Ce qu'elle a dit :

L'Equipe Magazine

"A la fin de l'année, je me vois aux Masters féminin, donc dans le Top 10."

"Comme dit Sylvie, quoi que je fasse, je ne ferai jamais l'unanimité. Et comme plaire à tout le monde n'est pas mon but...L'essentiel, c'est que je me plaise, à moi, que je sois fière de la façon dont je mène ma vie."

"J'aime bien l'équitation et le ski. Tout ce qu'il ne faut pas faire...Pour le ski, il y a vraiment eu un moment d'hésitation. J'étais sur les skis à l'âge de cinq ans. J'y allais très régulièrement. Mais comme je n'habitais pas sur place, ce qui m'empêchait de vraiment m'y mettre, j'ai opté pour le tennis."

L'Equipe

"Depuis que je joue au tennis, j'ai toujours eu l'ambition de remporter un tournoi du Grand Chelem."

"J'ai vécu des moments heureux, particulièrement lorsque j'ai gagné Roland-Garros et Wimbledon chez les juniors et que j'ai été sacrée championne du monde, là c'était génial. Mais si je fais le bilan, je peux vous dire que c'était dur, très dur. Ce n'est pas facile de quitter la maison familiale à l'âge de 11 ans et de se retrouver paumée dans un tennis-études. Plusieurs fois j'ai failli tout plaquer."

"C'est toujours moi qui prend les décisions me concernant. Ca ne veut pas dire que je n'écoute pas les autres mais les autres ne prennent pas les décisions à ma place."

"J'adore la vie. Depuis que j'évolue dans la structure que j'ai choisie, j'ai fait tomber les barrières qu'il y avait dans ma tête et qui me conduisaient à me dire : il ne faut pas que je fasse ci, il ne faut pas que je fasse ça. Maintenant, je sors parce que j'aime ça. Par exemple, à Melbourne, je n'oublierai pas les soirées que j'ai passées, à boire une mauresque avant de dîner et de fumer une petite clope avec les gens qui m'entourent. Ca ne dérange personne et ça ne fait pas de mal."

Paris Match

"Sylvie, c'est 50% de mes victoires. Le public ne se rend pas compte.Pour arriver jusqu'à 100è ou 80è mondial, c'est uniquement du tennis. Au delà dans le classement, c'est le mental. C'est la vie. C'est Sylvie."

Tétu

"J'ai fait une interview pour Le Figaro. La journaliste voulait écrire un portrait, elle m'a demandé pourquoi j'avais déménagé. Je lui ai répondu que mon amie vivait à Saint-Tropez, et qu'"amie", c'était "ie"."




L'EQUIPE MAG du 11/03/2000

L'EQUIPE du 17/01/2000

L'EQUIPE MAGAZINE

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L'EQUIPE

LE MONDE

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TENNIS MAGAZINE



L'EQUIPE MAG (11 mars 2000)



Amélie Mauresmo : " L'essentiel est de se faire plaisir "

Avant les tournois WTA d'Indian Wells, qui débute lundi, et de Key Biscayne, la Française revient sur son changement d'entraîneur et sur sa forme actuelle.

L'année dernière, après votre finale à l'open d'Australie, vous aviez abordé la série des tournois américains de manière très relax, non ?
C'est vrai, j'étais un peu saturée. J'ai enchaîné Key Biscayne puis Hilton Head sans grand succès. Je n'aurais peut-être pas du y aller.
Et cette année ?
Je n'arrive pas dans le même état d'esprit : j'ai à cœur d'améliorer la constance de mon jeu et je suis d'autant plus motivée que j'ai des points à prendre. J'ai tout à prouver ici, puisque je ne suis jamais venue à Indian Wells.
N'avez-vous pas l'impression de jouer plus pour vous même, avec moins de pression ?
C'est vrai, on me donne maintenant le droit à l'erreur… Ce qui s'est passé à Coubertin est dommage, bien sûr (ndlr : battue par Sarah Pitkowski au deuxième tour de l'open de Paris), mais on se rend compte que je suis humaine et que ce que je veux réaliser prendra du temps.
Vous continuez d'apprendre, en fait, comme en Australie au mois de janvier, où vous n'aviez pu évacuer à temps votre victoire à Sydney pour enchaîner sereinement sur Melbourne ?
Ca aussi, c'est une expérience supplémentaire. Je n'ai pas vraiment fêté mon trophée à Sydney. Je suis partie le soir même à l'open d'Australie et j'ai juste bu une coupe de Champagne dans l'avion. J'aurais du faire la fête et, en quelque sorte, le " deuil " de cette victoire. Je serais passée à autre chose plus facilement.
Vous vous entraînez désormais avec Alexia Dechaume, qui a pris sa retraite après l'open d'Australie, alors qu'il était question que vous travailliez avec un nouvel entraîneur du Team Demongeot… Comment cela s'est décidé ?
Isabelle Demongeot n'a pas passé le bon message. Je devais changer, comme d'habitude, mais il ne fallait rien précipiter, afin de choisir la bonne personne. Avec Alexia, qui est vacataire du Team Demongeot, c'est venu naturellement. Elle me connaît bien, elle sait comment s'y prendre avec moi et je crois qu'on peut vraiment faire du bon boulot ensemble.
N'y a-t-il pas un inconvénient à travailler avec une amie ?
On va essayer de faire la part des choses. Moi, je crois aux vertus basiques de la communication. Si on se dit les choses, il n'y a pas de raison que ça ne fonctionne pas.
On a parfois l'impression que vos entraîneurs ont plus d'intérêt à travailler avec vous que vous avec eux…
Attention ! (elle rigole) Je ne travaille pas avec n'importe qui. ! Sophie Collardey m'a beaucoup aidée sur le plan technique. Ce sera peut-être moins le cas avec Alexia qui, en revanche, a une bonne expérience du haut niveau.
Mais pas de l'entraînement.
Justement, comme tout le monde l'attend au tournant, elle va se défoncer. Réussir ensemble n'est-ce pas ce qu'il y a de mieux ?
Il semblerait que votre forte personnalité s'accommode mal d'un entraîneur expérimenté…
Peut-être. De toute façon, l'occasion ne s'est pas vraiment présentée. Parfois, on a l'impression que les entraîneurs connus et reconnus ont plus de certitudes. C'est alors aux joueurs de s'adapter. D'un autre côté, je bosse la préparation physique avec Jean-Claude Perrin, et ça se passe sans heurts. Il a l'expérience, la pratique avec de nombreux athlètes et, finalement, il a tout compris. On parle, on prend les décisions ensemble.
Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer à Key Biscayne ? Il y a du vent, cela ne vous convient pas trop…
Le vent, c'est pour tout le monde pareil. Non, il n'y a pas de difficultés majeures. Au contraire, je suis plus tranquille, on me connaît moins qu'en Australie ou en France.
Vous avez prouvé que vous pouviez battre les meilleures, mais Serena Williams semble vous poser le plus de problèmes.
C'est vrai bien que nos matches soient de plus en plus serrés. Elle possède un jeu qui ressemble à celui de Mary Pierce. Contre cette dernière, cela a pris du temps, mais j'ai fini par gagner. Avec Serena, je commence à mieux lire son jeu et donc à trouver la recette pour la mettre en difficulté.
Pour conclure, dans quel état de forme êtes-vous ?
Pas de bobos, tout fonctionne bien. J'ai repris l'entraînement, et avant ça, j'ai passé une semaine à la montagne.
Et vous avez skié ?
Bien sûr ! Et je suis restée entière… L'essentiel n'est-il pas de se faire plaisir ?


Interview réalisée par Virginie Sainte Rose.


L'EQUIPE (17 janvier 2000)



