Surveillance policière
Norbert Rouzil


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Les trafics carlistes
Le suivi des émigrés


Correspondance de la préfecture de la Gironde de 1800 à 1849.

Chronique des Espagnols de Bordeaux

Ce chapitre concerne les Espagnols dont nous avons retrouvé des traces dans les archives de police. Nous avons tenu à respecter l'ordre strictement chronologique dans la présentation de ces cas, car même si nous avons pu regrouper certains documents et les relier entre eux, ils ne forment pas un ensemble homogène. L'intérêt de ces documents est avant tout de dévoiler, à travers les enquêtes menées par la police, une des facettes de la vie quotidienne des Espagnols à Bordeaux. Vie quotidienne particulièrement terne comme nous allons pouvoir le constater.

"En notre camp Impérial de Burgos le 12 novembre 1808, Napoléon, Empereur des Français, Roi d'Italie et protecteur de la Confédération du Rhin, Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er
Les ducs de l'Infantado, de Hijar, de Medinaceli, le marquis de Santa Cruz, les comtes de Fernan de Nuñez et d'Altamira, la Reine de Castel Franco, le sieur Pierre Cevallos ex-ministre d'Etat et l'évêque de Santander sont déclarés ennemis de la France et de l'Espagne et traîtres au deux couronnes. Comme tels ils seront saisis en leur personne, traduits à une commission militaire et passés par les armes. Leurs biens meubles et immeubles seront confisqués en France, en Espagne, dans le Royaume d'Italie, dans le Royaume de Naples, dans les Etats du Pape, dans le Royaume de Hollande et dans tous les pays occupés par l'armée française pour répondre des frais de guerre [...]" . Napoléon.

A propos du comte de Fernan Nuñez, voici ce qu'écrit Manuel Nuñez de Arenas, citant les mémoires de la duchesse d'Abrantès: "El hijo natural del conde de Fernan Nuñez se llamaba Camilo Gutierrez de los Ríos y era guapo de cara, de bonita figura, había sido educado en el colegio de Sorèze [Tarn] y hablaba el francés que era un encanto. [...] Al pasar por Burdeos, de viaje, fallece el 27 de septiembre de 1840" .
Il décédait à Bordeaux à l'âge de 68 ans au 23 de la rue Esprit-des-Lois. Un peu plus loin, parlant d'une des tombes espagnoles de Bordeaux: "Concesionarios: los herederos del inhumado, Camilo Gutierrez de los Ríos. Fecha de concesión: 13 de noviembre de 1840 y de inhumación, 8 de diciembre" .
Bordeaux avait déjà reçu, en mai 1808 la visite de Charles IV à qui la France préparait un exil doré. Le 9 mai, Napoléon écrivait ceci au prince de Bénévent, Alexandre Angélique de Talleyrand-Périgord, propriétaire depuis peu du château de Valençay:
"Bayonne. Le prince des Asturies, l'infant D. Antonio, son oncle, l'infant Don Carlos, son frère, partent mercredi d'ici, restent vendredi et samedi à Bordeaux et seront mercredi à Valençay. Soyez-y rendu lundi au soir. Mon chambellan de Tournon s'y rend en poste afin de tout préparer pour les recevoir. Faites en sorte qu'ils aient là du linge de lit et de table, de la batterie de cuisine... Ils auront huit à dix personnes de service d'honneur, et le double de domestiques. Je donne l'ordre au général qui fait les fonctions de premier inspecteur de la gendarmerie à Paris de s'y rendre et d'organiser un service de surveillance. Je désire que ces princes soient reçus sans éclat extérieur, mais honnêtement et avec intérêt et que vous fassiez tout ce qui sera possible pour les amuser. Si vous avez à Valençay un théâtre et que vous fassiez venir quelques comédiens, il n'y aura pas de mal. Vous pourriez y amener Mme de Talleyrand avec quatre ou cinq dames. Si le prince des Asturies s'attachait à quelque jolie femme, cela n'aurait aucun inconvénient surtout si on en était sûr. J'ai le plus grand intérêt à ce que le prince des Asturies ne commette aucune fausse démarche. Je désire donc qu'il soit amusé et occupé. La farouche politique voudrait qu'on le mît à Bitche ou dans quelque château fort; mais comme il s'est jeté dans mes bras, qu'il m'a promis de ne rien faire sans mon ordre et Que tout va en Espagne comme je le désire, j'ai pris le parti de l'envoyer dans une campagne en l'environnant de plaisirs et de surveillance. Que ceci dure le mois de mai et une partie de juin, les affaires d'Espagne auront pris une tournure et je verrai alors le parti que je prendrai. Quant à vous, votre mission est assez honorable: recevoir chez vous trois illustres personnages pour les amuser est tout à fait dans le caractère de la nation et dans celui de votre rang" .

