Andromède,
la bonne étoile de notre millénaire
B, Bérézina, charrie bures et blocs de glace
C fut Cristal, une nuit seulement...
D pour Dachau, baraques, lémures et lilas
E pour Espoir. Quelle musique dans ce mot !
F ira à Jules Ferry, l'école buissonière...
G à Gutenberg, ancêtre de l'Internet
H, Hiroshima, leucémie et marchands de souvenirs
I comme Issime, la grande illusion
J sera donné à la Justice, par la loi de Lynch
K au Kosovo. Où donner du kalashnikov ?
L, Locmariaquer, goémons et air de mer
M, Muroroa, murènes et lamproies
N pour Napalm, feux de Bengale dans la nuit
O pour Osso Bucco, les champs du Rwanda
P est Potemkine, les poternes d'Odessa
Q, le Quattrocento de Torquemada
R sera Raison, la bien nommée
S, Staline, bien sûr ! Etes-vous sur la liste ?
T, Tchernobyl, une nébuleuse vient de naître
U comme Utopie. Dieu enfin croit en l'homme !
V, Vietnam, la forêt va bientôt y avoir trente ans
W comme Weber, il est un petit air...
X, éternelle inconnue, réduite en chromatine
Y comme ciel bleu, désespérément bleu
Z enfin, pour couronner notre millénaire
Z comme Zéro
Les gnomes cybernétiques
Dans certains pays on les appelle inkivääris
mais personne ne sait vraiment qui ils sont
plumes, poils, écailles, fourrure ?
La seule chose qu'on sait
c'est qu'ils vivent dans des cubes de ciment mâché
semblables à des huttes
où curieusement il n'y a ni portes ni fenêtres
ni trappes ni soupirails
Ingénieux, ils percent les murs d'infimes petits trous
semblables à des meurtrières
par où ils puisent leur ration d'oxygène
et les arômes du monde
C'est par ces meurtrières qu'ils communiquent entre eux
en s'envoyant des petits mots électriques
(de la taille d'une escarbille mais invisibles à l'oeil nu )
qu'ils se lancent comme des fléchettes
ou des sentiments
C'est aussi avec ces mots, dit-on,
qu'ils se font l'amour, la guerre
et qu'ils lisent le Figaro Littéraire.
On dit même qu'ils écrivent des poèmes !
Musique africaine
J'écoute une musique africaine, ancienne
du fond de la nuit elle s'ouvre comme un fruit
charrie ses huiles et ses haleines chaudes
ses ambres, gentianes, pisses, manioc roui
toutes ces odeurs remontent dans le ventilateur
il les malaxe, inlassable
une mangue tombe sur les toles du toit
je bois
dehors la lune, relique de vieil ivoire
une pirogue glisse sur le fleuve
immobile, silencieuse
les étoiles jetées sur l'eau comme du sucre
les crocodiles dorment dans la mangrove
une lanterne allumée au fond des yeux
une chauve-souris me frôle de ses ailes de soie
je bois
tam tam tam, derrière les jacarandas
la nuit déboutonne ses peaux, une à une
peaux d'orge perlée, peaux de frangipanes
démarche chaloupée, du bout des hanches
ventre de cigale, cuisses de mante
les seins pétris de soleil
les yeux luisant comme des cuivres
tam tam tam,
s'enfoncent les secrets de la nuit
remuent les bêtes, battent les bruits
bat le grand pouls de la terre
dans le ventre de lait
tam tam tam,
heure fauve, danses endiablées
tam tam tam
frappe le sol avec le cul
frappe la lune avec les seins
tam tam tam
étreintes sauvages, sexes sucrés
bat le grand pouls de la terre
bat le grand pouls utérin
clap clap clap
coupent les haches dans les forêts de jambes
coupent les machettes dans les forêts de ventres
et de doigts...
bat le grand pouls de la terre
bat le grand pouls de l'homme
à coeurs ouverts
mon acacia est en fleurs
il frémit à peine d'une bourrade de vent
pluie blanche
quelques fleurs tombent dans mon verre
je bois
les étoiles ont fondu
la terre est rouge.