Quand avez-vous eu le sentiment d'être devenue une vraie joueuse de tennis ?
Il y a eu plusieurs déclics. D'abord en 1996, quand j'ai gagné Roland-Garros juniors. Là je me suis aperçue que je pouvais faire de bonnes choses. Ensuite il y a eu Berlin en 1998, puis la Fed Cup dans la foulée. En fait, je dirais que Berlin, où j'ai atteint la finale, a marqué les prémices d'une carrière qui a vraiment commencée à Melbourne l'an dernier. Ca, c'est sûr. Car tout ne vient pas comme ça du jour au lendemain. Mais, concernant la notoriété ou le prestige, tout s'est joué en une semaine en Australie.
Quels souvenirs gardez-vous du stade de Melbourne Park ?
Je n'en garde que des images fortes, des moments d'intense émotion. Dans ma tête, j'ai toujours cette image de moi qui exulte à la fin du match contre Davenport. Il n'y a que du bon. Honnêtement, j'étais assez impatiente de me retrouver ici.
Quand vous parlez de cette image forte contre Davenport, en demi-finale, c'est un souvenir de ce que vous ressentiez sur le moment ou l'image que l'on a vue de vous ?
J'ai souvent regardé le match sur casette, et ce que je revois c'est ce que les gens ont découvert devant leur télé, car je n'ai plus aucun souvenir de ce que j'ai pu éprouver, si ce n'est l'impression de ressentir des frissons énormes et de la joie. Sur le moment, je n'ai pas pensé à la finale.
Et après cette finale perdue…
C'était un sentiment de soulagement. D'abord, il y avait une satisfaction énorme. Je venais de réussir un parcours fabuleux pour moi. J'étais joyeuse. Même si, au fond ,j'étais un peu déçue de ne pas avoir totalement réussi mon dernier match.
Qu'est-ce qui vous fait dire que vous y croyez cette année encore ?
Le travail. Car je travaille pour gagner. Une des leçons de l'année 1999 c'est que j'ai pu reproduire à plusieurs occasions une série de bons matches. A Melbourne bien sûr, où j'ai joué de mieux en mieux pendant deux semaines, mais aussi à Coubertin. Mes résultats de Sydney prouvent que je suis devenue plus solide dans tous les compartiments du jeu Et, au fur et à mesure que les mois et les années vont passer, je reproduirai plus régulièrement mon meilleur niveau de jeu. Je sais que je vais devenir de plus en plus constante, de plus en plus régulière.
Mais cette année 1999 a été ensuite assez pleine de rebondissements ; comment la jugez-vous aujourd'hui ?
Il y a eu de tout. Du bon, du très bon, et des mauvais moments. Il y a eu des blessures, dont une grave. Il y a eu de la pression. Des moments d'acharnement médiatique. J'ai entendu, vu et lu des choses sur moi qui n'étaient pas faciles à encaisser. J'en suis sortie endurcie.
Puisque vous parlez de cette pression médiatique qui a immédiatement suivi votre parcours, mais surtout vos déclarations à Melbourne, était-elle proportionnée à ce que vous attendiez ou avez-vous été débordée ?
Ah ! Complètement ! Je sous-estimais complètement ce qui m'attendait à mon retour en France. Et avec le recul je me dis qu'on a bien fait de partir deux semaines en vacances immédiatement après l'Australie. Cela a permis à tout le monde de redescendre un petit peu. Car, quand j'ai vu les dizaines et les dizaines de demandes d'interview qui me tombaient dessus, je me suis aperçue qu'il s'était effectivement passé quelque chose…
Avec ce même recul, avez-vous regretté d'avoir rendue publique votre liaison avec votre amie ? Ce n'était plus aussi facile à canaliser une fois revenue en France, je suppose.
Non jamais. On m'a souvent posé la question et à aucun moment je n'ai regretté mon attitude. Car je sais que, si j'ai bien joué en Australie, c'est parce que je me suis ouverte de ma vie privée. Cela m'a permis d'être enfin en harmonie avec ce que j'étais. Je me suis sentie plus libre. N'oubliez pas que je n'ai pas déclaré mon homosexualité après la finale, mais juste après mon deuxième tour.
Etes-vous fière de votre prise de position ?
D'une certaine manière, oui. Car je suis en accord avec moi-même. Mais ce n'était pas facile quand même.
Et le fait que personne ne vous ait blâmée ou critiquée vous a-t-il surprise ?
Aussi, oui. Tout le monde a trouvé ça normal...ou tout le monde a feint de trouver ça normal. Mais à l'arrivée il n'y a pas eu de négatif, c'est vrai.
En avez-vous tiré un enseignement ?
En fait, cette année m'a confirmé ce que je pensais : on n'a rien sans rien. Si j'ai eu les résultats que j'ai eu en 1999, ce n'est pas en glandant toute la journée ou en sortant tous les soirs, comme j'ai pu l'entendre ou le lire. Là, je l'ai vraiment compris. Comme j'ai compris qu'il valait mieux être honnête avec soi-même, sinon on n'est pas bien.
Et toute cette pression, estimez-vous qu'elle a nui à votre tennis ?
Non, car je pense que de ce côté aussi je m'en suis bien sortie. J'ai fait ce que je pensais être bien, notamment dans le choix des médias, et je n'ai pas de regret.
Pourtant, après votre blessure sur le court à Roland-Garros, vous avez dit que cet accident n'était pas totalement le fruit du hasard…
C'est vrai. A l'approche de Roland-Garros la pression a été grandissante pour devenir très forte après le tirage, et incroyablement intense à la veille du deuxième tour contre Martina Hingis. Je n'étais peut-être pas prête à encaisser ça aussi tôt dans le tournoi. Et au lendemain de ma défaite j'ai peut-être pâti d'une certaine décompression due à la tension nerveuse qui avait disparu d'un seul coup. Si je me suis aussi gravement blessée sur le court, c'est sûrement dû à une sorte de perte de vigilance. C'est pour ça que j'ai dit que ce n'était pas forcément un manque de chance.
C'est une analyse des choses façon Noah
Cela ne m'étonne pas. Je crois que nous avons souvent la même façon de voir les choses. D'une certaine manière, je me sens assez proche de lui.
Avez-vous la sensation que l'influence de cette blessure n'a pas été totalement négative ?
En fait, elle m'a fortifiée parce que ça m'a permis d'encaisser tranquillement dans mon coin tout ce qui s'était passé depuis l'Australie. Un truc si fort qu'il avait eu un impact énorme, dans le tennis, en dehors du tennis dans la société en général. Moi j'avais besoin d'encaisser tout ce qui s'était passé. De prendre du recul. On ne sort pas indemne de six mois de folie comme ça, sans à un moment donné craquer, sans péter un plomb. Moi, mon "pétage " de plomb, ça a été de me blesser, mais je crois que finalement ça aura été positif pour le reste de ma carrière.
Et pour vos blessures à répétition aux deux cuisses c'est la même chose, vous y voyez une explication logique ?
Non, là c'est vraiment un problème spécifique, j'ai une faiblesse que j'essaie de corriger avec le travail. Une douleur sur le côté externe de la cuisse droite est apparue depuis l'US Open. Je pense que ça peut venir du problème que j'ai eu à la cheville à Roland-Garros, de compensation. En tout cas, je touche du bois, pendant toute la préparation pour l'Australie et à Sydney, je n'ai rien senti. J'espère que ce n'était qu'une séquelle de mon accident de Roland-Garros.
Pouvez-vous nous éclairer sur votre changement d'entraîneur ? Car on vous a quittée à Roland-Garros avec Christophe Fournerie pour vous retrouver cet été avec Sophie Collardey. Que s'est-il passé ?
En fait, j'avais quitté W. Bashford, en 1998, parce qu'il avait eu tendance à s'approprier mes résultats. Je ne voulais plus connaître cela et c'est ce qui m'avait poussé à intégrer le team Demongeot début 1999. Je voulais adhérer à une structure mais sans retomber dans le train-train. J'avais besoin d'un peu d'indépendance. Or, après quelques mois de bon fonctionnement avec Christophe Fournerie, le coach de l'équipe, celui-ci a eu des divergences de vue avec Isabelle Demongeot qui chapeaute le tout. C'est ce qui explique la fin de notre collaboration. Et, parallèlement à ça, j'ai trouvé Sophie.
Pourtant, en Australie, Christophe Fournerie parlait de votre collaboration à long terme…
C'était une erreur de sa part. Il n'avait jamais été question qu'il me suive partout comme il l'a prétendu. Je me souviens, il a dit " J'irai avec Amélie sur tous les tournois ". Or, il n'en n'avait jamais été question. Premièrement, je veux aller sur certains tournois seule, et deuxièmement, je ne suis à personne !
En cela, ne reproduisait-il pas ce que vous aviez déjà reproché à Bashford ?
Oui, certainement un petit peu.
Vous semblez faire très attention à ce que les gens ne s'approprient pas vos mérites ?
Très, car je commence à avoir une certaine expérience des relations joueur-entraîneur. Je vois un peu ce qui se passe sur le circuit et je ne veux pas qu'un jour un entraîneur puisse dire " c'est grâce à moi que… " Attention, je ne dis pas que j'y arrive toute seule. Il y a des gens qui m'aident. Ca peut-être un entraîneur, ça peut-être Sylvie, ou des gens autour de moi, mais je crois qu'il n'y a personne au jour d'aujourd'hui qui puisse dire " c'est grâce à moi si… ". C'est moi qui suis sur le terrain, et c'est quand même moi qui tiens la raquette, même s'il y a du boulot fait derrière et s'il y a des conseils qui sont donnés. C'est un état d'esprit. les système d'entraînement que j'ai en ce moment s'adapte bien.
Mais ça fait beaucoup d'entraîneurs depuis vos tout débuts, non ?
Ca dépend de la personnalité des personnes dans doute. Graf a eu deux entraîneurs dans toute sa carrière et cela lui a réussi. Moi, j'ai besoin de changement. J'ai l'impression qu'il faut un œil neuf se pose sur moi régulièrement.
Et avec Sophie Collardey ?
Un point sera fait, soit après l'Australie soir après le Gaz de France. Moi, c'est vrai que depuis un an je moi suis entraînée avec un certain nombre de personnes différents. Si je change ce n'est pas forcément ce n'est pas forcément que ça se passe mal avec la personne avec laquelle je travaillais avant. Mais j'ai décidé de travailler comme ça. C'est un souhait de ma part. Pour l'instant rien n'a été décidé encore en vue de la suite de la saison. La décision se fera en collaboration avec Isabelle Demongeot.
N'avez-vous pas peur de ne pas assez jouer et de prendre le risque de voir l'écart se creuser entre vous et les meilleures qui se rencontrent fréquemment et qui progressent ainsi à chaque confrontation ?
Personne n'est pas à ma place. Si des joueuses disputent trente tournois et qu'elles y trouvent du plaisir tant mieux pour elles ! Qu'elles continuent. Moi je préfère faire moins de tournois et privilégier le qualificatif >
Mais c'est aussi à double tranchant. Car vous vous mettez une grosse pression à chaque tournoi, qui devient forcément plus important
Moi, je vais dans un tournoi quand j'ai vraiment envie de jouer. Je ne peux pas jouer à mon meilleur niveau pendant onze mois. Donc je sélectionne. C'est mon caractère. J'ai besoin d'éprouver du plaisir à gagner. Je ne dis pas " à jouer ", mais " à gagner ". Gagner sans plaisir m'emm… Chacun ses choix.
Mais ainsi, vous vous enlevez pas mal de chance de rencontrer régulièrement les toutes meilleures d'autant qu'avec votre bon classement il vous faut maintenant atteindre les derniers tours pour faire de gros matches…
Peut-être, mais elles aussi manquent de références contre moi. En Australie, Davenport ne s'attendait sûrement pas à ce que je produise le niveau de jeu qui fut le mien en demi-finale.
La plupart des grandes rivalités passées du tennis montrent pourtant que les champions et les championnes se sont fait mutuellement progresser en se confrontant régulièrement les uns aux autres : Navratilova et Evert, Connors, Borg et Mc Enroe, Agassi et Sampras…
Peut-être que ça sera un jour un désavantage. Mais mon désir n'est vraiment pas de jouer trente tournois par an. Cela dit, je ne joue pas si peu qu'on le dit : l'an dernier j'en ai joué seize, en manquant deux mois de la saison. Je dirais que ça peut aller jusqu'à dix-huit ou vingt ; or, je regardais justement ce matin le classement et le nombre de tournois. Davenport, Hingis, les deux Williams au maximum en ont joué vingt.
Même si les choses ne se posent pas exactement dans ces termes. Que choisiriez-vous entre : faire abstraction de tout pendant cinq ans pour ne vivre que pour le tennis et devenir la meilleure au monde, et privilégier une vie harmonieuse, partagée entre le tennis et la vie privée, quitte à passer à côté d'une carrière plus prestigieuse ? Ce n'est pas une question facile, mais de toute façon je crois que je suis incapable de manger, de dormir et de pense tennis pendant cinq ans. J'ai besoin d'un équilibre pour être bien. Mais peut-être est-ce parce que j'ai fait le contraire pendant des années. De onze ans jusqu'à dix-huit ans, ma vie entière a été consacrée au tennis. Et à un moment, je crois qu'il faut inverser les choses. La preuve c'est qu'au moment ou j'ai inversé le système les résultats ont commencé à venir.
Dans votre esprit, où vous situez-vous par rapport aux Hingis, Davenport ou Williams ?
Je ne me pose pas ce genre de question. Je sais que sur un tournoi du Grand Chelem je peux être à leur niveau. De toute façon, mes objectifs ne se situent pas en termes de classement, mais en termes de jeu. Je veux arriver à m'éclater encore plus sur le terrain.
Et en matière de palmarès, avec quelles victoires pourriez-vous considérer avoir réussi votre carrière ?
Ce que je voudrais à la fin de ma carrière, c'est avoir gagné un tournoi Grand Chelem, Roland-Garros bien sûr. Mais, au-delà du classement, ce que je privilégie c'est l'émotion sur le terrain. Je m'orienterais plutôt dans cette direction que d'affirmer vouloir être un jour numéro 1 mondiale. En fait, je pense que je peux gagner plusieurs tournois du Grand Chelem sur plusieurs surfaces différentes.
Est-ce que le regard des autres joueuses a changé sur vous au fil des mois ?
Non, je ne crois pas. J'ai toujours eu des bons rapports en général avec les autres filles.
Et vous avez toujours des problèmes avec certaines…
(Rires.)Disons que je ne vais pas sauter au cou d'Hingis. Une victoire sur elle a une saveur particulière, c'est sûr. A Coubertin ; dans mon jardin, je ne l'ai d'ailleurs pas laissée passer. Et la battre fut très bon. La battre de nouveau à Sydney et puis Davenport ensuite, disons que c'est une …petite satisfaction.
Dans le privé, les autres joueuses dont l'homosexualité est connue mais qui ne l'ont jamais avoué, vous sont-elles reconnaissantes de votre prise de position ?
Pas vraiment, non. Je dirais même qu'elles m'évitent. C'est sans doute qu'elles craignent que je les dénonce.(rires). Il n'y en a qu'une qui m'ait félicitée. Une seule.

Interview réalisée par Philippe MARIA et Philippe BOUIN.

L'EQUIPE MAGAZINE (6 Février 1999)

Interview réalisée en Australie, après la finale.


