Concours de nouvelles érotiques :
les trois gagnants

 

Nota : 24 textes ont été soumis au concours

Dernière minute : l'érotisme, c'est bien...
mais l'humour dévastateur de Magda...
on pourrait pas s'en passer non plus :-)
1ère : DE SABLE ET DE MYRRHE

Mireille Seassau

Pour Aaron...

 

"Ils doivent compter sur leur seule imagination pour accélérer ou régulariser les battements de leur coeur.
Ils doivent trouver par eux-mêmes l'éclat d'une lumière enfouie."

H. E. Cheikh, Femmes de Sable et de Myrrhe

 

Après le hammam, je me glisse dans la ruelle des murmures. Chuchotis de vies qui respirent derrière un moucharabieh, les épaisseurs de pisé. Leur chemin étroit monte doucement le long de mes jambes. Caresse apprivoisée du serpent. Le soir en moi.

Ma tête tourne comme si j'avais bu à même la peau de la vie.

Par instants, une odeur palpitante de feu de bois enlace celle de la myrrhe. Lui fait un enfant de parfum. Je les respire jusqu'à plus d'air. Me souviens. Me souviens. Me souviens. Après l'arche des croyants, les cheveux du vent se lèvent pour emmêler les miens. Au-delà des murs, les voix aspirées par le silence colorent de sable mon visage. L'occident perd ses mots. Me berce dans ses bras. Doucement. Je me souviens. Me souviens. Me souviens.

Par terre, une plume d'oiseau donne des ailes au sable. Je me penche. Une porte s'entrouvre, puis une voix : " gazelle blanche, un thé "... Et son fou rire brûlé. J'en recueille les éclats au tissu chaud de ma peau. Taffetas de soie. Je passe la porte sacrée. Là-bas, elles m'attendent. Leurs yeux-nuits s'étoilent vers moi, en même temps.

Attirée, je me dirige vers leur bougie qui danse. Autour, elles sont assises en tailleur. Eclatent de rire en touchant mes mains. Grappes de leurs doigts. J'entre chez moi, entourée d'elles. Ma volière. Fatim dessine un frisson sur ma peau. Signal. Elles se lèvent toutes alors, d'un seul mouvement, font cercle autour de moi et tournoient en lucioles. Les étoiles accrochent les regards, les relient à la flamme. Parfois un rire éclate, comme une bulle de plaisir. Les femmes m'entourent, se resserrent et me protègent. Leurs souffles sirocco sur moi. Chaleurs aux douceurs se mélangent, jusqu'aux étoiles qui poudroient.

Rien n'est dit. Tout se fait, se touche et se sent. Je me souviens. Me souviens. Me souviens.

Le thé brûle la nuit de son humide. Fatim commence à dessiner un regard au henné sur ma peau. Ses doigts de parfum me touchent loin dedans. Effluves entêtants. Je sais me damner pour une belle odeur. Après, elle prend le tissu blanc qui me couvre. Le caresse doucement, puis l'arrache d'un seul mouvement. Brusque, violent. elle rit et exhale de sa manche un flacon parfumé. En couvre chaque grain de ma peau. Envoûtant, saharien. Juste lui sur moi. Entier, je le prends. Elle tend le verre de thé à mes lèvres, repousse mes mains. Brûlure plaisir. Souffrance bue. Avec sa langue, elle lave mon visage de la pâleur, souffle sur ma bouche "pour effacer les mots".

A l'intérieur de mon ventre, je deviens femme de couleurs. Je me souviens. Me souviens. Me souviens.

Une à une maintenant, les femmes se lèvent. S'éparpillent.

Seule, allongée dans les bras du sable, les yeux vers le ciel, je mange les étoiles. Mon pouce dans la bouche. Je tête la faim. Son ardeur brûlée. Plus loin, on entend chanter les ailes des voix liées. Leurs tambours élancés. Je descends lentement tout au corps du sable, nu. L'effleure de mes lèvres. Ecarte ses plumes, une à une. Puis j'enserre ses jambes dans mes bras et, le visage contre son ventre, je le délivre longtemps. Suce son pouce. Le bois. Miel. Sève des mots crus. Lèvres mêlées, nourries à torrents d'eau. Pays chauds. Tropiques du Cancer. Désert.

          A lui
                    Et je n'ai plus de mots.
                               Silence de l'homme sable qui va, puis vient en moi.

 

envoyez-lui vos applaudissements :-)

 

 

 

2ème : LE VOYAGE ANDALOU

Michel Barrios

 

On a quitté Cordoue après les chants flamencos du petit bar de la Plazza de Colon. Soir du renaître, un verrou a sauté. Réincarnation d'un morceau de mon âme.
Je suis détouristé.

Arrêt dans un chemin de terre, sous quelques arbres. Dans le champ, sous la lune, des masses noires autour d'un olivier.
Des taureaux.
Une fascination inquiète nous a conduits vers eux. Plus près. Encore. Jusqu'à l'endroit du plaisir-peur.
Une subtile excitation me venait dans le corps. Chaleur au creux des reins qui descendait depuis l'échine. Anne-Lise se serrait contre moi. Troublée, aussi, par cette nuit étrange, cette lune brillante qui allongeait nos ombres et l'écho de ces chants qui pleuraient dans nos têtes.
Et ces monstres, là-bas, pareils à des statues. Des granits de mystère et de force assoupie.
Les yeux d'Anne-Lise n'avaient jamais été si grands. Si électriques. Plus près. Encore...
Le désir nous emporta soudain, arrachant nos habits comme de vieilles peurs. Là, tout de suite, dans l'herbe.
En des assauts violents à arracher la terre.
La tête relevée, le corps exacerbé, je voyais les taureaux. Immobiles...
Quand le ciel chavira, j'étais le Minotaure.

