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                                  La Katha-Upanishad

 

© Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbour

 

C'est dans la Katha-upanishad du Yajur-veda noir que le terme de yoga apparaît pour la première fois.

La structure littéraire de la Ka est caractéristiques des Upanishads anciennes. Les doctrines y sont exposées dans le cadre d'une relation d'enseignement entre un élève et son gourou. L'élève est un jeune brahmane du nom de Naciketas et le gourou n'est autre que Yama, autrement dit un être divin.

C'est toujours à l'intérieur d'un tel cadre que les doctrines sont exposées dans les Upanishads anciennes. C'est un enseignement d'un gourou à son élève, à la demande de l'élève.

Remarque: il y a une corrélation entre la classe (varna) à laquelle les gourous appartiennent et le contenu de l'enseignement.

Les gourous peuvent être soit des brahmanes, soit des ksahtriya-s, soit des dieux.

Les gourous brahmanes représentent l'ordre ancien et enseignent donc des spéculations sur le rituel védique, les gourous kshatriya-s représentent une première innovation: ils enseignent l'équivalence Brahman-âtman.

Les gourous divins enseignent le samnyâsa, le renoncement, au sens large et donc aussi le yoga. 

Le yoga est donc dans les Upanishads l'objet d'un enseignement divin (ici Yama, Prajâpati dans Maitry-up )

Cadre narratif:

Le brahmane Naciketas descend dans le royaume des morts pour se renseigner auprès de Yama sur le sort de l'homme après la mort. Yama lui révèle donc différents secrets:

1.14 "le feu qui mène au ciel", c-à-d probablement non plus le feu sacrificiel, mais le feu intérieur, celui de l'ascèse (tapas), feu qui est "le pont vers le Brahman suprême "(3.2)

Puis Yama lui enseigne un mystère plus grand encore, l'âtman "qui ne peut être atteint par l'exégèse, ni par l'intellect, ni par beaucoup d'étude " (2.23), mais qui est en fait le régisseur du corps (3.3-8, image du char et du cocher).

Le corps est comparé à un char qui est tiré par des chevaux indisciplinés que le cocher n'arrive pas à diriger: les chevaux indisciplinés, ce sont les sens, le cocher c'est la buddhi (la conscience profonde) et les rênes le manas.

Section VI de la Katha-up

Le sens général est clair: c'est un exposé sur l'âtman dont il est dit qu'il est inconnaissable par les moyens de la connaissance ordinaire (v.12 et 13) et qu'il est transcendant (v. 1) et qu'on peut le faire advenir en nous par la pacification des sens, du manas et de la buddhi.

v.1. Il d'agit de l'arbre açvattha que l'on trouve aussi cité en Sv.up 6.6, 10.26 et 15.1.

Il faut traduire ainsi la première moitié du çloka: "Ce figuier éternel dont la racine va en haut, les branches en bas, c'est le pur, le Brahman. On l'appelle l'immortel. Tous les mondes reposent en lui. Nul ne peut aller au-delà de lui [ou: nul ne peut le transcender]. En vérité, ceci est cela ".

La racine unique, c'est le Brahman, les branches représentent les multiples facettes du monde. Cette image veut donc montrer comment du brahman unique émane la multiplicité du monde phénoménal. Les branches représentent les manifestations du Brahman dans le monde.

Le monde s'enracine dans le Brahman au-delà duquel il n' y a plus rien. ceci vaut évidemment pour nous au niveau microcosmique: toutes les manifestations de notre monde personne s'enracinent dans quelque chose qui les fonde, l'âtman. La méthode d'investigation, de la recherche de cette racine, c'est précisément le yoga.

" En vérité, ceci est cela " (tad vai tat): l'âtman est le Brâhman.

" Tous les mondes reposent en lui ": c'est l'idée fort répandue dès le Rig-Veda que le Brahman est l'étai du monde (skambha). Il est ce qui etaye le monde, il en est le fondement, la base, la racine. Pourquoi le pluriel ? Parce que dans la cosmologie indienne, on stipule l'existence de plusieurs mondes qui sont énumérés au çloka 5: le monde physique (qui est le monde apparent dans lequel nous vivons), le monde des mânes c-à-d des ancêtres non réincarnés, le monde des dieux (et des demi-dieux comme les Gandharva-s, musiciens célestent qui habitent au svarga, le ciel d'Indra) et le monde du Brahman.

v. 2  Il vaut mieux traduire: " Tout ce qui existe, le monde entier vit dans le prâna [l'âtman] dont il émane ".

