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CONSIDERATIONS SUR LES TRADUCTIONS OCCIDENTALES DU CORAN ET, EN PARTICULIER, SUR DEUX TRADUCTIONS EN ITALIEN
par Guido BELLATTI CECCOLI
" Celui qui souvre un chemin pour chercher un savoir, Dieu lui ouvrira un chemin vers le Paradis."
La traduction dun texte sacré
Réaliser une bonne traduction est presque toujours un exercice difficile, quel que soit le type de texte à traduire. Il sagit de se rapprocher le plus possible de la signification et du style originels, en franchissant les barrières linguistiques et culturelles. Le message contenu dans le texte à traduire est, à la base, influencé par le milieu social où il naît, et durant sa transmission ou sa réception il subit des influences variées qui risquent de le déformer à chaque instant.
Le premier destinataire du message (le spécialiste), porteur de certaines valeurs sociales et culturelles, adapte donc le message aux caractéristiques et aux exigences (vraies ou seulement supposées) du destinataire ultime (le lecteur), non spécialiste en la matière.
Ceci vaut surtout pour la traduction des textes " profanes ", puisque les Textes sacrés contiennent des messages universels dont les traits fondamentaux sont pleinement compréhensibles par les lecteurs, malgré leurs différences culturelles. Toutefois, les difficultés demeurent. En particulier, la traduction du Coran est soumise à un présupposé, à savoir un cadre incontestable dans lequel la communication doit nécessairement sinscrire, et qui devrait, en principe, être accepté par celui qui traduit.
Ce présupposé est donc le suivant : dans le Coran, un seul Dieu parle et fait des choix qui concernent tous les hommes. Dieu est donc le " Locuteur-Auteur ", " sujet grammatical, logique et psychologique de tous les énoncés " Et sans cette base, nous assistons à une série interminable de controverses.
LA VISION DES ORIENTALISTES
Dans le passé, comme de nos jours, plusieurs critiques ont été adressées aux "orientalistes" (chercheurs occidentaux qui se penchent sur les différents aspects de lOrient) qui nacceptent pas, selon certains observateurs, le présupposé cité ci-dessus, et se limitent donc à une analyse trop superficielle et occidentalisée du Texte coranique.
Ainsi, lorsque lOrientaliste porte une appréciation sur lautre (lOriental en général, et le musulman dans notre cas), il le considère inférieur (et non simplement différent) et le juge avec les mêmes critères quil applique à lui-même.
Selon Edward SAÏD, spécialiste palestinien qui partage cette vision critique, cela est dû au fait que lOrientalisme nest rien dautre qu " un style occidental de domination, de restructuration et dautorité sur lOrient ". Lesclavagisme et le colonialisme sont donc à considérer parmi les forces motrices dune réalité économique, sociale et politique qui est lexpression dune suprématie culturelle (occidentale) hégémonique.
Et lOrientalisme nest quun " exemple éloquent " du discours colonialiste. SAÏD précise ensuite que lOrientalisme a plus de valeur comme signe de la puissance européenne et atlantique sur lOrient quen tant que discours véridique sur celui-ci (sous forme universitaire ou savante).
LOccident crée donc un Orient à sa façon, et il en fait une " incarnation de ses craintes et de son sentiment de supériorité tout à la fois ". En somme, lorientalisme nous apprend bien peu de choses sur lOrient, mais beaucoup sur lOccident, et le portrait de lautre se révèle être, en réalité, " tantôt une caricature, tantôt un complément de notre propre image [dOccidentaux] ".
Il est intéressant de noter combien certains jugements (même "positifs") dorientalistes très connus peuvent faire lobjet de la critique de SAÏD. Johann Gottfried HERDER (1744-1803), par exemple, affirme que les Arabes, " depuis la nuit des temps, ont été porteurs de concepts sublimes " et sont " pour la plupart, des individus solitaires et romantiques ".