En 1808 la première liste, ou premier recensement officiel des résidants espagnols établis à Bordeaux répond à un ordre de séquestre donné par Napoléon comme représailles au séquestre des Français établis en Espagne:
"24 septembre 1808. Le séquestre sera mis sur tous les biens meubles et immeubles des espagnols qui se trouvent en France. Les dits biens répondront de ceux des Français domiciliés en Espagne qui ont été saisis et séquestrés dans les provinces révoltées contre l'autorité du roi".
En réalité, le séquestre ne pourra être prononcé que dans très peu de cas puisque cinq espagnols seulement possèdent quelques biens. Les autres sont ouvriers ou artisans. Cette première liste comprend 45 noms:
- Aldecoa Alejandro: 20 ans, natif de Vallegría. C'est un ouvrier papetier qui se trouve au fort du Hâ. Il est dans une très grande misère et a été arrêté le 5 octobre. Il se trouve en France depuis le mois de mars 1808.
- Arnalde, José: 58 ans, natif de Barbastro dans la province de Huesca. Il est charretier et habite au 213 chemin du Sablonat (actuellement rue Laville). Il se trouve en France depuis le début de l'année 1807.
- Arnalde, François: 30 ans, fils du précédent, également charretier, même adresse, se trouve en France depuis le début de l'année 1807.
- Arrarte, M.A.: 21 ans, natif de Palencia. Il est marin à bord du navire "La Laure" actuellement en rade à Bordeaux.
- Barroja Joseph: 44 ans natif d'Oset. Il est portefaix et demeure à Bègles. Se trouve à Bordeaux depuis 1795. Il est marié à une francaise et a un enfant en bas âge.
- Bouruz est moins précis quant à son identité, peut-être s'appelle-t-il Contina. Son prénom serait Joseph... ou plutôt Antoine (peut-être José Antonio). Il a 16 ans et est natif de Catalogne. C'est un décrotteur qui se trouve au dépôt du commissariat arrêté pour vagabondage. Il déclare être en France depuis 1800... ou peut-être 1801.
- Calve Jean: natif d'Almazan, 48 ans. Il est portefaix et habite 46 chemin du Médoc. Il fut fait prisonnier en qualité de soldat par le régiment de la Tour d'Auvergne dans la guerre de la révolution.
- Castañas la Torre (Castañazatorre) Hypolite: 16 ans, marin. Il habite avec sa soeur Joséphine, 19 ans, au 8 rue de Saint Christoly. Tous deux sont natifs de Saint Sébastien et se trouvent en France depuis le 9 août 1808 .
- Cerda, Mariano: 46 ans, natif de Tarragona, ex-négociant vivant actuellement de ses rentes au 26 rue Leyteire. En France depuis 1802 pour y rétablir sa santé.
- Douat, Bertrand, marqués de la Colonilla: 2 rue Esprit des lois. Selon une lettre du maire de Bordeaux, Mathieu, au préfet de la Gironde, "Il n'est point né en Espagne il y a à la vérité habité longtemps, y a même reçu un titre de l'ancien gouvernement: il a eu dans ce pays des établissements de commerce mais il en a également en France et y a placé une grande partie de sa fortune.