Corps repus.
Dormi comme des bêtes.
Journée de paresse, à regarder vivre les taureaux. A observer Cordoue au loin, par-delà les collines. Cordoue coupée en deux par le Guadalquivir. Le jour est passé en farniente...
Et puis la nuit revint, et sous la lune, des masses noires autour d'un olivier.

 

envoyez-lui vos applaudissements :-)

 

 

 

3ème : SOLEIL DE VERRE

Stéphane Méliade

 

Doucement, je me dirige vers la grande baie vitrée. Elle donne sur la terrasse, la piscine. Dans ma tête, des rires d'enfants résonnent à travers l'eau, comme s'ils couraient au fond, en se poursuivant. "Une maison de médecin, je la connais. Le mardi, il n'y a personne jusqu'au soir", m'a expliqué Léa. Elle a travaillé dans le quartier. "Il doit y avoir de quoi te soulager, là-dedans, Nils". Un portail bas. Un garage avec une porte pas fermée à clé, qui communique avec le reste de la maison.

Le chat fait le tour de la piscine. Angora inondé de lumière, il ressemble à une touffe de soleil en promenade au bord de l'eau. Il ne nous regarde pas. Il y a des chatières partout en bas des portes. Incroyable. La salle de séjour est belle, lumineuse.
- On attend qu'il rentre et on le braque. Il faut qu'il te soulage. Je secoue la tête. Assez de morts, assez.

Ma hanche me brûle. J'ai l'impression d'être une vitre sur le point d'exploser.
Dans ma tête, je porte le corps de l'épicier. Je porte cet instant où il s'affaisse en me tirant une balle dans la hanche. Je tire aussi. Il s'appuie un instant contre la caisse, l'air à peine surpris, comme s'il se penchait simplement. On dirait juste qu'il va compter sa recette du jour. Puis son corps glisse, tombe en paquet.
- Je voulais juste la caisse... juste la caisse...

Léa parcourt la bibliothèque. Ouvre un livre au hasard. Vient près de moi.
-Écoute ! Le livre parle de nous.
Je regarde la couverture. "Le grondement de la montagne" et un nom japonais. Elle a toujours fait des rapprochements bizarres entre des choses très différentes, Léa.
- De nous ?
- Oui. Ecoute, Nils. "... deux pins. Seuls de leur espèce, ils se détachaient en hauteur, ils inclinaient leur torse comme pour s'embrasser et leurs cimes, se rapprochant, allaient sans doute y arriver"... Les deux pins, c'est nous !

Je me dirige vers la grande baie vitrée. Douleur. Le feu à gauche de ma hanche. Je m'appuie sur le bras d'un grand fauteuil.
- Regarde, Léa.
Sur le verre un peu opaque, j'écris "Léa", et "Nils". Nos deux noms se touchent, presque l'un dans l'autre. L'écriture est plus sombre, mais aussi plus nette que la brume lumineuse de la vitre face au soleil. Le soleil flou, les poils bleus de la piscine, la lumière hirsute, tout se mélange. Autour de nos deux noms, je nous dessine, nos corps, mêlés aussi.

Je me retourne vers elle.
- Dans une minute, ce sera nous.
Je regarde une dernière fois nos noms sur la vitre. Ils sont écrits dans nos ventres. Ma hanche me déchire. La mort m'ouvre peu à peu, patiemment, comme un paquet cadeau.
Léa a compris mon intention. Ses yeux brillent d'une lueur un peu folle.
- J'aimerais que les flics arrivent maintenant.
- Tu veux dire pour qu'ils me trouvent vivant ?
Elle secoue la tête plusieurs fois...
- Non, parce qu'ils n'oseraient pas nous arrêter en train de faire l'amour.

Le chat s'est arrêté au bord de l'eau. On dirait qu'il va sauter et faire un ballet nautique. Léa commence à se déshabiller.
Je saisis un lampadaire et, les pieds en avant, j'arrive à le lancer sur la vitre, droit dans nos corps de verre et de poussière.
- Là.
Je lui montre l'intérieur du tour de la vitre. Elle vient. Nous plaçons nos corps, en les appuyant contre le fauteuil, entre les dents du lion de verre, exactement dans l'espace de nos éclats de noms. Il faut faire vite. Je n'ai plus beaucoup de temps. L'épicier a tiré en tombant, vers le haut. Je crois que la balle est remontée vers un organe vital.
Chaque mouvement me brûle.
Enchâssés, sertis l'un en l'autre, nos corps brillent de toutes leur facettes. Avant elle, j'étais plusieurs corps disséminés en éclats, comme si j'étais né en plusieurs fois, dans le désordre. Je le lui dis avec le mouvement.
Au moment où ma poitrine vole en éclats de verre, je viens en soleil dans le ventre de Léa. Elle me regarde intensément, longtemps. Je veux mourir dans ses yeux... Je souris aux noms tracés sur la vitre. Je les regarde nager dans nos ventres. Un chat bleu brille au-dessus de nos têtes.

Le visage de Léa. Effort. Je me rapproche, millimètre par millimètre. Elle me laisse faire. Elle sait que je veux y arriver, que je dois y arriver. Sa langue accueille la mienne.
Puis tout tourne, se renverse, glisse, pendant que se lève un immense soleil de verre.

 

envoyez-lui vos applaudissements :-)

 

 

Haut de page
Retour