Dans cet Open, vous avez réussi deux performances : celle d'être en finale et celle d'être l'un des rares athlètes de haut niveau, femmes et hommes confondus, à assumer son homosexualité ?
Ah bon ? Vraiment ? Je ne savais pas. Enfin, je ne l'ai pas fait par rapport à ça. Je préfèrerais qu'on se souvienne de moi pour mon tennis, mais on pourra retenir aussi le fait que j'ai eu le courage de faire ça. En fait, c'est Sylvie, mon amie, qui m'a un peu poussée à le dire. Elle ne voulait pas avoir à se cacher, ne pas pouvoir vivre normalement avec moi. Ca nous a paru logigue. Je ne voulais pas non plus avoir à mentir, à me taire.
Vous auriez pu vous inventer un petit ami et instaurer un statu quo avec les journalistes pour qu'ils n'en parlent pas, comme la plupart des sportifs homosexuels français ?
Non, surtout pas. Jusqu'à maintenant, ma tactique était d'éviter le sujet. Mais là, nier l'évidence, ç'aurait été ridicule. Le fait d'occulter Sylvie aurait pu la mettre mal à l'aise, alors qu'elle est si importante pour moi. Et puis, je crois qu'en tant que sportive j'ai une image positive, alors, si ça peut faire reculer un peu l'intolérance, ouvrir l'esprit des gens, tant mieux. Qu'ils se rendent compte que je suis comme eux, que j'essaie de réussir dans mon domaine, de gagner. Je pense qu'ils me jugeront sur ça et non sur mes moeurs.
Dans la mesure où vous êtes parvenue en finale, ce "coming out" a été surmédiatisé, avec des commentaires parfois blessants dans la presse. Regrettez-vous votre honnêteté dans cette affaire ?
Dès le début du tournoi, je ne m'en suis pas cachée. Mais avec mes résultats, l'intérêt est allé croissant. Le point culminant étant atteint avec les conneries qui sont sorties dans les journaux ici, selon lesquels je serai un "demi-homme" et tout ça. Ca m'a blessée, surtout parce que je ne comprenais pas ce qui motivait ça. Je ne voyais pas ce que j'avais fait de mal pour mériter un tel traitement. C'est vrai, j'ai un peu douté, regretté...Mais ça n'a pas duré. Redgardez la réaction des gens. Ca m'a fait vraiment du bien, ça m'a soulagée. En plus, je ne peux plus vraiment le regretter, c'est le fait d'être moi-même qui me fait mieux jouer. Je suis bien dans ma vie, heureuse. Je ne veux pas retourner en arrière.
L'intolérance, vous la rencontrez très fréquemment. A Wimbledon, par exemple, si vous avancez dans le tournoi, la presse tabloïd anglaise peut être très dure avec vous
Comme dit Sylvie, quoi que je fasse, je ne ferai jamais l'unanimité. Et comme plaire à tout le monde n'est pas mon but...L'essentiel, c'est que je me plaise à moi, que je sois fière de la façon dont je mène ma vie. Et puis, j'aurai peut-être la communauté homo derrière moi. Le seul intérêt de cette info, c'est qu'elle est nouvelle. Ca va se tasser. Dans quelques mois, on me laissera vivre ma vie tranquillement et jouer au tennis le mieux possible. D'autre part, la presse anglo-saxonne ne m'intéresse pas vraiment. La façon dont elle traite l'info est assez lamentable, j'en ai eu l'exemple ici. Lindsay Davenport aussi en a été victime. Non, je lis surtout la presse française.
Justement, comment expliquez-vous la réaction des joueuses ?
Lindsay était vraiment désolée de ce qui s'est passé. Elle a parlé en termes exclusivement sportifs et s'est fait piéger. Elle m'a fait passer un très gentil mot pour s'excuser et me souhaiter bonne chance pour la finale. Cela m'a fait vraiment plaisir. C'est une fille que je respecte beaucoup. Et Martina Hingis ? C'est différent. Elle s'est excusée pendant la cérémonie de la finale. Elle m'a dit : "Je suis désolée d'avoir dit ça. Je crois vraiment que c'était stupide de ma part". J'ai répondu : "J'espère que tu l'es vraiment, car effectivement, c'était stupide et, en plus, ça m'a blessée". Mais bon, je ne la crois pas sincère. Ce n'est pas la peine d'attendre plus de quelqu'un comme ça.
Pour revenir à la presse sportive, le fait qu'ele soit constituée à 80% d'hommes n'est-il pas un facter déterminant de la façon dont cette affaire a été traitée ?
Probablement. Dans un domaine masculinisé, il y a forcément une plus grande proportion de machos, plus précisément de misogynes. Alors, s'ils considèrent les femmes comme inférieures, à fortiori, une homo, c'est à dire une fille qui ne daigne pas s'intéresser à eux, qui ne succombera jamais à leur charme...Elle a encore moins de chance d'être vue de manière positive.
Il n'y a pas qu'en Australie que cette affaire a été commentée d'une façon déplaisante, vous avez également été la cible des "Guignols de l'info", en France.
Concernant les Guignols, je n'ai pas trouvé ça particulièrement fin. Ils m'ont déjà fait rire et peuvent faire mieux, plus subtil, j'en suis sûre. Mais ce qui me gêne surtout avec les Guignols, c'est que les sportifs y sont systématiquement pris pour des cons. Bon, c'est vrai qu'il y en a pas mal. Mais ils pourraient nous donner notre chance, parfois.
On vous a sentie fébrile dans cette finale, particulièrement dans le premier set. Vous ne lâchiez pas vos coups, vous vous précipitiez...Comme si, d'un coup, la pression était énorme.
Franchement, en entrant sur le court, je n'y pensais plus du tout. J'étais totalement relâchée. Ce que j'avais sutout sous-estimé, c'était l'impact d'une finale de Grand Chelem. C'était marrant, je me suis installée, j'ai sorti mes affaires, je ne réalisais pas, même pendant les échanges d'échauffement. Et puis, à partir du moment où on a joué, j'ai senti la foule, si concentrée, si attentive, et la pression est montée.
Pour en finir avec le sujet, n'est-ce pas le fait d'évoluer dans un milieu exclusivement féminin depuis de longues années qui peut conduire à préférer les filles aux garçons ?
Franchement, je ne le pense pas. C'est vrai qu'il y a une grande solitude, lorsque vous êtes sur le circuit, à enchaîner les tournois, mais on nest pas complètement coupé des garçons. On a quand même le choix d'être avec qui bon nous semble.
Cette vie de nomade a donc été pesante ?
En juniors et les deux années qui ont suivi, certainement. Quand vous êtes centième joueuse mondiale, vous n'avez pas cette vie de luxe qui s'offre maintenant à moi. Aujourd'hui, c'est plutôt agréable. On veille constamment sur vous, vous êtes logée dans de beaux hôtels...Toutes les conditions sont réunies pour que vous vous concentriez uniquement sur votre sport. Mais ça n'a pas toujours été le cas. Je me souviens, en Grèce, d'un tournoi galère, mal géré, mal organisé. Je me suis demandée si je n'allais pas repartir.
Cette détermination dont vous faites preuve en dehors du tennis frappe aussi lorsque vous êtes sur le court. Dans cette finale de l'Open d'Australie, alors que vous vous libérez dans le second set, vous sauvez six balles de match ! Avez-vous toujours été comme ça ?
J'était déjà comme ça petite. Je crois avoir été une enfant pleine d'énergie, un peu rentre-dedans, qui bougeait tout le temps. Et puis, lorsque je suis partie de chez moi, à onze ans, ça n'a pas été facile, je me suis renfermée. J'ai perdu beaucoup de cette assurance et de ce côté casse-cou qui e faisaient foncer. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ça revient, que le caractère que j'affiche est vraiment le mien.
Pourtant, lorsque vous avez décidé de quitter la fédération, il y a deux ans, vous donniez l'impression de savoir précisément ce que vous vouliez ?
Oui, mais là, j'étais acculée. Il fallait absolument que j'agisse. Là encore, je n'étais pas moi-même. Patrick Simon me faisait jouer un jeu de fond de court qui ne correspondait pas à mon tempérament. J'avais demandé à évoluer, à changer, sans succès. Je me sentais dans une impasse et je savais pertinemment que je ne réussirais pas dans le tennis en jouant comme ça. Et comme c'est l'objectif que je me suis fixé, il m'a fallu réagir.
C'est aussi ce qui vous a motivé pour quitter votre précédent entraîneur, Warwick Bashford ?
Oui, j'avais le sentiment de ne plus progresser avec lui. Je voulais être plus agressive, monter au filet. Par ailleurs, alors qu'il travaillait également avec Sandrine Testud, Warwick restait quelqu'un de très exclusif, voire possessif. Bref, relationnellement, ça n'allait plus, ce qui me rendait le travail impossible. C'est pour ça que j'ai rejoint le team d'Isabelle Demongeot.
C'est par ce biais là que vous avez rencontré Christophe Fournerie, votre nouvel entraîneur. Comment cela se passe-t-il avec lui ?
D'abord, relationnellement, ça se passe super-bien, on rigole beaucoup, on partage beaucoup de choses ensemble. Après, pour le travail, il y a énormément d'échanges. Si on n'est pas en séance d'entraînement, on discute. Je n'ai jamais parlé autant, ça permet de visualiser les erreurs, d'essayer de les surmonter, de préparer les matchs...Je crois avoir la capacité d'évoluer très rapidement. A partir du moment où il insiste sur un point faible, je le corrige très rapidement. Et puis, il y a aussi une autre façon de travailler. Par exemple, en dépit de mon potentiel athlétique, je n'avais jamais fait de véritables séances de musculation. On s'y est mis avec Christophe. J'ai d'ailleurs eu du mal au début, comme le prouve ma petite contracture à la cuisse.
Vous disiez : "On rigole beaucoup". Sylvie, Christophe et vous mettez pas mal d'animation dans le "player's lounge"...En fait, on a l'impression que votre trio est fusionnel. Qu'arrivera-t-il si vous vous retrouvez seule sur le circuit. Ne serez-vous pas un peu perdue ?
Je n'en sais rien. C'est à moi d'essayer de surmonter ça aussi. C'est vrai que ce mois en Australie a été super pour tous les trois au niveau relationnel. On a, en plus, vécu des moments forts jusqu'à cette accession en finale. De toute façon, il est prévu que Christophe me suive sur les tournois. Quant à Sylvie, elle me suivra quand son emploi du temps le permettra.
Comment expliquez-vous que vous ayez progressé aussi rapidement ?
Franchement, j'ai toujours eu en moi cette capacité de jeu, je n'arrivais simplement pas à l'exprimer. L'année dernière, j'ai eu l'impression de vivre ente parenthèses, à moitié. Il y avait les relations avec Warwick qui se sont dégradées, le fait que je me sente un peu seule...A la fin de la saison, j'était à la ramasse. Je me suis traînée dans les tournois. Et puis, le déclic est venu en Novembre. J'ai rencontré Chritophe, mon entraîneur, et Sylvie, mon amie, lors du même dîner, le 5 exactement.
Est-ce à dire que c'est surtout un déclic mental dont vous aviez besoin ?
Dans mon cas, c'est évident. Même si on a fait du très bon travail avec Christophe en décembre. C'est d'abord d'avoir rencontré Suylvie qui a débloqué les choses pour moi. Je me suis sentie heureuse, épanouie, le reste a suivi naturellement.
Que reste-t-il a améliorer dans votre jeu ?
Avat tout, c'est d'acquérir un jeu d'attaque performant. Etre plus agressive, monter au filet...Autant de caractéristiques qui correspondent beaucoup plus à ma personnalité. Le problème est que j'ai plein de mauvaises habitudes.
Pendant le match, vous avez effectivement loupé vos quelques montées au filet. Est-ce pour des raisons de coup d'oeil, d'appréciation ou un problème de confiance ?
C'est surtout un problème de confiance. Je me refuse à prendre les risques. Sinon, je vois où la balle peut tomber, mais j'hésite, car mes coups au filet ne sont pas toujours gagnants. Il n'y a qu'en demi-finale que j'ai réussi à monter un peu plus, à être plus agressive. C'est vraiment ce qui m'a manqué en finale.
La fébrilité que vous avez ressentie pour cette finale vous a amenée à parler de relaxation lors de la conférence d'après match. Vous aviez déjà essayé durant la Fed Cup, avec Yannick Noah.
Oui, mais c'était du yoga, et c'est pas trop mon truc, en fait. Donc, je n'ai pas d'idées sur le sujet. Peut-être la sophrologie...Mais en ayant vécu la pression d'une finale de Grand Chelem, je saurai ce qui m'attend la prochaine fois.
Qu'elle est votre appréciation sur le niveau du tennis féminin ?
Depuis quatre ou cinq ans, il a considérablement augmenté, mais s'est aussi resserré. De la trentième à la cinquième place, c'est assez ouvert. Je pense que, pour moi, la progression est jouable. Après, dans le top 5, c'est plus dur, même si, là encore, l'écart entre les filles n'est pas si élevé. Après tout, il y a encore quelques temps, les numéros 1 et 2 mondiales n'avaient pas de matches aussi accrochés dans les tournois du Grand Chelem. Jusqu'au troisième tour, c'était du 6-0, parfois du 6-1, mais pas plus. C'est beaucoup moins le cas de nos jours.
Même si, à mesure de la progession du tournoi, il n'y avait plus beaucoup de joueuses sur place, vous avez eu quelques réactions sur votre parcours ?
C'est vrai qu'il n'y avait plus grand monde, mais j'ai croisé Serena Williams qui ne m'avait jamais adressé la parole auparavant et qui m'est tombée dessus : "Waouh !c'est super, génial pour toi, je te félicite..."
Comme le font parfois les Américains, elle vous respecte parce que vous êtes du côté des gagnants ?
Oui, il y a sûrement de ça. Peut-être aussi qu'elle se dit qu'on appartient toutes les deux à une minorité et que c'est une façon de se montrer solidaires, j'en sais rien...De toute façon, j'ai été agréablement surprise.
Y a-t-il des joueuses qui vous gênent particulièrement ?
Non, c'est plutôt moi qui ai tendance à gêner, puisque j'ai une grande variété dans mon jeu. La joueuse commence à s'habituer à des échanges canon et hop!, je fais un petit slice. Je change de rythme et ça dérange beaucoup. J'essaie de les empêcher de jouer au maximum.
Malgré votre détermination, n'avez-vous pas des moments de doute ?
Si, bien sûr. Très souvent, même. C'est dur, physiquement, mentalement, et tu te demandes forcément si ça en vaut la peine. Mais c'est aussi l'accomplissement d'un rêve. Je raconte toujours l'épisode de Noah, mais il faut imaginer ce que ça représente. J'ai quatre ans, je vois ce joueur gagner et je décide que sa victoire sera à un jour la mienne. Je m'attelle à ça et j'agis pour réaliser ce rêve-là. Les moments de doute ne sont donc que passagers. Et parfois, une simple conversation, une rencontre fortuire, un bon dîner avec des amis suffisent à les faire disparaître.
Même si vous êtes partie tôt de chez vous, vous avez pu bénéficier du soutien de vos parents ?
Ils m'ont toujours soutenue, encouragée aussi quand je prenais des décisions difficiles, comme quitter la fédération. Dans le même temps, ils n'étaient pas envahissants, ils se sont pas impliqués dans le milieu du tennis et ne sont pas comme ces parents qu'on voit sur le circuit qui poussent leurs gamins. Ils ont toujours respecté mes choix dans le tennis.
Vous êtes-vous essayée à d'autres sports, ou le tennis a-t-il toujours été une évidence ?
J'aime bien l'équitation et le ski. Tout ce qu'il ne faut pas faire...Pour le ski, il y a vraiment eu un moment d'hésitation. J'étais sur les skis à l'âge de cinq ans. J'y allais très régulièrement. Il y avait un chalet familial à la montagne. Mais comme je n'habitais pas sur place, ce qui m'empêchait de vraiment m'y mettre, j'ai opté pour le tennis.
Qu'est-ce que vous allez faire les jours prochains ?
Demain, on décide avec Sylvie où on part en vacances. La Nouvelle-Calédonie, notre destination initiale, en territoire français ce n'est pas la meilleure idée pour être tranquille, ce dont j'ai vraiment besoin.
Où vous voyez-vous à la fin de l'année ?
Au Masters féminin, donc dans le Top 10.
Avec tout ce qui s'est passé pendant ce tournoi, l'année de vos vingt ans, n'avez vous pas l'impression de prendre un coup de vieux ?
Un coup de vieux, non, mais un coup de maturité sûrement.