Georg Wilhelm Friedrich HEGEL (1770-1831), en outre, soutient que " lenthousiasme " est, pour les Arabes, dune importance fondamentale et essentielle pour véhiculer de façon efficace le concept dunicité de Dieu et lidée duniversalité. Mais dès que cet enthousiasme disparaît, tout sachève; par conséquent - toujours selon HEGEL - "lIslam a disparu depuis fort longtemps du plan de lhistoire du monde, et il est tombé dans linertie et la tranquillité orientale".
Globalement, une telle vision unilatérale et très discutable, exotique et romantique, a laissé des traces profondes dans lapproche occidentale du monde arabe (souvent assimilé au "monde musulman"), et continue aujourdhui davoir des effets évidents. Il faut préciser que lOrientalisme nest pas très apprécié par certains islamologues contemporains - comme TALBI - notamment parce quil limite le Coran à une production socio-culturelle (historiquement figée) dont lauteur serait, non pas Dieu, mais un homme, Muhammad. Ce dernier serait en fait, selon certains orientalistes, un imposteur sans scrupules ou bien un stratège génial qui croyait, en toute bonne foi, être " inspiré " par Dieu. En somme, le Coran ne serait que le fruit des influences judéo-chrétiennes dont Muhammad aurait bénéficié.
Cette thèse serait reprise et développée dans Geschichte des Qorans (Histoire du Coran, 1860) de Theodor Nöldeke, considérée par beaucoup de spécialistes comme " la Bible de lOrientalisme " et qui a donc influencé un grand nombre de chercheurs occidentaux.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons mieux comprendre comment certains orientalistes seraient arrivés jusqu'à dénigrer lobjet même de leurs études. Ainsi, T. NÖLDEKE a affirmé, en 1887, sa " piètre opinion " des peuples orientaux. Ce grand orientaliste allemand a dû certainement être de ceux qui ont influencé luvre du Français Régis BLACHERE (1900-1973), Professeur de langue arabe et auteur dune célèbre traduction du Coran.
Dailleurs, certaines affirmations de BLACHERE nous confirment ce point, notamment lorsquil suggère que grâce à NÖLDEKE, " il est désormais possible (...) dexposer à un lecteur non averti ce quil doit savoir du Coran afin de pouvoir le comprendre dans sa spécificité ". De plus, la " magistrale " histoire du Coran de NÖLDEKE est décrite comme " un ouvrage capital sur lhistoire du Coran, la formation de la Vulgate et les problèmes dexégèses ".
Puis, nous pouvons constater que BLACHERE - comme lexplique TALBI, qui a suivi ses cours à la Sorbonne et qui la connu personnellement - ne se considérait pas athée, mais plutôt agnostique, et son rationalisme lamenait à critiquer la religion, car elle est, selon lui, un phénomène " métaphysique ". A cela, TALBI réplique que la foi, bien que non rationnelle, ne va pas non plus " contre la raison ".
BLACHERE a réalisé une traduction du Coran (en reclassant dabord les sourates chronologiquement dans lédition de 1949, puis en les plaçant dans leur ordre habituel dans lédition de 1957), qui est considérée comme étant assez littérale et, donc, très proche du Texte arabe. Cest dailleurs pour cette raison quil a été apprécié par certains et critiqué par dautres. Mais en tout cas, aucun chercheur ne peut se permettre dignorer son uvre. En Occident, en particulier, beaucoup de spécialistes se réfèrent souvent à son travail, et sen inspirent même.
Alessandro BAUSANI, auteur italien de la traduction du Coran sur laquelle nous nous pencherons plus loin, en est un exemple éloquent.
Dailleurs, BAUSANI lui-même affirme, dans son introduction, quil sest amplement servi de luvre de lorientaliste français quil considère comme étant scientifiquement riche, et cite son auteur à plusieurs reprises dans ses commentaires et notes concernant sa traduction.
En effet, dans son introduction, BAUSANI cite BLACHERE à sept reprises, lui reconnaissant un " esprit équilibré " (pages XXXIV et XXI) et ladmirant pour avoir mis à profit toutes les recherches précédantes (page XLVII), réalisant ainsi " un recueil très utile et récent de la meilleure exégèse orientale et occidentale " (page LXXVI).