Nuit blanche fuschia
la nuit pénètre sans bruit dans la pièce
comme la fumée bleue d'une cigarette
elle vient de la ville, elle a le sommeil léger
on la soulève à peine au bout des yeux
les étoiles se sont posées sur la fenêtre
une à une, comme des avions de papier
ce ne sont pas des étoiles comme les autres
elles n'y voient que dans l'obscurité
et se noient dans le flacon de fuschias
ta robe traîne sur la chaise, rouge venise
la nuit dans les draps défaits
je dessine mes gestes lentement sur ton corps
boule d'ombre, abeilles blondes,
une perle roule au bout de tes seins
ta peau commence sous mes doigts
douce comme le sable à marée basse
je bois ta jambe, blanche, farine de lait
ta bouche de buée
ta chevelure d'algues brunes
et nos étreintes à brûle pierres
pour écraser le gouffre entre nos corps
Aujourd'hui, moi poète heureux
Oui, heureux !
comme une dragée dans sa robe de sucre
parce que pour mes étrennes
j'ai eu une machine à faire des poèmes
Parfaitement !
Une vraie machine (450Bzh)
à vrais poèmes (comme Lagarde et Michard)
et entièrement automatique
Il suffit de cliquer sur les bons boutons :
Start / Programs / Select the level / Choose the style
Type a subject / Enter.
après, ça va tout seul
Bon. Allons-y pour Hugo (Victor)
je vais me faire un petit poème à la Hugo :
avalanches de métaphores
grands Ô incantatoires ici et là
sabots vernis au bout des lignes
métrique parfaitement arithmétique...
Voilà c'est fait.
C'est quand même beau Victor Hugo !
ça roule
comme les Pink Floyds
Maintenant, allons faire un tour chez Verlaine
à vrai dire c'est plus mon style
Je vais me faire un petit poème à la Verlaine
un vrai, soluble dans l'air
avec des mots d'émoi et des mélancolies,
qui se traînent l'âme en peine
et de sanglots sur la grève
au son des violons qui miaulent dans l'automne...
Ouah ! Quelle émouvance !
Avec ça,
je pourrai tomber toutes les filles que je veux
même les Spice Girls, c'est sûr
"La vieillesse caresse les cartels de ce monde d'aubaines
en souille les paniers..."
Ah, pardon.
Là, j'ai appuyé sur Char, par erreur.
Delete.
Non. Le mieux, je crois, c'est de faire du soi
Oui, c'est ça.
Je vais faire de la poésie à moi
of my own
ça ira mieux avec la couleur de mes yeux
Bon, voyons. D'abord cliquer sur :
Create Your Own Personality
puis Add a pinch of modesty (facultatif)
Voilà, c'est fait
A moi maintenant ma poésie !
toute simple, sans ambroisie
avec des mots de tous les jours
comme on écrit une lettre d'amour
mais qu'on a personne a qui l'envoyer
parce que la personne, elle est partie
et qu'on est très malheureux
et que la vie ne vaut pas la peine
et que les hommes sont méchants
et que la guerre c'est pas bien
et que Dieu n'existe pas peut-être...
Un jour je reverdise
un jour j'éluardise
tantôt une michauderie
tantôt un aragonderie...
Bref. Aujourd'hui, moi poète heureux
qu'il pleuve ou qu'il fasse beau temps
moi je fais des poèmes
tranquillement
comme d'autres des petits pains
ou des pontages coronariens.
Ma mer
Soudain, un gros galet de faïence bleue
la mer !
vaste comme une aile de cormoran
et profonde comme l'impensé
Pas de phare ! Que faire ?
Comment la traverser sans rompre les eaux
sans effrayer les orques ?
Moi voilà comment je m'y prends :
j'attends
j'attends le soir, quand la mer vient me voir de près
et m'entoure de ses pieds
puis, délicatement, en l'effleurant
je prends un morceau de mer avec moi (environ un galon)
je le plie
je le roule (sans froisser la transparence)
je le mets dans ma poche
et je l'emporte avec moi
Bien sûr, je ne prends pas n'importe quelle mer
je la choisis
par exemple, je ne prends jamais de tempêtes
vous imaginez une tempête au fond de ma poche ?
le craquement des os des bateaux
les cris des naufragés
et les barracudas qui leur rient au nez ?
Brrrr !
Je ne prends jamais d'icebergs non plus
pour donner des engelures à mes chaloupes
ni de cap Horn
ni de corne de brume
Non ! Ma mer à moi est une mer tranquille
une mer à reflets, un miroir à bateaux
un morceau de mer rouge aux yeux bleus
qui me parle de voile, qui me parle de sable
qui me lance des vagues
et vient me chatouiller les pieds
de ses petits crabes d'écume
Ma mer, bien sûr, je la décore
j'y mets des branches de corail
des anémones aux doigts de pourpre
des coquillages nacrés, des poissons d'aquarelle
des poissons-perroquets, des poissons-picasso
des narvals à licorne, des baleines blanches
Mais je n'y mets jamais de requins
ils boufferaient tous mes dauphins
ni de murènes
ni de scaphandriers
ils me font peur ceux-là avec leur muffle et leur oeil de cyclope
ni de galères
ni de corsaires
Non !