Virginie Sainte-Rose



PARIS MATCH (4 Mars 1999)

Comment ça va les filles ?
Amélie : Ca va...Un peu fatiguée, ce soir.
De parler de sois-même ?
Sylvie : Ca pompe pas mal d'énergie.
Lors d'un match, Amélie, pensez-vous, même par éclair, à votre vie privée ?
Amélie :Pas spécialement à ma vie privée. Sur le court, il y a toujours la présence de Sylvie, comme un repère.
Vous communiquez ?
Sylvie : C'est surtout des regards, un soutien.
Amélie : Et des gestes qui sont pour moi comme un second souffle. Je regarde davantage Sylvie que mon entraîneur!
Sylvie : Ce qui est certain, c'est que je vis au même rythme qu'Amélie, à chaque point. L'effort physique en moins, bien entendu ! Mais je sors vidée d'un match.
Amélie : C'est pour ça qu'on va jouer ensemble après, pour que tu te dépenses!
Sylvie : Ca me libère du stress, je me fais tellement de soucis à la regarder jouer, j'ai trop peut pour elle.
Peur de quoi ?
Sylvie : De la défaite. C'est bête, ça n'est qu'un match, mais j'ai envie qu'elle gagne, c'est clair.
Amélie, votre révélation a-t-elle changé votre tennis ?
Amélie : Finalement, ça m'a libérée. Si je joue bien en ce moment, c'est grâce à Sylvie. J'arrête de mentir, de me cacher.
Comment la décision a-t-elle été prise ?
Amélie : C'est plutôt toi qui as eu l'idée.
Sylvie : C'est vrai que j'ai poussé un peu plus. Tout en sachant que si elle n'avait pas pu le faire, elle ne l'aurait pas fait. Je pensais que ça pouvait lui apporter quelque chose, même si elle s'exposait plus que moi. On l'a fait non pas pour se démarquer des autres, mais pour être comme les autres.
Amélie : Pour pouvoir vivre comme les autres.
Sylvie : On n'a pas fait ça pour dire : "On est homo, on emmerde les hétéros, on vit ce qu'on veut". On n'est pas des gens frustrés. J'ai personnellement vécu mon homosexualité depuis l'âge de 19 ans, l'âge d'Amélie aujourd'hui. A St Tropez, tout le monde sait ce que je suis. Il ne s'agissait pas de choquer. Mais ce n'est pas normal de ne pas pouvoir le dire.
Sylvie, n'était-ce pas pour vous une façon de sortir de l'ombre ?
Sylvie : C'est vrai. Mais si on avait pu dire de moi : "C'est peut-être sa psy, sa masseuse", j'aurai eu peut-être plus de gloire ! Il y avait un soucis de vérité. J'ai dit à Amélie que ça n'était pas à 31 ans que j'allais commencer à mentir. Ca n'était pas un ultimatum ni du chantage. Cependant, j'aurai difficilement continuéu ne relation.
Amélie : Sylvie ne m'a pa forcée ! J'en avais envie. Je n'ai pas hésité. C'était un pas difficile à faire. Je me suis dit : "Ca va être le bordel!". Et j'ai pensé que cela pouvait aider certaines personnes, bien que je n'ai aucune envie d'être le porte-parole de quoi que ce soit. Sauf de la tolérance.
Comment viviez-vous avant, Amélie ?
Amélie : J'ai vécu cachée, seule à Paris. Peu de monde le savait, en dehors des proches, des amis.
Votre famille est très absente dans vos interviews...
Amélie : D'ailleurs, elle va être absente de celle-là aussi ! Je n'ai pas très envie de parler de mon passé. Mais ma famille savait déjà, depuis le début.
Sylvie : Et je n'étais pas ta première relation, c'est important de le dire !
Amélie : Oui.
Comment ont réagi vos parents, que vous avez quittés très jeune, à 11 ans ?
Amélie: Pas très bien, je dirais. Ils ont eu des restrictions morales, des barrières...
Sylvie : Tu es quand même en train de parler de tes parents !
Amélie : Mes parents m'ont laissée jouer au tennis et ils ont eu du mal à accepter le reste.
Votre place en finale de Melbourne n'a donc rien changé ? Pas un signe ?
Amélie : Non. Ma grand-mère m'a téléphoné. Elle avait envie d'avoir depuis un an des nouvelles de sa petite-fille.
Votre renconter, si j'ai bien compris, c'était lors d'un dîner "arrangé" ?<
Sylvie : J'avais demandé à une amie commune, Isabelle Demongeot, la directrice du team, de me présenter Amélie.
Vous étiez deux coeurs à prendre ?
Amélie : Absolument! On n'a brisé aucun ménage!
Sylvie : J'avais remarqué Amélie à la télé lors de la Fed Cup et j'ai été immédiatement séduite. Je me suis dit : "Qu'est-ce qu'elle est belle!
Saviez-vous que vous aviez une chance avec Amélie ?
Sylvie : Je m'en doutais. On sent quand même un peu ces choses-là.
A la télé ?
Sylvie : Oui. A la télé, je savait comment elle était.
Amélie : Elle m'a dit qu'elle avait aimé mon charisme, mon aura.
Sylvie : A travers son jeu, j'ai senti que c'était quelqu'un qui n'était pas totalement accompli, ça c'est clair. J'ai senti aussi sa très grande force intérieure, j'ai deviné qu'elle avait beaucoup d'humour. Bref, un soir chez Isabelle, je lui dit :" T'as pas encore appelé Amélie ?"Elle me répond : "Elle arrive".On me la présente et, ce qui m'arrive rarement, j'ai eu un regard fuyant.
Amélie : Je t'ai demandé après : "Pourquoi tu ne m'as pas regardée ?" Je me souviens de tout. J'ai vraiment eu le coup de foudre. Je n'ai rien vu d'autre qu'elle. Après le dîner, les gens sont partis, on a discuté jusqu'à 7 heures du matin.
Vous avez parlé de quoi ?
Amélie : De tout. Je suis quelqu'un de très renfermé, qui se confie au bout d'un certain temps. Là, j'étais à l'aise. C'est moi qui suis allée vers elle. Chose très rare. Je sortais d'une histoire. Une histoire douloureuse, mais enterrée.
C'était il y a trois mois. C'est peu, pour officialiser...
Amélie : Ma relation d'avant n'était pas épanouissante au point d'en parler publiquement. Je n'y pensais même pas. Avant Sylvie, j'ai vécu beaucoup de solitude, en sport internat, et des moments de doute, de remise en question. Sans amis à qui se confier.
Sylvie : Ce qu'elle a supporté pour sa carrière, je n'aurais jamais pu le vivre. Je serais rentrée chez mes parents en pleurant.
Qu'est-ce qui vous faisait tenir ?
Amélie : Le tennis. Le rêve. Mais quand je repense à tout ça, je me dis qu'il y a beaucoup de choses que je ferais différemment. Je serais partie de chez moi plus tard. Au moins trois ans plus tard. La fédération avait suggéré que je me consacre avant tout au tennis. Mes parents n'y connaissaient rien. Ils m'ont demandé si j'en avais envie. A 11 ans, ce n'est pas évident de répondre.
Ca vient d'où ce don du tennis ?
Amélie : De Noah. J'avais 4 ans lorsqu'il a gagné Roland-Garros, je l'ai regardé à la télévision et je me suis dit : "C'est ça que je veux faire". Je suis allée dans le jardin, j'ai répété ses gestes.
Le lendemain de votre rencontre, avec quels projets vous quittez-vous ?
Amélie : Rien de précis, en fait. Je devait passer à Bercy, où était Sylvie.
Sylvie : Elle n'est pas venue. On s'est téléphonées, Isabelle organisait une fête, Amélie s'est fait un peu prier pour y aller !
Amélie : Je savais déjà que j'y serai.
Et la décision de vous installer à Saint-Tropez ?
Amélie : Au bout de dix jours. Je m'entraînais à Paris. Si on voulait se voir autrement qu'entre deux avions, il y avait un choix à faire. En même temps, j'ai pris la décision d'intégrer le team d'Isabelle.
A Saint-Tropez, vous ne vous êtes pas encore lancé les assiettes à la figure ?
Sylvie : Non, pas encore !
Amélie : Oh!Non.
Sylvie : C'est pas son style. Plus le mien peut-être! A Saint-Tropez, on se lève en même temps, vers 9 heures Je me levais beaucoup plus tard avant! On prend le petit déjeuner ensemble. Et Amélie va à l'entraînement.
Amélie : On se retrouve à midi. On déjeune ensemble au Gorille et je repars.
Sylvie : Le soir, je ferme le Gorille. On dîne à la maison, ou dehors. Une vie normale.
Il y a des maçons qui élèvent un mur autour de chez vous. Vous vouliez vivre au grand jour et voilà que vous vous cachez...
Amélie : Ca n'a aucun rapport!
Sylvie : J'ai fait des travaux au Gorille. On a tout changé, la déco l'an dernier, la façade cette année. C'était prévu avec ma mère depuis un an. L'entrepreneur me racontait l'autre jour les remarques des gens. Des promeneurs qui passaient disaient :"Regarde, dit l'un, ils refont tout, ils repeignent". L'autre:"Ils peuvent avec l'argent qu'elle vient de gagner à Melbourne". Pour la maison, c'est pareil. Le mur était décidé depuis deux ans. Il y avait un grillage, j'en avais marre.
Amélie : Et c'est pas moi qui paie !
Comment c'est passée la rencontre avec les parents de Sylvie ?
Amélie : Très bien.
C'est un peu comme une autre famille ?
Amélie : Ce que je n'ai pas eu avec la mienne, c'est sympa de le retrouver avec la sienne.
Avez-vous besoin de la présence de Sylvie dans les tribunes ?
Amélie : C'est encore important, surtout ici, à Paris. Sylvie ne m'aurait pas laissée toute seule cette semaine.
Sylvie, comment définissez-vous Amélie ?
Sylvie : Récemment, je lui ai dit : "J'ai 31 ans, et j'ai mis trente et un an à te trouver". Amélie est quelqu'un de fidèle, d'entier. Avec ses forces et ses faiblesses, comme tout le monde. Elle est intègre. J'ai une totale confiance, qu'elle soit là, avec moi, ou au bout du monde.
Amélie : Comme toi...C'est aussi la générosité, pour toi comme pour moi. On a pas mal de points communs. Sylvie est plus impulsive...
Sylvie : Plus bruyante!
Amélie : Je suis plus calme. Dès que quelque chose ne va pas, Sylvie le dit. Elle a besoin d'adrénaline. Elle n'aime pas la routine. J'exprime beaucoup moins. Je garde beaucoup pour moi. Sauf sur un court de tennis. Aujourd'hui, dans mon jeu, il y a un peu d'elle.
Sylvie : On en parlait l'autre jour et cela m'a fait plaisir lorsqu'elle m'a dit ça. Je cherchais un peu ma place. Je ne savais pas vraiment où j'étais. Que lui apportais-je vraiment ?
Amélie : Sylvie, c'est 50% de mes victoires. Le public ne se rend pas compte. Pour arriver jusqu'à 100è ou 80è mondial, c'est uniquement du tennis. Au-delà dans le classement, c'est le mental. C'est la vie. C'est Sylvie.
Combien de places vous a-t-elle fait gagner ?
Amélie : Des places en bien-être...J'ai besoin qu'on ait cette reconnaissance envers elle. Elle n'est pas là pour le fun. Elle m'aide. Elle me supporte. Elle m'encourage.
Sylvie : On fait du boulot ensemble! C'est pratiquement un travail psychologique. Lorsque quelque chose ne va pas, je lui fais une tête comme ça , mais elle m'en parle! Il n'y a rien qu'à travers les mots qu'on peut avancer.
Amélie : Dès le début, avec Sylvie, je n'ai eu aucune réserve. Avant, j'évitais de me retrouver face à mes blocages. C'était tabou.
Sylvie : Elle me fait jouer au tennis. Moi, je l'ai mise au chant. Pour extérioriser. Et à la mauresque !
Vous voyez-vous un jour, l'une ou l'autre, avec un garçon ?
Amélie et Sylvie : Est-ce que vous nous poseriez ce genre de question si nous étions hétéros ?

Arnaud Bizot


TETU (Mars 1999)