Du reste, ladmiration semble être réciproque puisque BLACHERE cite dans son ouvrage " Le Coran " de 1973, la traduction italienne de BAUSANI, la qualifiant de " savamment annotée " (p. 12).
LES TRADUCTIONS EUROPEENNES DU CORAN
Les traductions du Coran, en Occident, ont commencé à être réalisées très longtemps après lHégire ( début de lère musulmane, an 632 après J.C.).
La première traduction, en effet, a été rédigée au début du XIIème siècle (donc un demi millénaire après la Révélation coranique), en latin, par Robert de Kennet (ou Ketton, ou Ketene, selon les diverses sources) à la demande de Pierre le Vénérable, Abbé de Cluny.
Il fallut ensuite attendre six autres siècles avant de voir paraître une deuxième traduction en latin, " Alcorani textus universus ", réalisée par le religieux orientaliste Ludovico MARRACCI (Marraccus), accompagnée de ses célèbres " réfutations " (" Prodomus ad refutationem Alcorani ").
En effet, à la lecture de ces " réfutations ", on comprend aisément que le véritable but du chercheur toscan était de confirmer et renforcer la méprisante condamnation chrétienne de lIslam, considéré comme une ignoble hérésie et ne méritant que le pire des châtiments de linquisition romaine.
Cette vision, commune à MARRACCI et à lAbbé de Cluny et partagée par des générations entières de chercheurs chrétiens, sera lentement et difficilement révisée au cours des siècles.
Cela dit, nous constatons à lheure actuelle que, malheureusement, et malgré les progrès accomplis, certains spécialistes nourrissent vis-à-vis du Coran, un sentiment très négatif, et, dans les meilleurs des cas, le " tolèrent " comme une sorte de bourgeon du grand arbre judéo-chrétien.
Les oeuvres de R. de KENNET et de MARRACCI ont cependant le grand mérite davoir pris comme source directe le Texte arabe, tandis que plusieurs traductions européennes du XVIIème siècle - en italien, allemand, hollandais et anglais - ont été rédigées à partir de ces deux traductions latines (ou bien à partir de la traduction " directe " du Français André du RYER, LAlcoran de Mahomet translaté darabe en françois, publiée en 1647 à Paris).
La première version italienne du Coran, basée sur le travail de R. de KENNET, semble être luvre de Andrea ARRIVABENE : LAlcorano di Macometto (Venise, 1547).
Aujourdhui, en revanche, de nombreuses traductions en italien sont disponibles. Outre celles de BAUSANI et de GUZZETTI (sur lesquelles je vais me pencher), il faut citer les Cela dit, nous constatons à lheure actuelle que, malheureusement, et malgré les progrès accomplis, certains spécialistes nourrissent vis-à-vis du Coran, un sentiment très négatif, et, dans les meilleurs des cas, le " tolèrent " comme une sorte de bourgeon du grand arbre judéo-chrétien.
Les oeuvres de R. de KENNET et de MARRACCI ont cependant le grand mérite davoir pris comme source directe le Texte arabe, tandis que plusieurs traductions européennes du XVIIème siècle - en italien, allemand, hollandais et anglais - ont été rédigées à partir de ces traductions de L. BONELLI, M. MORENO et F. PEIRONE (qui ne font pas lobjet de ce travail).
En général, les traductions européennes (y compris celles de BLACHERE, de BAUSANI e de GUZZETTI) sont basées sur le Texte arabe publié au Caire par le Roi FOUAD en 1923.
LES TRADUCTIONS ITALIENNES DE BAUSANI ET DE GUZZETTI
Dans cet article, je me limiterai à une analyse de lintroduction de la traduction de BAUSANI (et non de son uvre entière), et donc de la manière dont le Coran est présenté aux lecteurs italiens.
A cela, jajouterai quelques considérations sur la traduction de certains versets, ou sur des notes et des commentaires relatifs à des aspects spécifiques. Parallèlement, je traiterai la traduction de Mario Cherubino GUZZETTI.