Pourrait-il par la seule considération de son titre de marquis de la Colonilla être réputé sujet espagnol et avoir perdu ses droits et sa qualité de Français?". Or la constitution de l'an VIII stipule que "La qualité de citoyen se perd par l'acceptation de fonctions et de pensions offertes par un gouvernement étranger".
- Corta, Marie Thérèse: 37 ans, domestique, 2 rue Donissan chez le sieur Chauvin. En France depuis le 8 mars 1808.
- Darrosa Antoine: 33 ans, natif de Pasaje, journalier, se trouve au fort du Hâ. Il peut être considéré comme suspect et rester en détention. Cet individu accusé de vol domestique a été acquitté faute de preuves. En France depuis 1798.
- Ibarra (de), Manuel: 50 ans, gardien des navires "Le Spéculateur" et "La Julienne", demeure à bord des dits navires dans ce port de Bordeaux.
- Ibarra (de), Jean Manuel: 19 ans, fils du précédent.
- Espilla, Pierre: 31 ans natif de Bilbao. Etudiant, 55 rue des Trois Conils, chez M. de Léobard, chanoine. Naturalisé français depuis le 25 octobre 1808. En France depuis 1799.
- García, Joseph: 43 ans portefaix, 46 chemin du Médoc. Il a quitté l'Espagne depuis 22 ans et réside à Bordeaux depuis 1798. Il était déserteur de son régiment.
- Gil, Manuel: 64 ans, natif de Cadix. Raccommodeur de boucles après avoir été fleuriste puis sous-portier à l'hôpital Saint André de Bordeaux. Demeure 38 rue de la trésorerie. Arrivé en France à l'âge de 16 ans, il est à Bordeaux depuis très longtemps.
- Goyena, François Antoine: 33 ans, courtier de navires, 12 rue Saint Siméon. Il est à Bordeaux depuis plus de 12 ans et il y a fait ses études.
- Gros, Joseph: 12 ans, natif de Catalogne, décrotteur. Se trouve au dépôt du commissariat. Il a été arrêté le 16 octobre par la gendarmerie sur la grand route de Bayonne où il vagabondait avec son ami Bouruz. Il est en France depuis 1801.
- Herrero, Julia: 28 ans servante chez M. Boireau, native de Robladillo, 28 rue Leyteire. Elle est en France depuis 1804 conduite par M. de Ségur.
- Huguet, Jacques: 62 ans, natif de Tarradellas. Médecin, pensionné de l'Etat en sa qualité d'ex-vicaire de l'église Saint-Pierre. Rue Saint-Rémi puis rue Mouffard. Excepté de séquestre par décision de l'empereur du 2 décembre 1808 car: "il a servi dans la quatrième compagnie du bataillon légion du sud: il y est volontaire et y fait toute espèce de service avec zèle". En France depuis 1791.
- Ibarra, Marie Joséphine: 38 ans femme de chambre de Mme de Villareal. En France depuis 1797, à Bordeaux depuis 1807.
- Igonarma, Manuela: 49 ans, native de Bilbao. Epouse de Guy, perruquier, 50 rue de la Croix-Blanche, elle est à Bordeaux depuis 1783.
- Iturralde, Jeanne: 28 ans, native de Saint-Sébastien. Epouse Ozannet, boulanger, 4 rue des Augustins. Est à Bordeaux depuis 1805.
- Iturrini, docker.
- Jaurregui, Joseph: 32 ans, natif de Bilbao. Arrimeur, 17 rue de la Douane.