Deux idées:

1) Le monde entier émane du Brahman, a le Brahman pour origine

2) Et ce Brahman est omniprésent en tant qu'âtman dans tous les êtres.

"crainte": la crainte est la réaction habituelle, dans les textes religieux, de l'homme devant quelque chose qui le dépasse

" le foudre" : c'est le vajra, l'instrument qui représente la puissance d'Indra, qui terrorise ses adversaires.

v. 3   "Par crainte de lui "  = sous l'effet de Son énergie

v. 5: il faut comprendre la première partie du çloka : " On voit l'âtman dans le monde physique comme dans un miroir "

L'idée exprimée est assez simple: c'est que l'on peut s'élever, dès avant la mort, à divers niveaux de conscience qui sont symbolisés ici par les différents monde: le monde physique, les monde des mânes (ou des esprits), le monde des demi-dieux, le monde du Brahman. Selon le niveau de conscience où l'on se trouve, on voit l'âtman de manière plus ou moins nette: si on en reste au monde physique (des sens), on voit l'âtman déformé comme dans un miroir ( les miroirs étaient faits de métal, donc était peu réfléchissant); dans le monde des mânes, on ne le voit toujours pas nettement, dans le monde des demi-dieux de manière plus nette (l'eau réfléchit plus que les miroirs anciens). Si on en arrive au monde du Brahman, on voit évidemment l'âtman tel qu'il est, distinctement comme l'ombre et la lumière. 

Ici apparaissent aussi des idées sâmkhya. Le sens est le suivant: l'objet du yoga est d'intégrer les instances de la conscience tournées vers l'extérieur, celles qui sont en contact avec le monde, aux instances profondes, subtiles: les sens et leurs objets dans le manas, le manas dans la buddhi (où l'on distingue ici deux niveaux) et celle-ci finalement dans la prakriti. C'est exactement l'inverse de l'évolution qui va de la prakriti au manas. Le yoga est le retour vers la matière-énergie primordiale.

v. 6  Il vaut mieux traduire: " L'état individualisé des sens, leur apparition et leur résorption [ dans l'ordre de l'évolution] une fois qu'ils sont individualisés. Le sage comprend cela et ne s'afflige plus".

v. 7-8 hiérarchie qui rappelle celle du sâmkhya:

1) les sens (indriyâni)

2) le manas

3) le sattva (= la buddhi, cf Ka 3.10)

4) le mahân âtmâ (=buddhi cosmique, niveau plus subtil)

5) l'avyakta (= l'inévolué, c-à-d la Prakriti)

6) le Purusha

"pervadent":  le purusha pénètre tout. Dénué de signe (a-linga), dépourvu de qualification [ on peut simplement dire "il est", et non pas "il est tel ou tel"]. C'est le signe de l'absolue différence du purusha.

v. 9  Il faut comprendre: "Nul ne peut percevoir la forme du purusha par le regard, uniquement celui qui y est adéquatement préparé par son coeur, la buddhi et le manas. Ceux qui le connaissent deviennent immortels. ",

c-à-d celui qui y a préparé son coeur, sa buddhi et son manas, qui ne doivent pas être troublés par les sens, mais tournés vers le Purusha. C'est donc la totalité des instruments de connaissance affectifs et intellectuels qui doivent être tournés vers le Purusha.

v. 10

Quand se tiennent au repos les cinq modes de connaissance avec le manas, et que la buddhi ne bouge plus, c'est ce qu'on nomme la Voie suprême.

Les cinq modes de connaissance, ce sont les 5 sens. 

"La buddhi ne bouge plus" : cette expression rappelle la définition du yoga comme "arrêt du tourbillon des états de conscience" (citta-vrtti-nirodha, Patañjali) dont il faut d'abord prendre conscience, pour les "brûler", c-à-d les maîtriser.

Le yoga est une Voie (gati): c'est le yoga comme chemin initiatique de perfectionnement intérieur sous la direction d'un gourou.

v. 11

On la comprend sous le nom de yoga, cette ferme maîtrise des sens. On devient alors concentré, car le yoga est production et résorption.

"maîtrise des sens" (indriya-dhâranâ). Plus tard, dans les Yoga-sûtra-s le terme dhâranâ s'appliquera au manas et signifiera concentration et c'est pratyâhara qui sera réservé aux sens.

"concentré" = sanskrit apramatta, "non inattentif, non dispersé".