Toute introduction à la traduction du Coran est très importante pour ceux qui sapprêtent à le lire pour la première fois, et à plus forte raison pour ceux qui ne possèdent pas de connaissances approfondies en la matière. On doit, en particulier, prendre en compte la culture judéo-chrétienne à laquelle appartient le lecteur occidental (italien dans notre cas), qui est souvent porteuse de préjugés et de méfiance très ancrés vis-à-vis du monde islamique (et surtout dans ses composantes turque et arabe).
A lhéritage des Croisades en terre Sainte et à linfluence de la culture colonialiste, sajoutent des jugements exprimés en Occident à lencontre de certains problèmes actuels qui affligent le " monde islamique ", où violence et terrorisme (infligés à des fins politiques) sont souvent injustement attribués et " légitimés ", par les auteurs de ces actes et les observateurs occidentaux, comme une expression réelle de la religion musulmane, même quand elles vont visiblement à lencontre de celle-ci.
A mon humble avis, ces barrières culturelles pourraient être brisées si on présentait le Coran au lecteur occidental tel quil a été conçu et tel quil est vécu par des millions de musulmans, à savoir comme la parole authentique de Dieu et comme continuité et conclusion de la tradition monothéiste (juive et chrétienne), dans laquelle le Prophète Muhammad, annoncé déjà dans la Tora et les Evangiles, vient terminer la lignée prophétique depuis Abraham. On devrait également faire constamment référence à la vocation universelle de lIslam, au concept rigoureux de lunité de Dieu, et aux valeurs de solidarité, fraternité, égalité, tolérance et respect de lindividu (valeurs que nous retrouvons, mutatis mutandis, dans les autres religions monothéistes).
Présenter le Coran de cette façon, dans la traduction, les notes et les commentaires, pourrait donc favoriser un véritable dialogue culturel et religieux, fondé sur le respect de lautre.
Lintroduction de BAUSANI est composée de 62 pages très denses, qui pourraient, à elles seules, constituer une uvre. Dès la première page (XVII), une grande importance est accordée aux " influences chrétiennes " qui atteignaient lArabie de Muhammad " par le Sud " et " par le Nord ", ainsi quau poids exercé par les diverses " colonies hébraïques " (sans oublier lhéritage païen et polythéiste).
Ces influences (chrétiennes surtout) parvenaient cependant de façon imprécise : par exemple, les Arabes avaient des " idées et informations plutôt vagues " sur la question de la Trinité chrétienne.
Ainsi, en lisant cette présentation de BAUSANI, il devient évident que lauteur du Coran serait Muhammad, puisque ce Texte serait le fruit dune révision et dune réécriture des Textes sacrés juifs et chrétiens. Mais, du fait que cette reformulation soit complètement humaine, elle serait donc entachée derreurs de connaissance et dinterprétation. Selon BAUSANI (page XXIV), Muhammad connaissait les Textes sacrés de manière " imprécise ", mais toutefois " étonnante en comparaison au niveau moyen de la culture locale ".
On pourrait donc croire que le Coran devient, selon cette approche, non seulement un plagiat des Textes judéo-chrétiens, mais un mauvais plagiat, dû à lignorance de son auteur. Il est évident quune telle interprétation nest nullement acceptable pour les musulmans, même les plus modérés.
De la même manière, GUZZETTI suppose que le Coran est luvre de Muhammad, imprégnée des influences judéo-chrétiennes mal comprises. Ainsi, le spécialiste italien affirme dans son introduction, par exemple, que le " concept coranique de la Trinité na rien à voir avec le vrai dogme chrétien " car le Coran, en réalité, se référerait à la Trinité comme " Dieu le Père, Marie et Jésus " (mariolatrie) et dans le langage coranique il serait également précisé que " lexpression Fils de Dieu implique une concrétisation physique des rapports charnels [sic], qui est diamétralement opposée à la conception chrétienne ".