- Lagarde, Cosme Damian: 29 ans , natif de Soria, débitant de limonades et de fruits. Se trouve au fort du Hâ. Cet individu qui ne s'était pas fait connaître à la police a été arrêté le 16 septembre pour avoir tenu des propos contre le gouvernement français. A Bordeaux depuis 1802.
- Larra, Antoine: 40 ans, natif de Santa Cruz (Tolède), cafetier rue Daurade. Excepté de séquestre par décision de l'empereur du 11 décembre 1808. A Bordeaux depuis 1792.
- Lopez, Jacques: 30 ans natif de Galice. Journalier, se trouve au dépôt de mendicité pour se faire traiter de la galle. Cet individu peut être considéré comme suspect et restera en détention, il est prévenu de meurtre et a été arrêté le 16 juin. A Bordeaux depuis 1803.
- Martin, Jean: portefaix, 3 rue d'Aquitaine. A Bordeaux depuis 1778.
- Martino, Jean: portefaix, 46 chemin du Médoc. Il servait dans la cavalerie espagnole et en a déserté en 1798 pour s'installer à Bordeaux.
- Michel, Françoise: 64 ans, native de Madrid. Epouse Scio, 18 rue Bongrand. A Bordeaux depuis 1768.
- Muñoz, Barthélémy: 34 ans, natif de Cadix, cordonnier, 26 rue Millière. A Bordeaux depuis 1804.
- Nazarie, Rose: 55 ans Epouse Delalane, caporal tambour de la garde municipale. Elle demeure à la caserne de la garde. A Bordeaux depuis 1760.
- Osendavara, Joseph: 50 ans, natif de Saint-Sébastien. Négociant 33 rue du Loup. A Bordeaux depuis le 13 mai 1808.
- Pedesclaux (de), Hugo: natif de Saint-Sébastien, fils de français de Saint-Jean-de-Luz, consul du roi Joseph au port de Bordeaux. Mais: "Sa Majesté l'empereur et roi a décidé le 27 octobre que les biens de cet Espagnol ne seraient pas soumis au séquestre".
- Rodriguez, Pierre: 45 ans, natif de Trujillo, ouvrier cordonnier. Se trouve en détention au commissariat général car il est sans moyen d'existence. Il prétend avoir servi la France. A Bordeaux depuis 1794.
- Sanchez, Joseph: 24 ans, natif d'ocaña. Peintre, 29 rue d'Aquitaine. A Bordeaux depuis 1807.
- Sauria, Barbe: 46 ans. Epouse de Arnald, 213 chemin du Sablonat. A Bordeaux depuis 1807.
- Sauria, Rose: 22 ans. Epouse de Sanchez, peintre, 29 rue d'Aquitaine. A Bordeaux depuis 1807.
- Scio, Antoine: 72 ans, natif de Madrid. Autrefois premier danseur au grand théâtre de Bordeaux, aujourd'hui propriétaire, 18 rue Bongrand. A Bordeaux depuis 1768.
- Serra, Jean: 41 ans, natif de Madrid, négociant, 66 Grand Cours de Tourny. A Bordeaux depuis le 3 juin 1808 avec son épouse, son fils et un domestique noir.
- Suarez, Jean Bastien: 55 ans, natif de Séville, épicier. A Bordeaux depuis 1798.
- Suas Navarro, Joaquim: 44 ans, natif de Saint-Sébastien, négociant associé de l'un des chefs de la maison Gramond Echegaray et Cie, 12 pavé des Chartrons. A Bordeaux depuis 1794. naturalisé français en l'an VII.
- Villareal, Marie Joséphine: 43 ans, native de Bilbao. Epouse du marquis de Naros. Vit de ses rentes, 34 rue du Réservoir, actuellement rue E. Zola. En France depuis 1797. A Bordeaux depuis 1807.