Silence des sens: le yoga, c'est faire advenir l'âtman et résorber les perceptions extérieures, c-à-d les intégrer dans l'instance supérieure, de façon qu'il n'y ait pas de trouble énergétique. 

"Production": il s'agit de faire advenir les instruments de la connaissance du monde intérieur.

"Résorption": les sens sont rétractés du monde extérieur vers le monde intérieur, pour l'exploration du monde intérieur.

v. 12

Ni par le discours, ni par la pensée (manas), ni par le regard, on ne peut atteindre le Purusha. "Il est": ce n'est qu'ainsi qu'on peut le saisir, et d'aucune autre manière.

Autrement dit: l'instrument adéquat pour atteindre le Purusha, pour prendre conscience qu' "il est", ce n'est pas le discours, ni le mental, ni le regard. Il doit être sa saisi dans son existence essentielle, et cela ne peut se faire qu'à la suite d'une connaissance expérimentale, par la méditation.

v. 13

"Il est": c'est ainsi que le Purusha doit être saisi, dans la mesure où il est l'un et l'autre. "Il est": à celui qui a saisi cela, la réalité du Purusha devient claire.

Nous avons ici une allusion à la doctrine des Upanishads (Bâ 3.7.23) que l'âtman est à la fois sujet et objet de connaissance ("l'un et l'autre", dit notre texte).

Il faut arriver à prendre conscience que le Purusha (l'âtman) est, qu'il existe. Il faut arriver à une conscience directe, sans intermédiaire, de l'existence de l'âtman. Le yoga est simplement cette prise de conscience que le Purusha est.

Donc, l'âtman n'est pas un sujet de connaissance comme les autres, qui relèverait des instruments de connaissance habituels tel le manas ou la buddhi. Il doit être saisi irectement par lui-même et ne peut être saisi directement que par lui-même. Dans ce cas, il est l'un et l'autre: à la fois sujet de connaissance et objet de connaissance.

Dans le samâdhi, l'âtman médite sur lui-même : autrement dit ce n'est plus la buddhi, laquelle fait partie de la prakriti, qui saisit l'âtman, mais l'âtman lui-même. Seul le Purusha peut connaître le Purusha. Le seul instrument adéquat pour connaître le purusha, c'est le purusha lui-même, puisqu'il est d'un autre ordre que la prakriti (sur cette notion voir ici ).

v. 14

Quand il est libre par rapport à tous les désirs sis en son coeur, alors le mortel devient immortel. Il atteint dès ici-bas le Brahman..

Les désirs sont nécessaires à la vie, ils sont le moteur de la vie. Simplement, il ne faut pas se laisser manipulés par eux. Pour que cela arrive, il faut prendre conscience de ses désirs, et de les intégrer dans une perspective supérieure, et donc les contrôler. Ce n'est pas les refouler. Il convient d'acquérir, par le travail sur soi-même, une liberté intérieure par rapport à eux.

Cf. la deuxième branche du chemin octuple du bouddhisme: la décision correcte, laquelle est être libre de tout désir de jouissance et de puissance ( à ce sujet, voir ici ).

v. 15

Quand se rompent tous les noeuds du coeur ici, alors le mortel devient immortel. Tel est l'enseignement.

Les noeuds, ce sont les liens qui lient le coeur au monde extérieur. Cf. Mundaka-up 2.1.10, 2.2.8, 3.2.9, Chandogya-up 7.26.2

v. 16

Cent et un canaux (dî) sont au coeur. L'un d'eux sort en direction du crâne. Remontant par ce canal, on va vers l'immortalité. Les autres sont pour sortir en toutes directions.

C'est déjà la doctrine des dî (sur cette doctrine, voir Yoga-tattva-up. § 36)

Dans les Upanishads, le corps est décrit comme la demeure du Brahman (brahmapura). Le corps a 11 portes, l'une d'entre elle étant l'orifice brahmanique (brahmarandhra). C'est l'orifice au sommet du crâne par lequel selon Aitareya-up 1.3.12 le Brahman est entré dans le corps. L'âme des libérés sort aussi par cet orifice, après être passé par la 101ème dî. L'âtman des non-libérés  sort par d'autres dî.

Sources:

Louis Renou (trad), Katha-Upanishad, Paris, 1943

P. DEUSSEN, Sechzig Upanishad des Veda, Darmstadt, 1963

P. DEUSSEN, The Philosophy of the Upanishads, 1966

M. ELIADE, Le yoga, immortalité et liberté, Payot, Paris

 

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