Toujours selon GUZZETTI et en parallèle avec la pensée de BAUSANI, les divergences entre les thèses coranique et chrétienne seraient donc simplement dues à Muhammad et à sa méconnaissance de la théologie chrétienne. Cependant, nous avons des raisons dinfirmer cette opinion : en effet, GUZZETTI fonde ses affirmations sur le verset 116 de la sourate 5 du Coran, lorsque Dieu demande à Jésus : " cest bien toi qui a dit aux hommes, " prenez moi et ma mère comme deux dieux à côté de Dieu " ? ", quil utilise ensuite, par analogie, pour interpréter une série de parties du Texte coranique qui traitent de la Trinité ou de lunicité de Dieu. Mais il faut observer, à ce propos, que le verset cité (S.5, V.116) est le seul de tout le Texte à traiter explicitement de la "Trinité mariolatrique" dont parle GUZZETTI.
Dans tous les autres versets quil cite (S.4, V.171; S.5, V.73; S.19, V.88-92; S.112, V.1-4), non seulement Marie nest jamais considérée comme élément de la Trinité chrétienne, mais - au contraire - nous constatons aisément la négation absolue de toute forme dassociation à Dieu (voir, par exemple, la s.112, v.1-4).
Par conséquent, linterprétation de GUZZETTI, selon laquelle le verbe " engendrer " devrait être interprété seulement dans son sens " physique et charnel " nest pas convaincante. Cette interprétation (applicable peut être à S.6,V.100-102), nous paraît en tout cas trop excessive et réductrice pour être appliquée à la sourate 112, qui exprime une véritable proclamation de lunicité de Dieu - comme GUZZETTI lui même reconnaît - et qui a une valeur et une portée qui vont bien au-delà du sens " charnel ".
Il suffit de penser, pour réaliser lampleur de la conception musulmane de lunicité de Dieu, que dans chaque prière canonique, le croyant affirme résolument qu " il ny a dautre divinité que Dieu " (La ilaha illa Llàh) et que " rien ni personne ne peut être associés à Lui " (Là charika lahou). Par conséquent, toute forme dassociation à Dieu, de multiplication ou de " division " du concept de Divinité (bithéisme, polythéisme, trinité, idolâtrie, etc...) sont inacceptables dans lIslam.
Pour confirmer ce qui précède, nous pouvons citer, par exemple, luvre dun islamologue français, Eric GEOFFROY, qui nous explique dans un récent ouvrage sur Cheikh ARSLAN, que lunicité de Dieu (" tawhid ") ne peut être vraiment contemplée - selon les mystiques musulmans - quen niant la " Trinité " composée de " lUnifié " (Dieu), " lUnifiant " (le croyant) et " lacte dunification " (ladoration humaine de Dieu). Une telle Trinité pourra être éliminée, et lexpérience du tawhid pourra donc être vécue pleinement, seulement par la négation de la présence humaine, et leffacement du croyant en Dieu (fanâ).
Nous sommes donc très loin de la vision " charnelle " de la " Trinité coranique " suggérée par GUZZETTI.
De même, BAUSANI traite brièvement de la mariolatrie dans son commentaire de S.5 V.73 (p. 538), en disant que " la question fait lobjet dinterminables controverses " entre chrétiens et musulmans, et en affirmant que, selon ces derniers, " la vraie trinité chrétienne " serait, de facto, celle composée de Dieu, Jésus et Marie.
En plus de rappeler ce que jai expliqué plus haut à propos des affirmations similaires de GUZZETTI (plus marquées que chez BAUSANI), il est utile de préciser que le dogme chrétien du " Saint Esprit " na jamais été ignoré par les musulmans. Un tel concept, en fait, est fermement réfuté dans lIslam pour ce quil représente dans la vision chrétienne. Cest à dire que la " vraie Trinité chrétienne " est tout simplement incompatible avec le Texte coranique.