Peux -tu nous raconter comment s'est passé ton " coming-out " ?
J'ai fait une interview pour " Le Figaro ". La journaliste voulait écrire un portrait, elle m'a demandé pourquoi j'avais déménagé. Je lui ai répondu que mon amie vivait à St Tropez, et qu' " amie ", c'était " ie ". Plus tard, je suis allée voir les commentateurs de la télé et je leur ai dit : " Quand vous montrez mon entraîneur et mon amie, dites " l'entraîneur d'Amélie Mauresmo et l'amie d'Amélie Mauresmo " ". Ensuite, c'était en conférence de presse, après le match contre Patti Schnyder, je crois. Ca s'est fait tout simplement. Quelqu'un m'a demandé pourquoi j'avais déménagé é, un journaliste a voulu savoir comment s'appelle mon amie. C'est la réponse que j'ai donnée à ces questions à chaque fois qu'elles m'ont été posées.
Comment les journalistes ont-ils réagi ?
Ils n'ont rien dit. Ils ont continué à prendre des notes.
Il n'y a pas longtemps, tu disais que tu ferais ton " coming-out " quand tu ferais partie des dix meilleures joueuses mondiales. Qu'est-ce qui t'as fait accélérer les choses ?
Les choses se sont accélérées parce que je considère que les résultats que j'obtiens à l'heure actuelle, c'est grâce à ça, au fait que j'aie rencontré Sylvie et qu'on soit bien ensemble. Moi, je n'étais pas tout à fait prête à l'assumer, mais on a discuté et, au fur et à mesure, ça m'a semblé la moindre des choses que je le dise, ne serait-ce par respect envers elle.
Tu as été surprise de la réaction de Martina Hingis ?
Oui, ça m'a surprise. Et ça m'a blessée, c'est clair.
Et de la réaction d'Anna Kournikova, qui a pris ta défense ?
Kournikova a trouvé ridicules les propos qu'a tenu Hingis. Ca m'a étonnée parce que d'habitude, elle n'est pas la dernière à faire des commentaires.
Comment ont réagi les autres joueuses françaises ?
Je n'en ai aucune idée. Des filles comme Sandrine Testud, il n'y a pas de problème. Elle le savait déjà. Mais je n'ai pas encore d'écho des autres, elles étaient déjà presque toutes parties. Et ça ne m'intéresse pas vraiment.
Pensais-tu qu'il y aurait plus de solidarité de la part des autres joueuses ?
Non, je ne me faisais pas d'illusions à ce sujet. Il y a surtout beaucoup de jalousie parmi les joueuses. Non, j'aurai aimé plus de solidarité de la part des joueuses qui sont elles-mêmes homos et qui ne le disent pas.
Attendais-tu un geste de Martina Navratilova ?
Non, à vrai dire, cela ne m'a même pas effleurée. Je pensais surtout à une éventuelle solidarité des joueuses sur le circuit.
Comment ont réagi tes sponsors ?
A priori, ça va. Je n'ai pas encore eu d'échos. Cela n'a probablement pas fait l'unanimité chez Nike, mais je pense que depuis dix ans, depuis Martina Navratilova, il y eu une évolution.
Et la fédération française de tennis ?
La plupart des responsables le savaient avant que je l'annonce. Parce que j'ai déménagé, je suis devenue plus indépendante, tout ça…C'est resté pareil. Mais il n'y y a pas eu de réactions négatives.
Et à la WTA, l'association des joueuses professionnelles ?
Là, par contre… " Il ne faut surtout pas trop l'ébruiter, faites attention quand vous marchez dans les couloirs. Faites attention à l'image du circuit féminin ". Moyen.
Que penses-tu de certains journalistes qui ont cherché à en savoir encore plus sur ta vie privée ? En appelant ta grand-mère, par exemple ?
Je ne comprends pas du tout pourquoi ils ont fait ça…Je ne vois pas en quoi cela peut les avancer d'aller voir ma grand-mère ou d'autres. Ce n'est pas leur vie.
As-tu peur d'être récupérée ? Par la communauté homosexuelle particulièrement ?
Non, je n'ai pas peur de cela. Si ça peut aider ceux qui ne l'assument pas ou ceux qui le vivent mal, tant mieux. Mais je ne suis pas une porte-parole. Ceci dit, je donne une interview à Tétu, alors…
Quand tu as dit que tu étais lesbienne, tu l'as fait pour la communauté ou pour toi ?
A la base, je l'ai quand même fait pour moi. Pour être honnête par rapport à moi, par rapport aux gens, aux journalistes surtout, mais aussi aux gens. Mais avant tout, par rapport à moi. Par rapport à mon couple.
As-tu reçu des encouragements auxquels tu ne t'attendais pas ?
A l'hôtel, on a reçu pas mal de fax, de coups de fil d'homos, qui me disaient que ce que j'avais fait était génial, me remerciaient pour mon honnêteté, ma franchise. Ca m'a ébahie parce que j'étais dans mon truc, j'ai fait ce que je pensais être juste, normal.
Tu as même été invitée à la Lesbian and Gay Pride de Melbourne, non ?
Oui, c'était sympa, mais c'était dimanche, on n'y est pas allées, on était fracassées.
Te rends-tu compte de l'importance de ce que tu as fait, non seulement pour le circuit féminin, mais aussi pour la communauté gay et lesbienne dans le monde entier ?
Je crois que je ne réalise pas bien, non. En France, il paraît que je sus la première sportive - ou sportif aussi - qui le dit. Je n'avais pas réalisé. Je pense que cela va faire du bien à la communauté. Ici, les gens s'en foutent. Nous nous sommes promenées main dans la main et ça n'a pas eu l'air de gêner. En France, ça peut ouvrir les esprits.
A ton avis, pourquoi personne d'autre ne l'a-t-il fait avant toi ?
Je crois que déjà, ces dernières années, la société a évolué un peu. Mais ça demande pas mal de courage. Je pense qu'ils avaient peur ou qu'ils n'assumaient pas, tout simplement.
Penses-tu que d'autres vont suivre ?
Franchement, je ne pense pas. C'est possible, mais j'en doute. J'attends de voir. Je serais agréablement surprise. Enfin, s'ils attendaient ça pour le faire, c'est un peu ridicule.
Tu as des projets ?
Rien de spécial. Pour le tennis, continuer ce parcours avec Christophe. Non, continuer normalement. Comme c'est maintenant, c'est bien.

Judith Silberfeld



L'EQUIPE (23 Mai 1999)


Le 10 Mai dernier, au lendemain de votre demi-finale à Rome, vous avez atteint pour la première fois la dixième place mondiale. Cette ascension a-t-elle une signification pour vous ?
C'est génial, ça a concrétisé mon début d'année incroyable. Avant la saison, on m'aurait dit ça, j'aurai rigolé ! Maintenant, ce n'est pas une fin, c'est un rang qu'il faudra que je tienne sur le long terme. Et je pense que mon niveau de jeu actuel peut me le permettre.
Les tournois du Grand-Chelem sont vos objectifs principaux. Hormis ces grands événements, est-ce difficile de rester motivée pour un tournoi de moindre importance ?
Oui, ça l'est de temps en temps, c'est clair. Maintenant, j'essaye de faire le maximum pour avoir le plus de motivation possible dans ces tournois-là, même si ce n'est pas toujours évident.
Ce manque de motivation peut occasionner plusieurs défaites entre deux gros rendez-vous.Vous risquez donc de vous exposer à une critique du style : "Elle ne gagne plus un match". Cela ne vous gêne pas ?
Pas du tout. Moi, je joue au tennis pour les émotions des grands rendez-vous, et c'est tout ce qui m'intéresse. En plus, j'ai besoin de temps en temps de sortir du tennis, de faire autre chose, de vois autre chose, de "profiter de la vie", ce qui engendre des baisses de régime à certains moments.
Dans ce cas, regrettez-vous d'avoir joué à Hilton Head et Key Biscane ?
Oui. J'avais envisagé le fait de ne pas y aller. C'est ce que j'aurais dû faire. Ca ne servait à rien. Je savais avant de partir que je n'étais pas à 100% mentalement, physiquement et tennistiquement. Je ne m'étais pas remise de la semaine de Coubertin, ni de tout ce qui s'était passé avant. Cela ne se digère pas comme ça.Quand j'ai fini l'Australie, je savais que mon premier tournoi allait être Coubertin et je me rends compte avec le recul que je n'ai pas vraiment décompressé entre les deux. J'avais toujours en tête de "devoir confirmer à Paris" et finalement je suis restée dans le truc, même pendant mes vacances en Nouvelle-Calédonie. Beaucoup moins intensément, certes, mais de temps en temps ça revenait. Et après Coubertin, c'est vraiment le moment où j'ai décompressé. L'entraînement, c'était plus dur, je n'y arrivais pas.
Effectuez-vous un travail psychologique particulier pour aborder ces moments là ?
Non, je ne fait rien de spécial, j'arrive à bien gérer pour l'instant, donc je n'ai pas recours à un psychologue ou à un préparateur mental. C'est ma force. C'est en discutant avec Sylvie, avec les gens de mon entourage que je puise cette énergie.
Revenons à votre première finale à Berlin en 1998. Pourquoi ce tournoi et pas avant ?
Parce que je n'étais pas prête ! Pourquoi ? Parce que tout a été bien en même temps. Je savais que j'étais capable de jouer à ce niveau-là, je ne savais pas quand ça arriverait, physiquement, j'étais bien, mentalement aussi. Voilà. Au fur et à mesure des matches, j'ai pris confiance, j'ai sauvé une balle de match en qualifs, ça m'a donné confiance. Je me suis dit que je n'avais plus rien à perdre sur les autres matches. Je n'ai jamais pensé plus loin que le match suivant à chaque fois, et ça s'est bien passé.
Vous y pensez à ces trois finales perdues (Berlin, l'Open d'Australie et Coubertin) ?
Non, franchement non. C'est vrai que sur le coup, que ce soit en Australie ou à Paris, je me suis dit "Mince, c'est dommage, je ne suis pas loin de gagner un tournoi..."Mais maintenant, non, ce n'est pas quelque chose à quoi je pense tous les jours...
L'an dernier, après votre défaite à Roland Garros au premier tour contre Kournikova, vous aviez déclaré être rentrée sur le court extrêmement nerveuse. Mais la pression de l'évênement n'était rien, comparée à celle qui vous attend. Cela vous fait-il peur ?
Je ne sais pas si se sera dix fois plus que ce qui m'attendait à Coubertin. En février, j'appréhendais plusieurs choses. Mon niveau de jeu d'abord. Je ne savais pas si j'allais être capable de reproduire ce que j'avais fait à Melbourne, si j'allais avoir le même combativité, etc. Ensuite, il y avait la réaction du public par rapport à tout ce que j'avais dit là-bas. J'étais dans le flou à deux niveaux. J'ai eu confirmation que le public était derrière moi et que finalement mon jeu, je ne le perdais pas en trois semaines dont deux de vacances. Cela m'a rassurée. Maintenant, jouer Roland, ça me fait avant tout plaisir et je ne suis plus la même que l'an dernier.
En un mois, vous êtes passée de l'anonymat au statut de star des médias. Cette rapidité vous a-t-elle surprise ?
Un petit peu quand même. Que ça prenne cette ampleur là, quand même, oui...Maintenant, cest fait, on a dit ce qu'on avait à dire et ça se passe plutôt bien.
C'est une vie qui change, tout de même...
Oui et non. C'est le regard des autres qui changent, mais ma vie à moi elle n'a pas changé,non.
En faisant ces déclarations sur votre vie privée, vous saviez que cela prendrait cette importance, tout de même...
On s'y attendait, c'est vrai que j'y ai pensé, mais pas à ce point là. Si on l'a fait, si on l'a dit, on n'a pas pensé à ça, aux conséquences. On a pensé surtout à notre liberté. Ce n'était pas un coup médiatique.
On s'y habitue à cette notoriété ?
On est obligé d'encaisser assez vite. Si tu mets du temps, les gens te bouffent...
Comment fait-on pour ne pas attraper "le cigare" ?
C'est peut-être une question de personnalité, je pense. Et puis, cela vient de l'entourage également.
Cet entourage justement est assez riche. Est-ce un besoin de sécurité, de ne pas être seule ?
Oui, c'est aussi un concours de cirsonctances, mais c'est quelque chose qui me plaît effectivement, parce que je n'aime pas trop la solitude, donc c'est très bien. Je ne dis pas que je serais démoralisée en étant sur un tournoi toute seule, mais ce serait certainement plus dur.
L'argent a débarqué dans votre vie. Qu'en faites-vous ?
Je le donne aux impots ! Je vais le donner ! Sinon, le reste, pour l'instant, rien. Peut-être que je vais m'acheter une voiture, on verra.
Vous aimez la vitesse, la mauresque, une petite cigarette de temps à autre...D'une manière générale, vous appréciez les plaisirs de la vie. Est-ce compatible avec une carrière de sportif professionnel de haut niveau ?
Hygiène, hygiène, c'est le maître mot, c'est Isabelle qui dit ça tout le temps ! Il y a un temps pour tout, c'est sûr que si je fume un paquet de clopes par jour, et si je bois dix maureques, ça ne va peut-être pas marcher ! Mais en doses raisonnables, c'est tout à fait compatible. Peut-être que tout le monde ne pense pas ça, mais c'est ma manière de voire les choses, et puis voilà. C'est mon moyen à moi d'évacuer la pression.
Dans votre entourage, on dit que vous êtes une fille de défis. Comment cela se traduit-il précisément ?
Avant tout, je suis joueuse, cest clair. J'adore aller au casino. Vous me faites un pari là tout de suite, je le relève. J'aime ça, ça me plaît. J'ai toujours été comme ça depuis toute petite. Je ne suis pas une dingue de jeu au point d'aller tout claquer, mais de temps en temps, j'aime vraiment ça. Et c'est la même chose sur un court de tennis.
On dit aussi de vous que vous êtes têtue. Est-ce la clé indispensable de la réussite dans le tennis ?
Je ne sais pas si c'est indispensable pour réussir, en tout cas, c'est un atout supplémentaire certainement.
Ce côté têtu peut parfois entrer en conflit avec les idées d'un coach qui aurait les siennes. Comment trouver l'harmonie et à quoi vous sert un coach ?
Déjà, la relation conflictuelle que vous évoquez, je ne la connais pas parce qu'il y a trois coaches dans le team. Christophe, Isabelle et Sophie. Donc, il y a beaucoup de discussions et si je ne suis pas d'accord, j'en parle avec un autre. Et on arrive toujours à trouver un accord Le rapport conflictuel, je peux en parler parce que je connais, mais je ne suis pas sûre que ce soit un bon moyen d'avancer. C'est ce qui me plaît aujourd'hui dans la structure : il n'y a pas de "one on one". On peut me convaincre d'une chose pour laquelle je ne suis pas d'accord au départ, mais il faudra en discuter ensemble. C'est important de confronter des opinions différentes.
Il y a trois ans, vous luttiez pour devenir numéro 1 mondiale junior. Quel est votre meilleur souvenir de cette période ?
La victoire à Roland Garros .Parce que c'est Roland Garros. On ne s'y attendait pas vraiment, c'était le premier titre, un grand souvenir. Avant, il y a vait eu ce match contre Brenda Schilts dans le grand tableau, un autre moment fort. Je ne sais pas si ça m'a donné un plus pour gagner les juniors ensuite, mais je me souviens qu'en conférence de presse juste après le match, j'avais dit que j'allais gagner Roland Garros Juniors. Je pense que ça m'a bien servie, oui !. Parmi les autres images fortes de ma période junior, il y a aussi ma qualification dans le tgrand tableau en 1995. Je passe trois tours, j'étais 750è je crois, et je bats trois filles dans les 120è. Je revois très bien l'image, c'était très intense.
Qu'est-ce qui a changé dans votre jeu comparé à cette période ?
En technique de jeu, je suis plus agressive, je me tiens plus près de la ligne, je prends la balle plus tôt. J'ai plus de relâchement, donc plus de vitesse.
A quel moment avez-vous pris vraiment conscience que vous vous destiniez à une carrière professionnelle ?
En sortant des juniors, jai eu la naïveté de croire que ce serait pareil en seniors. En juniors, j'ai tout enchaîné, d'un coup il y a eu un déclic, Roland, Wimbledon, le titre et puis je me disais : "Bon, ça va continuer, je vais monter au classement etc.."et puis, bon, ça ne s'est pas passé. Le moment où j'ai pris conscience que je pouvais faire quelque chose chez les pros, c'était il n'y a pas si longtemps que ça, en 1997.J'ai pris conscience que je n'y arriverais pas en jouant de la manière dont je jouais. J'ai quitté la Fédé, j'ai changé d'entraîneur. Avec Warwick (Bashford), on a essayé d'orienter plus mon jeu vers l'avant. Ca n'a pas été facile et même encore aujourd'hui, ce n'est pas facile parce qu'il y a des habitudes qui ont été prises. Warwick; quelque part, m'a fait travailler plus dur. Les résultats ont suivi et je me suis dit : "Ok, maintenant, c'est sûr, si je travaille, je peux arriver à quelque chose chez les pros".