Ma mer à moi est une mer affable
elle n'a ni dents, ni ongles, ni harpons
elle est lisse et chaude
comme le ventre d'une mère
Quand je languis
ou quand les chauves-souris descendent dans mon beffroi
c'est facile
je la sors mon morceau de mer de ma poche
je la déplie
je la déroule devant moi
et là, je la regarde
je la respire
et je la traverse
en nageant dans un long sillon de laine
L'inconvénient c'est l'évaporation
et le matin, quand je me réveille
il n'y a plus au fond de mes poches
que des arêtes et des copeaux de sel
L'hirondelle blanche de Shelaali
Ce matin je marchais, le sable et moi
le soleil venait de retrousser les manches
le vent avait pris le goût des sauges
je marchais par coeur, quand soudain
soudain, dans l'air à peine effleuré
dans un battement de cil, une hirondelle
toute seule, blanche, calligraphe du ciel
voletant autour de moi
de tourbillons en arabesques
si près que j'entendais battre son coeur
je me suis arrêté
je lui ai donné des miettes d'étoiles
je lui ai parlé
avec les mots de sa langue natale
je lui ai parlé de mon pays
des fougères, de la mousse dans les bois
des maisons de pierre, des tuiles sur les toits
où il fait si bon avoir un nid
soudain, au milieu d'un mot
elle est partie
trait d'épine dans le ciel surpris
elle n'a pas voulu m'apprivoiser
ou bien elle n'a pas osé.
L'ambre sur la fenêtre
Je suis assis à la fenêtre, j'écris
le cahier est ouvert
dehors il neige comme des abeilles affolées
tu dors
j'écris en chuchotant les mots pour ne pas te réveiller
de temps en temps je me retourne
et je te regarde dormir, les cheveux couverts d'oiseaux
Moi aussi je dormais, la tête posée sur ton ventre
mais tu t'es retournée et ma tête a glissé sans te faire mal
alors je me suis réveillé
j'ai ouvert le cahier où je garde les lettres que je vais t'envoyer
j'ai tourné les pages
j'en ai choisi une grège blanche
et maintenant j'écris
doucement
sans appuyer sur le papier pour ne pas froncer tes sourcils
j'écris tes cils
tes seins posés comme deux hirondelles
tes rêves éparpillés sur le lit
ton pied sous la couverture
fruit de jade dans ma bouche
la nuit est entrée dans la chambre, lentement
bleue douce de cyan
on la soulève à peine du bout des yeux
j'écrits à la lueur de mots
ton ventre respire comme respire la mer
les coquillages viennent boire à tes lèvres
quand tu te réveilleras, les mots aussi se réveilleront
ils se frotteront les paupières
ils se rouleront trois fois dans les draps
en s'épelant sur tes jambes
et quand ils s'apercevront qu'ils sont tout nus
ils se lèveront pour aller mettre un pyjama
satin bleu orange
comme le safran que tu as mis dans le bocal de verre
sur l'étagère, dans la cuisine
et moi, pieds nus sur les carreaux de faïence
à chercher la cardamome dans ce fouillis de menthes !
tu imagines ?
si encore j'osais te réveiller et te demander
mais non,
je te regarder dormir,
boule d'ombre à chaleur peau
j'ai froid, vite, retrouver les draps
l'odeur douce de myrrhe
le lait tiède des mots
les miens, les tiens,
mêlés rêves à rêves
baisers à mi-haleine
à quel parfum je vais te cajoler cette nuit ?
non, goyave !
non, je ne sais pas
j'écris les mots sans les retenir, sans les diriger
je les laisse glisser
je les laisse courir sur ta peau
flâner dans tes sables secrets
le bois d'amandiers
l'odeur de clafoutis qui cuit dans une cuisine antique
le pollen des rochers
les tamaris bourdonnent de fleurs, violettes blanches
ravin bleu
je bois l'ombre à grandes lampées
ici ta peau a goût de mûre
ici goût de sureau
ici je m'arrête pour te regarder
mordue par la foudre
Une aurore vient soulever le bord du rideau
blanche boréale
flammée opale
un air de sarabande
lente danse d'algues
une ambre est posée sur la fenêtre
jaune soleil rouge
aujourd'hui, à trois mille années-lumière
elle te portera cette lettre
écrite de mes lèvres sur ton corps
|
|