Pour approfondir la connaissance du culte de Marie, BAUSANI renvoie ensuite à luvre " problèmes de mariologie dans lIslam " (1948, pp. 6 et suivantes) du Père franciscain Jean Muhammad Abd Al-Jalil, " converti de lislam au christianisme ".
Pour revenir à la question initiale de lacceptation (ou non) du présupposé de la traduction coranique (voir plus haut), je crois quil serait opportun de reprendre un instant le discours sur la nature, lessence même du Coran, sa perception et ses conséquences sur les traductions occidentales. Car de nombreux Orientalistes sont convaincus, au fond, que le Coran est une uvre humaine (écrite par Muhammad) et non divine. Pourtant, nous avons vu que lacceptation - théorique du moins - de la thèse contraire permettrait déviter un grand nombre de conflits, car ainsi faisant le Texte coranique, et plus généralement lIslam, seraient probablement mieux compris et expliqués.
Reconnaître la nature divine du Coran - dans sa structure théorique de fond - aurait comme avantage de donner au lecteur occidental une présentation de la traduction plus conforme à lesprit du Texte Sacré, sur lequel sest bâti le monde musulman depuis quinze siècles. Cette démarche scientifique permettrait au chercheur occidental dapprocher lIslam également de lintérieur et davoir ainsi - outre la vision occidentale - une approche que nous pouvons définir, par opposition, comme orientale (vision quil nest pas possible dacquérir en appliquant à lIslam les paramètres purement européens et atlantiques).
Par ailleurs, BAUSANI sinscrit dans le courant de pensée orientaliste, comme nous pouvons le constater dans son introduction à sa traduction. Dans cette introduction, en fait, après avoir dûment précisé que pour un musulman, il serait blasphématoire de reconnaître Muhammad comme étant " lauteur du Coran ", BAUSANI affirme, tout de suite après, que le Coran est une source de connaissances sur la vie de Muhammad car il contient des références " autobiographiques " du Prophète lui-même.
BAUSANI ajoute même que les " sources du Coran " sont " lAncien et le Nouveau Testament, bien quils naient probablement pas été connus directement de Muhammad, ainsi que les légendes chrétiennes et juives non canoniques (apocryphes, Talmud, etc.), le monde socio-religieux du paganisme pré-islamique, et des éléments iraniens manichéens et zoroastriens introduits par plusieurs voies " (page LXII).
BAUSANI poursuit donc en dressant une liste de versets coraniques qui auraient été " puisés " (sic) de lAncien Testament, des " Apocryphes chrétiens ", du Talmud, du monde païen pré-islamique, etc..
Ce qui précède relève dune analyse qui a pour but de montrer le Coran comme une uvre littéraire (ou poétique) purement humaine et soumise à des influences humaines. Il ne faut donc pas sétonner si une telle analyse nest guère acceptée par les musulmans.
Il faut en outre préciser que BAUSANI défend " lauthenticité " du Coran, tout simplement parce quil conçoit que cest Muhammad qui est à lorigine du Texte. En dautres termes, il affirme que cest bien Muhammad qui prononça le contenu du Coran, mais cela ne prouve en rien sa nature divine.
Ainsi, il affirme que les révélations de certains Versets coraniques ont été des conséquences de situations politiques, militaires ou sociales, historiquement déterminées, gérées par le Prophète-Chef militaire ou par le Prophète-Chef dEtat (voir ci-dessous la référence à la page XXXIII).
Le spécialiste italien affirme également que " ce qui irritait le plus Muhammad était, semble-t-il, lexagération " (page LXI). Pourtant, le verset auquel se réfère explicitement BAUSANI (6,141: " Dieu naime pas celui qui excède dans la prodigalité ") est très clair: Dieu lui-même, et non le Prophète, exprime la condamnation dune certaine forme dexagération. Même dans ce cas de figure, le précepte divin (" ne pas exagérer dans la prodigalité ") est réduit par BAUSANI à un ordre purement humain du Prophète, " irrité " par lexagération de ses concitoyens dans leurs actes de prodigalité.