Romain Lefebvre


LE MONDE (24 Mai 1999)


En 1996, vous avez été championne junior des Internationaux de France de Roland- Garros ; en 1999, vous faites partie des vedettes du tournoi. Quelle joueuse êtes-vous devenue ?
Quand je suis arrivée sur le circuit professionnel après mon titre de championne du monde junior, en janvier 1997, j'ai peu à peu perdu cette naïveté qui me faisait penser que tout serait pareil chez les seniors. En 1998, il y a eu le Tournoi de Berlin. Là, j'ai battu les deux et trois meilleures mondiales avant d'aller en finale. Je me suis dit : " Pourquoi pas ? " J'avais bien travaillé et cela a payé. En 1999, je suis devenue beaucoup plus forte mentalement.
Vous avez voulu jouer au tennis après la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros, en 1983...
C'est toujours un beau souvenir. Il avait l'air tellement heureux. Je me suis dit que je voulais faire pareil.
C'est pour cela que vous jouez au tennis, pour le bonheur ?
Je joue au tennis pour donner le meilleur de moi-même, donner du plaisir au public et pour qu'il m'en offre en retour. C'est ce qui s'est passé à l'Open Gaz de France, en février. Je voyais tous les gens qui me soutenaient et m'apportaient des émotions incroyables. Ce sont des sensations que l'on ne peut avoir que dans le sport ou, peut-être, sur une scène.
Vous considérez-vous comme une championne ?
Pas encore. J'ai des progrès à faire. Il me manque cette concentration, cette motivation de tous les instants pour me sortir des situations délicates.
Porte d'Auteuil, près du stade Roland-Garos, votre image a remplacé celle du footballeur Ronaldo sur le mur publicitaire géant de Nike. Quel effet cela fait d'être un " phénomène " ?
Je ne me considère pas comme un phénomène. Bien-sûr, tout ce qui arrive peut le suggérer. A cela il y a deux raisons : le tennis et la vie privée. Je crois que j'ai un jeu qui n'est pas courant et je suis le premier sportif français, homme ou femme, à dire son homosexualité.
Est-ce que cela a été facile à annoncer ?
On me demande souvent si je regrette. Non. Si c'était à refaire je referai exactement la même chose. Parce que cela permet de vivre plus librement sans, par exemple, avoir peur d'un photographe qui traîne. Sylvie, mon amie, et moi, nous ne l'avons pas fait pour choquer ou pour faire un coup médiatique, mais pour vivre normalement, pour être acceptées comme nous sommes.
Avez-vous l'impression que cette franchise a fait avancer les choses ?
Je l'espère. Et, parfois, je le pense sincèrement.
Cette célébrité vous a-t-elle transformée ?
Le regard des gens sur moi a changé. Mais je suis restée la même. Ceux qui disent le contraire ne me connaissent pas.
Votre milieu, vos proches, semblent être très important pour vous...
C'est important d'être entouré et bien entouré : il y a tellement de choses qui se passent à l'extérieur qu'à un moment donné il faut savoir se protéger, mettre une vitre entre soi et les autres.
Que diriez-vous à ceux qui vous reprochent la trop forte présence de vos proches, celle de Sylvie en particulier ?
Je n'ai pas beaucoup entendu cela. Si en ce moment je suis là où je suis, c'est aussi grâce à elle. Si elle n'était pas là, je ne ferais peut-être pas ça. C'est tout, c'est basique...
Etes-vous surprise par votre trajectoire ?
Un petit peu. Avant l'Australie, ma progression était assez régulière. Et puis, il y a eu ce petit plus, cette finale. Je me rends compte que ce que j'ai fait est énorme, je prends conscience que je suis là-haut avec les meilleures.
Comment expliquez-vous ces hauts et ces bas qui font votre carrière ?
Je ne suis pas comme certaines joueuses qui enchaînent tous les tournois et qui en font entre 25 et 30 par an, rentrent à la maison deux jours et repartent. Je fais plutôt du qualitatif même si c'est plus risqué. J'aime bien profiter de la vie, j'ai besoin de couper de l'hygiène et de la routine du tennis, sinon je pète un plomb.
Votre réussite, c'est du talent ou du travail ?
Les deux. Au départ, en juniors, c'était du talent. Maintenant, il y a du travail parce que des joueurs et des joueuses talentueux, il y a en pas mal.
Qu'aimez-vous dans votre jeu ?
Mon revers. J'aime faire des points gagnants et j'aime conclure les points à la volée ce que je ne fais pas encore assez.
Qu'est-ce-que vous n'aimez pas ?
Ce côté trop pressé pour faire des points gagnants, ce manque de patience qui fait perdre des jeux bêtement.
Que vous a apporté votre finale dans un tournoi du grand chelem en Australie ?
De la confiance sur le coup et après à Paris. Et aussi c'est paradoxal, il y a eu les doutes et tant de pression, l'envie de tellement bien faire que des fois on fait pas bien.
Que pensez-vous apporter au tennis ?
Un peu de charisme. Je sens qu'il y a quelque chose en moi qui plaît au public. Je joue comme je suis, je m'exprime, avec mes gestes, avec mon jeu. Les gens doivent aimer l'ensemble.
Comment voudriez-vous être considérée ?
Un peu à la Yannick Noah : le tennis est mon métier, c'est mon sport mais je fais d'autres choses à côté et des fois j'ai envie de m'éclater.
Quel serait votre bonheur de joueuse ?
Gagner Roland-Garros avec la manière, avec les gens que j'aime autour de moi.
Quel est votre objectif pour le tournoi 1999 ?
Me retrouver en deuxième semaine, ce serait très bien.
Vous n'avez jamais joué sur le central de Roland Garros...
C'est quelque chose dont j'ai rêvé, c'est une expérience que j'attends avec impatience.

Bénédicte Mathieu


Finaliste en Australie puis à l'Open Gaz de France, traquée par les médias...la pression était trop forte à Roland-Garros ?
Quand je suis revenue de Melbourne, cinquante journalistes m'attendaient. Là, j'ai compris que tout avait changé. Du coup, à Roland-Garros, j'étais dans une position de favorite, malgré moi. C'était en décalage avec mon classement. Je n'étais même pas tête de série !
Votre "starisation éclair" vous inquiète-t-elle ?
Non, sinon je serais mal dans ma peau. Les gens ont sûrement besoin de ce côté jeune, honnête, de l'image que je dégage. Puis ils vont apprendre à être patients, à comprendre mon rythme, ma valeur réelle. Les résultats viendront.
Comment gérez-vous l'attente du public ?
J'ai essayé de me préserver, car la demande est énorme. On attendait de moi des performances bien supérieures à celles qu'autorisent mes possibilités. La préparation est mentale autant que physique. Il me faut du temps. Heureusement, mon entourage veille à me faire rester sur terre.
Votre clan, vos entraîneurs, les gardes du corps, votre amie Sylvie sont devenus omniprésents.
J'aime être entourée quand je m'entraîne ou quand je joue, c'est vrai. Sylvie est souvent là. Mais à Melbourne ou au Gaz de France, personne n'a fait de remarque, car j'étais en finale. Quant aux entraîneurs, c'est la politique d'Isabelle Demongeot d'en avoir plusieurs, afin qu'aucun ne s'attribue la joueuse. Et les gardes du corps, c'est fou, mais sans eux je ne pouvais pas faire un pas à Roland-Garros. Plein d'autres joueurs en ont aussi.
Quand on est amoureuse, y a-t-il encore de la place pour le tennis ?
C'est le discours que j'ai entendu pendant ces dernières années. En fait, c'est tout le contraire. J'ai énormément appris avec Sylvie. Avant, j'étais introvertie. Maintenant, j'ai appris à dire ce qui ne va pas. Si mon parcours est celui-là, c'est aussi parce qu'elle est là. Je ne suis pas une machine à jouer au tennis. Je veux lui rendre hommage, elle joue un rôle déterminant. C'est comme Medvedev : après la finale contre Agassi, il a rendu hommage à la femme qu'il aime. Ca équilibre ma vie et ça influe directement sur mon jeu.
Vous étiez très calme après votre défaite contre Martina Hindis.
J'ai essayé de relativiser. Apprendre à être calme, c'est aussi mon boulot. Il faut tirer les conclusions pour avancer. Mentalement, ce match était très dur, très violent. J'affrontais la numéro un mondiale.
La rancoeur contre la joueuse, ça va durer longtemps ?
Je n'ai jamais commenté ses déclarations de Melbourne. Quand le public la siffle sur le central de Roland-Garros, il a tranché. Pas moi.
Pourquoi ne pas jouer en double avec elle ?
Quand elle se sera vraiment excusée en privé. Aujourd'hui, je crois que je ne suis pas prête. Il faudra digérer.
Vous sentez-vous proche de cette génération de filles programmées pour gagner ?
C'est vrai, c'est la mode. Je suis française, donc loin de tout ça. Et, à Roland-Garros, on a vu que ça ne marchait pas à tous les coups. Steffi Graf a prouvé que cela ne suffisait pas. En la regardant, j'ai vibré. Elle a montré qu'à 30 ans on n'est pas fini. Elle a joué avec sa force mentale. Martina, elle, a craqué. L'expérience a gagné. La ténacité aussi.
Vous avez vu votre marionnette aux Guignols, ses épaules larges et le reste ?
On me l'a décrite. C'est tellement facile. De toute façon, même si c'est un réflexe macho, ils font ce qu'ils veulent.
Ces sketchs mettent en doute l'origine de votre force physique...
C'est marrant comme l'annonce de mon homosexualité à fait gonfler mes épaules ! Sérieusement, me suspecter de dopage, ça m'atteint. C'est injuste. Les gens qui savent qui je suis connaissent mon honnêteté. C'est ça qui compte. Moi, je marche à l'EPO : Eau, Pastis et Orgeat! C'est la "Mauresque Mauresmo". On peut faire du sport de haut niveau sainement. D'ailleurs, je suis favorable à une intensification des contrôles antidopage et des prises de sang.
Quand Mary Pierce déclare qu'elle prend de la créatine, ça vous choque ?
Mary vit aux Etats Unis. La mentalité y est différente, la créatine est en vente libre. On m'en a déjà proposé. J'ai refué. Dans le sport, la satisfaction, c'est justement de repousser ses limites et voir jusqu'où peut aller.
Vous, vous aimez profiter de la vie.
C'est un choix de ne pas souhaiter manger, boire et dormir en pensant au tennis. Je l'ai fait pendant des années. Et puis, j'ai découvert d'autres choses. J'ai envie d'en profiter. Mais il faut savoir faire la part des choses. Je sais gérer l'aspect sérieux du tennis, et aussi faire le break. Si je m'entraînais pendant six mois d'affilé, je péterais les plombs. Ce qui surprend peut-être, c'est que j'en parle.
On vous identifie souvent à Yannick Noah qui, enfant, vous a donné envie de jouer au tennis.
On a des points communs : je m'exprime sur le terrain, je plais au public, et Yannick ne s'est jamais caché d'aimer la vie et la fête. Et nous appartenons tous deux à des minorités.
Vous aurez 20 ans cet été, comment définiriez-vous votre génération ?
Je ne sais pas véritablement ce que font les jeunes de mon âge. A partir de la quatrième, je suivais des cours par correspondance pour pouvoir jouer au tennis. Je n'avais pas vraiment de camarades de mon âge. On n'avait pas les mêmes centres d'intérêt.
C'est quoi l'adolescence d'une championne ?
Pas mal de sacrifices et beaucoup de rigueur. Quand on entre à la fédération en tennis-études à 11 ans, on est sous la responsabilité d'adultes. On grandit plus vite, mais on est moins autonome. Bizarrement, on entre dans la vie sociale plus tard, alors qu'on travaille et qu'on est indépendant financièrement plus tôt. Quand je suis arrivée sur le circuit professionnel, j'ai compris que j'étais lâchée dans la "vraie vie". Le passage a été brutal.
Vous avez des regrets ?
Oui. Quand Sylvie me raconte des souvenirs d'ado, je découvre des tas de trucs. Mes souvenirs à moi ressemblent à ceux d'autres joueuses : la rivalité et la compétition.
Votre besoin d'air et de liberté n'arrive-t-il pas trop tôt dans votre carrière?
Je fais des choses que je n'ai jamais pu faire, comme du scooter ! Mais j'ai suffisamment la tête sur les épaules. Et j'ai la chance d'avoir une structure d'entraînement adaptée à mon rythme.
Plus les joueurs sont doués, moins ils ont envie de travailler ?
Parfois, j'ai besoin qu'on me pousse un peu, mais sans me forcer sinon je me braque. Jusqu'à début 98, je me reposais sur mon coup de raquette. J'avais du mal à bosser. Et j'ai vraiment raté mon Open d'Australie cette année-là. J'ai compris les limites du talent. Le boulot est indispensable. Ainsi, Aratxa Sanchez, qui n'a pas un talent foudroyant, est une vraie bosseuse. Ca paie.
Vous gérez vos revenus ?
Je prends les décisions. Je surveille les contrats publicitaires, car ça influe sur ma vie privée. Il faut être disponible pour des journées de représentation, et je n'ai pas forcément envie de passer mon temps à faire ça.
Vous envisagez de pacser avec Sylvie ?
On verra. Au fait, quand est-ce que le Pacs prend réellement effet ?