En réalité, cinq séquestres seulement seront effectués par le préfet dans tout le département dont deux à Bordeaux:

Le 7 octobre 1808, on séquestre les biens d'Antoine Larra, limonadier, qui réside à Bordeaux depuis 1794. Il est célibataire et n'a d'autre moyen d'existence que le modeste produit de son café. Ses meubles sont évalués à 890 francs. De plus, la mise sous surveillance de son café et les visites répétées de la maréchaussée font fuir tous ses clients. Il se trouve donc totalement ruiné.

Le 8 octobre, ce sont les biens de Jacques Huguet que l'on séquestre. Ce médecin ne possède que quelques meubles de peu de valeur et n'a d'autre moyen d'existence que son état. Par ailleurs, il soigne gratuitement les pauvres.
Mais ces deux individus seront en fin de compte exemptés de séquestre par décret impérial des 2 et 11 décembre 1808.

A Parempuyre, en revanche, on saisit deux domaines, l'un de 96 hectares et l'autre de 39 à M. Izquierdo de Rivera qui n'habite pas en France.
A Créon, on saisit M. Baptiste Garcia, l'horloger. Certains de ses clients s'en plaindront officiellement par lettre au préfet, car la plupart des pendules saisies chez lui étaient là pour réparation et ne lui appartenaient pas.
A Bègles, François Sanchez Garcia se voit retirer sa maison, trois échoppes et cinq hectares de vigne. Cet Espagnol réside à Ledesma, en Espagne.
A Barsac, canton de Podensac, on saisit les biens de Pédesclaux, tous les meubles, toutes les barriques de vin, la maison et les vignes. Mais quinze jours plus tard, il sera exempté de séquestre par décret impérial.
En ce qui concerne le reste du département, la plupart des maires invités à rendre compte de l'existence d'Espagnols installés sur leur commune, répondront qu'ils n'en connaissent pas, sauf trois:
à La Teste, deux Espagnols, Agustín Díaz, cordonnier depuis 1798 dans cette commune et Paul Ramon, marin de profession, habitant La Teste depuis 1788. Ces deux hommes ne possèdent aucun bien.
A La Réole, le maire écrit au préfet qu'après "les recherches les plus rigoureuses", il n'existe que quatre Espagnols: Antoine Horeau ou Oro, cultivateur à Caumon, Antoine Montouil, domestique, Joseph Réal, habitant à Saint-Pierre de Bat et Daniel Castet, domestique à Loupiac. M. le maire précise "qu'ils sont tous domestiques ou manoeuvriers, l'un d'eux est déserteur de l'armée espagnole dans la campagne de 1793 et 1794; ils sont établis pour la plupart avec des Françaises et se croyent Français".
Sur la commune de Salles, le maire signale un citoyen espagnol, brassier de 50 ans qui ne possède aucune espèce de bien meuble ou immeuble. Quant à M. François Douat, il est né Français, mais a accepté un titre de marquis du gouvernement espagnol. Il a donc ainsi perdu sa nationalité. Mais comme il s'est rendu volontairement dépositaire de ses biens jusqu'à la décision définitive de séquestre et grâce à l'intercession en sa faveur de Gaudin, ministre des finances, il sera finalement exempté par le maire.

Enfin, une mesure de clémence générale arrive le 3 décembre 1808: un décret impérial stipule que tous les Espagnols qui prêtent le serment de fidélité à "Sa Majesté très Catholique Don Joseph Napoléon" sont exemptés de séquestre. A Bordeaux 19 d'entre eux seront laissés en liberté après avoir payé une caution et prêté serment, mais 7 autres, faute de pouvoir payer la caution, resteront en prison.
Puis, en 1812, on signale un individu espagnol suspect, qui devrait passer à Bordeaux, mais sans qu'on en soit très sûr: "Je vous transmets, Monsieur, le signalement d'un mulâtre natif de Ténériffe nommé Don Diego Correa et qui prend aussi le nom de A. Gorvallan. Cet homme qui était dans les Etats-Unis au mois de juin dernier a été signalé à la police générale comme étant chargé par la junte de Cadix de se rendre en France pour y commetttre le plus excécrable attentat. Je vous recommande de prescrire des ordres sur toute la frontière de vorte département pour l'arrestation de cet individu s'il vient à y paraître. Il conviendra aussi que tous les hommes de couleur qui arriveront en France ne puissent y pénétrer sans qu'ils aient été examinés avec le plus grand soin et que son Excellence ait donné son autorisation à cet effet. Ceux qui pourront être suspectés d'être l'individu signalé ci-dessus devront être mis en arrestation jusqu'à détermination ultérieure et vous voudrez bien m'en informer. Signalement: Diego Correa connu sous le nom de A. Corvallan, mulâtre, natif de Ténériffe, ouvrier en orfèvrerie, âgé d'environ 40 à 45 ans, taille de 6 pieds 2 pouces américains (environ 5 pieds 2 pouces 1/2)" .