Au vu de ce qui précède, nous sommes amenés à nous poser la question suivante : comment est-il possible, dans cette optique occidentale, dexpliquer la production du Coran sans traiter ouvertement Muhammad dimposteur ou de fou visionnaire ?
BAUSANI parle d " expériences théopathiques " du Prophète, qui lui paraissent " sincères " ; il cite notamment la rencontre entre Muhammad et lAnge Gabriel, rapportée par Ibn Ishaq-Ibn Hisham, lorsque Gabriel lui ordonne de lire et lui dévoile quil est lenvoyé de Dieu (page XXV. Voir à ce sujet 96,1-5).
Comme nous lavons vu plus haut, BAUSANI, certes, croit en " lauthenticité " de cette rencontre, dans le sens où Muhammad aurait véritablement relaté, en toute bonne foi, avoir vécu cette expérience ; mais il ajoute que Muhammad ne rapportait que ce quil croyait être la vérité. Cette interprétation reste donc tout à fait compatible avec lidée dun Coran " créé " par Muhammad car même si ce dernier était en proie à des expériences mystiques, cela ne donne pas déléments suffisants pour soutenir la divinité du Texte.
Il semble aussi que de telles expériences nétaient pas toujours à la base des révélations coraniques, qui seraient ainsi issues de raisons dopportunité politique. A la page XXXIII, par exemple, BAUSANI soutient que Muhammad - et non Dieu [S.2, V.142-150] - aurait décidé de changer la direction de la prière de Jérusalem à la Mecque pour accorder plus dimportance à cette dernière et obtenir ainsi la sympathie de la nation arabe. Selon BAUSANI, une telle décision aurait été prise suite à " lhostilité des Juifs " et à l " espoir perdu de les convaincre que lIslam nest quun judaïsme confirmé et perfectionné ". En somme, il aurait changé la direction de la prière simplement parce quil navait pas réussi à les convertir à lIslam.
En lisant BAUSANI, le Coran apparaît donc comme luvre dun Muhammad motivé par des ambitions purement humaines et surtout par une grande soif de pouvoir.
Sur l " authenticité " de la révélation coranique GUZZETTI a des opinions qui rappellent celles de BAUSANI, puisquil parle d " inconscient " et de " messages auditifs, visuels ou intellectuels de lau-delà ". Messages qui seraient " sincères ", mais qui demeurent le fruit de linconscient de chaque individu. Ainsi, selon GUZZETTI, " Mohamed pouvait être convaincu davoir vu et entendu les êtres surnaturels qui lui avaient été décrits par les juifs et les chrétiens ".
Dautre part, vues les incertitudes relatives aussi à une bonne partie des ahadith, nous lisons avec perplexité que selon GUZZETTI " certaines révélations correspondent trop bien à ce que le Prophète pouvait déclarer ": un tel hadith est donc utilisé pour mettre en question la sincérité de Muhammad et, par conséquent, lorigine divine du Coran.
Pourtant, cela reste parfaitement cohérent selon une certaine vision occidentale (judéo-chrétienne, mais aussi athée et agnostique) du Texte fondamental de lIslam ainsi que du rôle joué par Muhammad.
Cela dit, pour en revenir à nos deux traducteurs italiens, nous pouvons ajouter que GUZZETTI a sans aucun doute subi linfluence de BAUSANI (malgré les différences qui les séparent), comme il est prouvé, par exemple, dans la similitude frappante entre le paragraphe 8 de lintroduction de GUZZETTI (cit., p. 14), sur le " problème de lart dans le Coran ", et ce qua écrit BAUSANI au même sujet (voir page LXIV).
Néanmoins, une différence intéressante existe entre la traduction de Régis BLACHERE et celles des deux spécialistes italiens. Il sagit de la question du nom de Dieu, traduit par BAUSANI et GUZZETTI par le mot " Dio ", tandis que BLACHERE et dautres (comme MONTET, BELL, DAWOOD, ALI, CHOURAQUI) gardent le terme arabe Allah dans leurs traductions en langue française ou anglaise.