Valérie Montmartin


TENNIS MAGAZINE (Août 1999)


Amélie, tu as eu 20 ans, il y a quelques jours. Comment as-tu fêté cet anniversaire ?
On a organisé un petit dîner en comité réduit, ici à Saint-Tropez. Nous étions huit ou dix personnes. C'était sympa, tranquille. Je n'ai pas vraiment fait d'excès ce soir-là. Comme les autres gens que je voulais inviter soit n'étaient pas disponibles à cette date, soit étaient retenus à Paris, j'envisage d'organiser une plus grande fête en septembre après l'US Open pour célébrer vraiment ça.
Te dis-tu : j'ai déjà 20 ans ou je n'ai que 20 ans ?
Les deux. Quand j'étais petite, je voyais le cap des 20 ans comme une date très éloignée. Et puis voilà, j'ai 20 ans. Je me dis que c'est encore très jeune et que je suis toujours un peu une gamine, mais d'un autre côté, j'ai déjà vécu pas mal de choses sur le plan personnel et sur le plan de ma carrière de joueuse. Je suis plutôt fière d'avoir accompli ce que j'ai déjà accompli à seulement 20 ans. Je me dis que j'ai encore beaucoup de temps devant moi pour atteindre les objectifs que je me suis fixée. Je ne suis qu'au début de ma vie.
Et si tu dois comparer l'Amélie Mauresmo d'aujourd'hui à celle qui fêtait son 19e anniversaire, quelles différences vois-tu d'abord ?
En une année tout a vraiment changé. Au niveau du tennis, j'ai été capable de franchir un cap décisif et j'ai acquis beaucoup d'expérience. En ce qui me concerne, sur le plan de ma personnalité, j'ai vachement évolué. Je suis plus mature, plus réfléchie, j'ai plus confiance en moi. J'ai davantage envie de dire les choses aux gens, je suis plus honnête. C'est une vraie transformation.
Cette envie d'évoluer sur le plan personnel, quand est-elle apparue ?
Elle est apparue avec la maturité, tout simplement. Ce qui m'est arrivé dans ma vie privée, ce qui m'est arrivé sur le court, tout a créé, en fait, les conditions de cette évolution. C'est un âge aussi où l'on apprend beaucoup de choses sur la vie et où l'on se pose pas mal de questions. Ma rencontre avec Sylvie a été déterminante pour me permettre justement de dire et de faire ce que j'avais envie de dire et de faire.
Quand tu penses aux deux bouleversements que tu as vécu tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel, as-tu finalement du mal à croire à tout ce qui t'est arrivé en aussi peu de temps?
Maintenant, j'ai un peu digéré tout ce qui s'est passé depuis le début de l'année. J'en suis désormais à me trouver des objectifs pour la fin de cette saison et pour celles qui suivront. Je relativise pas mal. Le fait que le tennis ne soit pas la seule chose qui compte dans ma vie m'aide aussi énormément. Je me sens bien et prête à aller plus loin.
A cause de l'entorse à la cheville dont tu as été victime à Roland-Garros, tu n'as pas pu disputer Wimbledon. Comment as-tu ressenti le fait d'être ainsi éloignée du circuit professionnel et de ne pas pouvoir participer à une épreuve aussi importante ?
Je ne crois pas au hasard et je me dis que cette blessure n'est justement pas arrivée par hasard, à savoir qu'elle est survenue à un moment où il y avait beaucoup, beaucoup de pression sur moi, beaucoup, beaucoup de tension autour de moi. Et aujourd'hui, quand je réfléchi bien à tout cela, j'en viens à la conclusion que le fait de ne pas avoir été à Wimbledon et de ne pas avoir été confrontée à tout ce que le tournoi engendre, avec les journaux à scandale notamment, c'était peut-être tout simplement une bonne chose. J'avais besoin de vacances pour me reposer physiquement et mentalement. D'une certaine manière, cette blessure a été un mal pour un bien.
Dans une période comme celle-là, as-tu complètement coupé avec l'actualité du tennis ou t'es-tu tenue informée de ce qui se passait en Angleterre ?
Franchement, je n'ai pas vraiment suivi Wimbledon. J'ai lu les journaux de temps en temps, mais plutôt rarement en fait. Je n'avais pas vraiment envie de m'intéresser. Pour moi, cette période a correspondu à une phase de décompression totale et de soins. Par rapport au tennis, ces semaines-là ont été vraiment placées sous le signe de la réflexion et de l'éloignement.
Décompression, réflexion, c'est à dire…
La décompression, c'est simplement le fait de passer tranquillement la journée, d'aller nager dans la mer, de s'occuper des chiens et du chat, de voir d'autres gens, de faire autre chose, de profiter de Sylvie, de mes amis et des personnes qui sont autour de moi. La réflexion, c'est revenir un peu sur tout ce qui m'est arrivé depuis le début de l'année : comment, pourquoi. C'est analyser le passé pour mieux préparer le futur. C'est faire le point et programmer l'avenir.
Quelles sont les principales choses que tu as retenues par rapport à ce qui t'est arrivé ?
Tous les bons résultats que j'ai obtenus en Australie, mais aussi à Coubertin et en Fed Cup venaient de la combinaison de deux choses : la confiance en moi et le relâchement. En Australie, j'étais décontractée et je suis allée loin. A Coubertin, j'étais bien parce que j'étais dans une salle où l'ambiance était fabuleuse. Quand je me sens bien, quand la pression n'interfère pas dans ma préparation mentale, je suis capable de jouer mon meilleur tennis. A Roland-Garros, la pression ne m'a pas permis justement d'être à 100%, de donner tout le tennis que j'ai en moi.
Roland-Garros, justement, parlons-en. Tu as quitté le tournoi assise dans un fauteuil roulant comment a évolué ta blessure depuis ?
Il y a eu rupture d'un ligament. Il a donc fallu immobiliser complètement le pied. J'ai ensuite suivi deux semaines de rééducation à Boulouris. J'y suis allée tout les jours. Je partais le matin et je revenais le soir. En fin de matinée, je recevait des soins pendant deux heures et demie et l'après-midi, je travaillais physiquement ce que je pouvais travailler en fonction de ma cheville. Depuis cinq jours, j'ai repris la raquette. Je m'entraîne une heure par jour, histoire de retrouver mes marques et mon coup d'œil.
Qu'as-tu pensé au moment de l'accident sur le court ?
J'ai pensé que c'était très grave. J'ai entendu un craquement très net et puis j'ai eu très mal tout de suite. Je n'ai pas immédiatement pensé aux conséquences de cette blessure, mais j'étais convaincue que c'était sérieux. On a fait une radio le soir. On craignait un arrachement osseux, mais finalement, il n'y en avait pas. J'ai du attendre deux jours avant de savoir ce que j'avais réellement. C'était une attente vraiment douloureuse. Douloureuse surtout physiquement parce que j'avais très mal. Pendant deux nuits je n'ai d'ailleurs pas pu dormir tant la douleur était intense. Moralement, en revanche ça allait plutôt bien. Comme je suis quelqu'un de cool, je ne me suis pas trop pris la tête avec ça.
Avais-tu déjà connu l'expérience de la douleur physique dans ta vie ?
Jamais. Je connaissais la douleur que l'on peut connaître à l'entraînement quand les muscles brûlent et qu'ils font mal, mais je n'avais jamais été blessé comme cela.
As-tu eu le temps ou l'envie de regarder la finale dames de Roland-Garros et si oui, qu'en as-tu pensé ?
J'ai regardé les deux finales. Pour parler de la finale dames, je dis d'abord bravo à Steffi parce qu'elle est tout de même revenue de très loin. En ce qui concerne Hingis, je dirais, comme la presse l'a dit, qu'elle a montré à cette occasion son côté enfant gâté et son orgueil démesuré. Les gens ont enfin vu son vrai visage. Si ça s'est passé comme ça, c'est que ça devait la titiller depuis un bon moment. Elle a craqué, c'est clair.
Peux-tu comprendre justement le fait de craquer comme elle l'a fait ? Comme elle, tu es jeune et tu sais ce que représente le poids de 16 000 personnes qui te regardent, même si toi, tu n'as jamais subi une telle hostilité de la part d'un public…
Hostilité peut-être, mais il faut souligner qu'elle a tout de même l'expérience de jouer ce genre de matches à haute tension et qu'elle a l'habitude d'évoluer devant des stades de 16 000 personnes. Ca rejoint ce que je disais après l'Open d'Australie. Elle ne connaît rien ou presque de la vie et elle a besoin d'apprendre. Tout ne se passe pas toujours comme on le veut. On ne peut pas toujours gagner. Les autres ont aussi de la valeur et se battent. Elle a été programmée pour devenir la championne qu'elle est devenue, certes, mais elle doit aussi tenir compte de la qualité de ses adversaires.
Tu étais donc contente de voir gagner Steffi Graf…
J'étais vraiment contente pour elle, encore plus après avoir appris que c'était son dernier Roland-Garros. Elle a eu les nerfs les plus solides. Mentalement, elle a été la plus forte. Graf c'est un peu un modèle pour moi. J'ai déjà eu l'occasion de m'entraîner avec elle. Au niveau de l'intensité, les séances de travail étaient vraiment énormes. Elle est volontaire, elle se bagarre jusqu'au bout. A Wimbledon, elle a reconnu avoir donné quelques conseils à Jelena Dokic qui les lui avait demandés. A-t-elle déjà agi de la même manière avec toi ?
Non, mais c'est sans doute parce que je ne lui ai rien demandé (sourire).Je n'ai pas osé il y a un an quand j'ai eu l'occasion de taper la balle avec elle. Mais je me dis que si demain, j'avais le sentiment qu'elle pourrait m'aider, je n'hésiterais pas à lui demander deux ou trois conseils. C'est une fille très sympa et ça ne m'étonne pas qu'elle ait agi ainsi avec Dokic.
Revenons à Roland-Garros. Tu y as connu la douleur physique, on l'a vu. Dirais-tu que tu y as ressenti aussi une forme de douleur psychologique ?
Face à Hingis, j'ai ressenti une vraie frustration, énorme je dirais même, parce que je n'ai pas réussi à jouer le jeu que je voulais jouer et à mettre en pratique ce que j'avais prévu si l'on excepte les cinq premiers jeux. J'ai voulu l'enfoncer, j'ai voulu en faire plus, j'ai voulu en faire trop. L'attente était énorme et je n'ai sans doute pas su bien gérer l'événement. J'ai vu quelques photos du match qui m'ont bien montré que je n'avais pas un visage très serein ce jour-là.
Etais-tu déçue pour toi ou pour le public qui était resté sur sa faim ?
Avant tout, j'étais déçue pour moi. Personnellement, c'était une expérience assez dure à vivre.
N'a-t-on pas finalement trop attendu de toi à cette occasion ?
Sans doute, oui. J'ai abordé le tournoi sans être tête de série, mais on attendait de moi au moins un quart ou une demi-finale. C'était un petit peu démesuré. Je sais que j'ai le tennis qui m'aurait permis d'aller aussi loin dans le tournoi, mais il fallait voir que le tirage au sort ne m'avait pas gâtée. J'avais fait quelque chose de grand en Australie, mais je n'étais peut-être pas prête à enchaîner avec un résultat de cette valeur à Roland-Garros. Toutefois, j'ai la conviction qu'un jour, j'arriverai à réussir un truc à Roland-Garros.
Cette frustration est née d'une tension que tu as ressentie. A partir de quel moment as-tu pris conscience de cette pression qui pesait sur toi ?
Avant le tournoi. J'avais énormément de demandes au niveau des médias. Je dirais que j'ai essayé d'en faire le moins possible parce que c'était nécessaire pour conserver de l'énergie et une certaine sérénité. C'était un vrai souci. Je ne voulais pas me disperser, mais en même temps, je savais que j'allais faire des mécontents. Aujourd'hui, je ne regrette pas d'avoir agi de cette manière. Si je compare avec l'Open Gaz de France, où les demandes ont été également très importantes, j'ai trouvé que c'était différents, ne serait-ce qu'au niveau du public. A Coubertin, la salle était plus petite mais plus chaleureuse. Les gens étaient tous ensemble derrière moi. A Roland-Garros, ce n'était pas pareil.
Si tu devais mettre le doigt sur une erreur que tu as pu commettre à Roland-Garros, sur quoi insisterais-tu ?
(silence) Je crois que j'aurais dû limiter davantage le nombre de personnes de mon entourage proche. Moins de gens sur le terrain avec moi, voilà ce qui aurait été préférable.
Trop de personnes autour de toi, c'est-à-dire…
Il n'y avait pas d'opinions contradictoires, tout le monde avait le même discours. Tout était trop dispersé en fait. C'est quelque chose dont on a parlé depuis au sein du groupe. Ca s'est bien passé, tout le monde a bien compris.
Quand on se retrouve sur une affiche qui couvre tout le pignon d'un immeuble de la Porte d'Auteuil, ne ressent-on pas un choc ?
Choc, le mot est un peu fort. D'un côté ça m'a fait plaisir. C'était une belle reconnaissance. De l'autre, c'est peut-être démesuré dans le sens où, sur ce mur, j'ai pris la place de Ronaldo qui est peut-être le meilleur footballeur du monde. Mais ça ne m'a pas perturbée, ni mis plus de pression. J'ai pris cela assez simplement.
Comment expliques-tu l'impact que tu as eu en France ? Tu es immédiatement passée au rang de vedette. D'emblée, ta cote d'amour a été élevée…
J'explique d'abord ça par les déclarations que j'ai faites sur mon homosexualité. Les gens ont apprécié ma franchise. Ils ont été surpris, même si j'imagine qu'un certain nombre de personnes ont été choquées. Il y a aussi le fait que lorsque je suis sur un court, je donne du plaisir aux spectateurs. Je crois être assez charismatique, j'exprime ce que je ressens. Je vis le match très intensément et ils ont sans doute le sentiment de recevoir quelque chose de ma part. Ca rejoint un peu ce que Yannick Noah a vécu pendant des années. Il exprimait aussi beaucoup de choses sur un terrain et ça plaisait. Et lui aussi, d'une certaine manière, appartenait à une minorité (sourire).
Quels sont les plus beaux moment que tu as vécus au cours des six derniers mois ?
Les heures qui ont suivi ma demi-finale contre Davenport en Australie ont été très fortes. Après, il y a eu l'Open Gaz de France avec une ambiance de folie. Ca allait au-delà du tennis. C'était la communion avec le public. La première fois où je suis entrée sur le court à Coubertin, j'ai aussitôt ressenti que j'étais attendue. A Roland-Garros, je n'ai pas eu le même sentiment. J'explique ça par le fait qu'à Coubertin, les gens étaient vraiment venus pour me voir. Comme les billets s'achètent souvent le jour du match, les spectateurs choisissent vraiment celles qu'ils ont envie de voir. A Roland-Garros, c'est différent. Les tickets sont vendus six mois à l'avance. Les gens n'étaient pas forcément là parce qu'ils avaient le désir de me voir.
As-tu déjà eu à souffrir de cette notoriété ?
Depuis l'Open d'Australie, j'ai dû recevoir environ 2 000 lettres. Certaines d'entre elles ont été plutôt salées, mais on ne peut pas contrôler la connerie humaine (sourire). C'était une très faible minorité parce que le reste du courrier a été formidable. Sinon, je n'ai jamais été agressée verbalement, dans la rue par exemple. Les gens préfèrent envoyer une lettre anonyme bien lâche (sourire). Toutes les personnes qui sont venues vers moi ont été très positives que ce soit pour me parler de mes résultats ou pour évoquer ma franchise au niveau de ma vie privée.
Le regard de la presse a-t-il changé au fil des mois ?
Une certaine presse s'est sans doute mise à attendre le faux pas pour pouvoir me " casser " parce que certaines personnes ont sans doute eu du mal à accepter que je parle de mon homosexualité. A Roland-Garros, à cause de la frustration que j'ai évoquée plus tôt, je n'ai pas répondu aux attentes du public et des médias et il y a sans doute eu aussi une déception du côté de la presse. Il y a eu aussi les déclarations de Sylvie qui ont fait parler, mais certaines personnes n'ont pas senti qu'elles étaient trop pressantes et à un moment, il faut que ça pète. Je n'aime pas que l'on essaie de s'approprier ma personne. J'ai besoin d'avoir un certain espace vital.
Comment as-tu ressenti cette petite " polémique " ?
Certains journaux ont utilisé ces déclarations pour me toucher. Si ces déclarations ont été faites, c'est aussi parce qu'il y avait une raison, on l'a peut-être oublié. Comme je le disais, certaines personnes se sont précipitées sur moi alors que je vivais un moment difficile. Sylvie a eu une réaction protectrice qui voulait dire : elle va venir vous voir, mais laissez la souffler. Ca n'a pas été perçu comme cela, c'est dommage.
Concernant ta notoriété, on ne peut pas dire non plus que tu aies été épargnée par les " Guignols " sur Canal + ?
Je n'ai, en fait, jamais regardé les " Guignols " depuis que je suis concernée. Je n'ai jamais vu ma marionnette, mais on m'a dit qu'elle n'était pas très belle (sourire). J'entends seulement ce que certaines personnes veulent bien m'en dire. Apparemment, c'est plutôt dur . Mais j'ai entendu un mec de Canal + qui était invité dans une émission et qui a dit qu'en dix ans de " Guignols " la seule erreur qu'ils avaient commise, c'était au sujet de Mauresmo. Au moins, ils se rendent compte de leurs conneries.
Ta célébrité a-t-elle changé ta manière de te comporter ?
Je fais plus gaffe. Je fais attention à ce que je dis et à ce que je fais. Mon rapport avec les gens a forcément changé. Je suis plus méfiante. Je me pose des questions. Je me dis que si certaines personnes viennent vers moi, c'est seulement parce que je suis célèbre et c'est forcément un peu perturbant.
Est-il facile, selon toi, de se faire piéger comme Hingis et Davenport ont peut-être été piégées par la presse à l'Open d'Australie quand elles ont fait des déclarations à ton sujet ?
Oui, on peut se faire piéger si on est 270e mondiale et que l'on participe à sa première conférence de presse. Il est normal de se planter. Mais Davenport et Hingis étaient loin d'être des débutantes face aux journalistes. Elles en avaient des conférences de presses derrière elles. Elles ne se sont pas plantées. Il y en a une qui avait les glandes parce que je l'avais battue. Tout ce qu'elle a trouvé à dire, c'est que je frappais comme un mec. Entre nous, elle frappe plus fort que moi, c'est clair (rire). Et y avait l'autre qui a sans doute voulu faire de l'humour en déclarant ce qu'elle a dit, mais on en a déjà parlé. Qu'elle réfléchisse avant d'ouvrir la bouche.
As-tu l'impression d'entamer une nouvelle phase de ta carrière ?
On peut dire ça. La grosse pression de l'année est passée avec Roland-Garros. Je vais pouvoir être un peu plus tranquille pour travailler. Maintenant, il va y avoir l'US Open. A l'heure où l'on parle, mon programme de tournois est assez flou. Ma seule certitude, c'est que je jouerai à New Heaven. J'attends de voir comment ma cheville va réagir aux efforts. Flushing Meadow est un endroit qui me plaît bien, comme la surface. Au jour d'aujourd'hui, je n'ai pas vraiment d'objectifs pour ce tournoi. A la mi-août, j'y verrai plus clair.
As-tu eu le temps de tirer un premier bilan de ton association avec le " team Demongeot " avec lequel tu collabores depuis décembre ?
La période de réflexion dont je parlais plus tôt a été consacrée aussi à étudier comment les choses avaient évolué avec le " team ". On a discuté de ce qui était bien, de ce qui n'était pas bien. On va repartir sur de bonnes bases. A Roland-Garros, je l'ai déjà dit, on s'est tous retrouvés ensemble au même endroit, sur le même terrain. Il est préférable qu'il n'y ait qu'un seul entraîneur pour faire passer le message et pas deux ou trois. Je dois avoir une seule personnes en tant qu'interlocuteur.
Qui va être cet interlocuteur privilégié ?
Cette personne variera selon les périodes. Chaque entraîneur du Team peut aujourd'hui m'apporter des choses différentes et complémentaires.
Comme a Key Biscayne cette année, t'arrivera-t-il donc de partir sans entraîneur…
Oui, parce que la relation entraîneur-entraînée peut parfois devenir conflictuelle. Il faut être capable de pouvoir prendre du recul. Même si ça ne s'est pas très bien passé sur le plan des résultats à Key Biscayne et à Hilton Head, j'ai pu avoir mes propres sensations, plus personnelles. Grâce à de telles expériences, j'évolue dans mon tennis et dans ma personnalité.
Le fait d'avoir trois entraîneurs n'est-il pas difficile à assumer dans la mesure où chacun -et c'est normal- a son " ego " et veut forcément se mettre en valeur ?
Il n'y a pas de problèmes parce que les postes sont bien définis. On sait qu'Isabelle est la directrice et que Christophe et Sophie sont les entraîneurs. Des erreurs ont sans doute été commises, mais on en a parlé lors de notre discussion après Roland-Garros.
Et Sylvie va-t-elle continuer à te suivre sur le circuit ?
Oui. En Australie, elle a vécu quelque chose de très très fort avec moi et elle a envie de revivre ça. Elle viendra par exemple à l'US Open. Elle a une bonne vision des choses. Elle a des impressions qui sont sans doute moins précises que celles des entraîneurs, mais elle sent bien ce qui se passe. Au bord du court, elle m'apporte de la motivation, l'envie d'y aller. Je sais qu'elle est là et ça m'aide. En dehors, elle est essentielle à mon équilibre. Entre le moment où je l'ai rencontrée et aujourd'hui, j'ai énormément évolué, c'est certain.
La communauté homosexuelle a-t-elle ressayé de faire de toi un porte-drapeau ?
Il y a eu beaucoup de demandes. Il y en a moins maintenant parce que les gens concernés ont compris que je n'avais pas envie d'être un porte-parole. J'ai dis ce que j'avais à dire par rapport à moi, par rapport à ma vie. Ca me concerne uniquement, c'est mon problème. Si ça peut aider d'autres personnes, c'est très bien. Si ça peut faire que la société devienne plus ouverte et plus tolérante, je suis contente. Mais je n'ai pas envie de faire passer des messages ou d'être un porte-drapeau.
As-tu reçu beaucoup de lettres d'homosexuels ?
Il y en a eu pas mal. La plupart disent merci ? Mais homos ou pas, les gens ont été dans l'ensemble très sympas.
Et sur le circuit, comment a été reçue la révélation de ton homosexualité ?
C'est bizarre, mais j'ai eu l'impression que les filles qui étaient concernées par l'homosexualité ont eu un mouvement de recul par rapport à moi comme si j'allais peut-être les dénoncer. Je n'ai aucune envie de faire ça. Chacun fait ce qu'il veut. Le WTA Tour a lui moyennement réagi. Il y a eu deux personnes qui sont venues me dire : attention à ce que tu fais, à ce que tu dis. J'ai estimé que je n'avais pas de comptes à leur rendre. Je suis libre. Si j'ai été aussi franche, c'est pour mon bien-être. Ils essaient de préserver leur business, d'accord, mais ils doivent également respecter la liberté des autres.
Pour conclure, parlons un peu de ta vie ici à Saint-Tropez. Comment te sens-tu dans ce décor de vacances ?
Quand j'ouvre mes volets, je vois la mer. C'est un privilège (sourire). Je trouve que j'ai de la chance de vivre ici. Je me sens vraiment bien dans cette maison. J'apprécie le fait d'avoir un repère comme celui-là. Quand je suis sur le circuit, je pense souvent à cet endroit : je sais que c'est là où j'habite, que c'est là où j'ai envie de rentrer. Au cours des dernières années, j'étais toujours à droite ou à gauche. J'avais un appart à Paris, mais on ne peut pas dire que j'étais chez moi.
N'es-tu pas trop importunée par les touristes depuis le début de l'été ?
Ca va. Je porte un bob et des lunettes pour descendre sur la place qui est en bas (sourire). Ici, quand je sors, je n'ai pas de problèmes. A Saint-Tropez, c'est beaucoup plus dur. J'y vais le soir, mais jamais sur la terrasse. Je me mets dans un coin et je mange tranquillement. Pas question de me promener sur le port, c'est mission impossible.
Les paparazzi ne sont pas encore entrés en action ?
Non, ils ne sont pas encore arrivés, mais ils ne devraient pas tarder à débarquer à Saint-Tropez. Généralement, ils prennent d'ailleurs le petit-déjeuner au " Gorille ". On verra comment ça va se passer (rire). Ce qui m'embête, c'est que moi, je ne viens pas à Saint-Tropez pour me montrer mais parce que j'habite ici. Je me considère dans une situation différente de toutes les stars qui passent leurs vacances dans cet endroit. J'espère qu'on respectera ma vie et que l'on fera bien la différence.
Aides-tu parfois Sylvie au " Gorille " ?
Non, j'y passe de temps en temps, mais je la laisse tranquille. Ce n'est pas mon job, c'est le sien (rire). La nuit, moi, je dors.
INTERVIEW DE YANNICK COCHENNEC


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