Cependant, de nombreux islamologues considèrent quil est plus juste de traduire le terme " Allah ", en utilisant les traductions " Dio ", " Dieu ", " God ", etc., puisquil sagit du même Dieu pour les chrétiens, les juifs et les musulmans. Cette thèse a été confirmée par le Concile Vatican II, selon lequel " les musulmans, en affirmant leur foi en Abraham, adorent comme nous un Dieu unique, miséricordieux, qui jugera les hommes le jour dernier ".
Maintenir le terme Allah - comme le fait BLACHERE - pourrait, en revanche, suggérer lexistence dune différence substantielle entre le Dieu musulman (Allah) et le Dieu judéo-chrétien, contrairement à ce qui est affirmé aussi dans le Coran.
Mais, il ne faut pas non plus tomber dans lexcès en niant, à linverse, les différences existant entre les religions monothéistes au nom dun pseudo-cumenisme qui, en voulant à tout prix concilier linconciliable, se révèle être, purement et simplement, du syncrétisme religieux.
En outre, certains spécialistes chrétiens (comme C.GEFFRE, Giulio BASETTI-SANI, Georges TARTAR) ont même tenté - en faisant référence, souvent, au Concile Vatican II - de créer " une nouvelle théologie chrétienne des religions non-chrétiennes, dont lIslam ". Grâce à une analyse pointue de ce phénomène, TALBI nous explique comment lattitude des penseurs chrétiens non favorables à lIslam est passée de la vision dun Coran imposteur et plagiaire, à une vision nouvelle axée sur lespoir dune récupération, voire dune appropriation de lIslam par le christianisme.
Par ailleurs, nous pouvons faire une autre observation sur un aspect spécifique de la traduction de BAUSANI relative aux Versets qui font référence à la sexualité des végétaux : 20,53; 22,5; 31,10; 13,3; 36,36. A ce propos, nous remarquons que BAUSANI utilise, dans la traduction de ces versets, le terme " espèces " (de plantes), au lieu de " couples " ou " éléments de couple ", bien que ces derniers soient des termes plus conformes au terme arabe (zawj, pl. azwâj).
En fait, une telle version (avec les mots " couples " ou " éléments de couple ") risquerait de laisser perplexe les exégètes qui considèrent le Coran comme une uvre purement humaine; en effet, la sexualité des végétaux na été découverte par la science botanique que plusieurs siècles après la révélation coranique. BAUSANI utilise probablement la traduction " espèces " en sinspirant de la traduction de BLACHERE.
Il faut noter que ce dernier préfère utiliser le terme " espèces ", pourtant moins fidèle à la signification originale, bien quil soit considéré par de nombreux spécialistes comme lun des traducteurs les plus respectueux du Texte arabe (voir plus haut).
En revanche, Guzzetti, pour des raisons que jignore, utilise le terme " couples " dans Coran 36,36 et 13,3, tandis quil réserve le mot " espèces " à 20,53 ; 22,5 e 31,10.
Pour finir, jajouterai que dans lintroduction et les notes de BAUSANI, nous rencontrons parfois des mots ou phrases en langues mortes ou étrangères (non traduites) qui risquent de rendre la compréhension du Texte encore plus difficile pour le lecteur italien. Je me réfère, en particulier, aux points écrits en allemand (pages XXXIX e LXVI), en arabe (translaté phonétiquement en caractères latins, page XLVIII), en français (page LXV), en latin (page LV et LXXVIII), et en grec ancien (en caractères grecs, pages 553 et 681, en référence à ce qui a été écrit à la page XXXIII, sur lannonce de la venue de Mohamed dans la Tora et les Evangiles).
Lintroduction et les notes de GUZZETTI, en revanche, ne présentent aucun problème de compréhension, et son volume est enrichi dune carte géographique de la péninsule arabique, dun plan des lieux de pèlerinage, dun glossaire et dune photo de la mosquée de la " Kaba " à la Mecque. Hindouisme Judaïsme Bouddhisme Christianisme Islam Histoire des Religions Sinica
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