L'année suivante, 1813, représente la première vague massive d'émigration de libéraux et "d'afrancesados", c'est à dire ceux qui avaient épousé la cause du roi Joseph, frère de Napoléon. Nous avons retrouvé dans les documents de la série M. des archives départementales des listes de réfugiés espagnols de Bordeaux. Mais il convient d'être très prudent dans l'exploitation de ces listes car elles ne reflètent pas, loin s'en faut, l'image réelle de l'émigration espagnole. Elles ne concernent que ceux qui avaient servi l'Etat ou le régime du roi Joseph depuis des postes de responsabilité diplomatique, juridique, administrative ou religieuses En effet, seuls figureront sur les listes les espagnols qui auront droit aux subsides, c'est à dire ceux qui ne possèdent aucun métier leur permettant de survivre: les nobles, les anciens ministres, les avocats, etc, pour la plupart incapables de travailler de leurs mains. De plus, ils n'auront droit aux subsides que s'ils apportent la preuve qu'ils n'ont à leur disposition aucun moyen d'existence, ce qui en restreint considérablement le nombre.
D'autre part, et selon "l'Instruction relative à la distribution des secours accordés par Sa Majesté l'Empereur aux Espagnols réfugiés en France", "la commission s'est vue forcée de ne pas avoir égard aux familles plus ou moins nombreuses dont les Espagnols réfugiés en France peuvent se retrouver chargés. Les femmes, enfants et domestiques et généralement toutes les personnes dépendant d'un individu qui se trouve obligé naturellement à pourvoir à leur subsistance, ne doivent conséquemment pas être portés sur les listes de distribution".
En outre, selon l'article 4 de cette même instruction, "les artisans, domestiques sans places et ouvriers, et généralement les individus de la classe du peuple ne doivent point participer à la distribution des secours sauf les cas d'exception qui pourraient être motivés en faveur de quelques uns de ces individus. La meilleure manière de secourir les Espagnols de cette classe est de leur procurer du travail et la commission compte à cet égard sur le zèle et les bonnes dispositions de MM. les préfets".
Après le 26 octobre 1813, date de l'envoi de cette circulaire aux préfets, une première liste d'Espagnols émigrés à Bordeaux est adressée par Vicente Gonzalez Amao, elle comprend 242 noms. Elle sera suivie le 16 novembre d'une liste supplétive de 33 noms dressée par le duc de Santa Fe. En même temps, le commissariat central de Bordeaux préparait une liste de 158 noms d'Espagnols arrivés et stationnés en Gironde de juillet à novembre 1813.
En décembre, une deuxième puis une troisième liste supplétive vont être dressées par le duc de Santa Fe regroupant 91 noms.
La quatrième liste est faite à Bordeaux le 29 janvier 1814 avec 22 noms et la cinquième le 26 février avec 13 noms. En ce début d'année 1814, le 18 mars, le marquis de Aravaca, après l'ordre donné par le duc de Dalmatie d'évacuer les Espagnols de Bordeaux par crainte d'une offensive anglaise, dresse une liste des Espagnols au service du roi Joseph, 43 noms, venus s'établir à Angoulème. La plupart des autres réfugiés, qui s'étaient momentanément établis à Angoulème après la quatrième distribution de secours, 142 noms, partent pour Périgueux. 88 d'entre eux reviendront à Bordeaux où on les retrouve en 1815. En 1820, la mairie fait le point sur les Espagnols de Bordeaux: 21 d'entre eux ont quitté la ville en 1817, mais 26 semblent s'être installés durablement. Restent 40 individus qui entre 1815 et 1 820 n'apparaissent plus sur aucune liste.
En 1823, l'Espagne connaît de nouveau la guerre civile. Les régions les plus cruellement touchées sont la Catalogne et la Navarre, où la lutte est particulièrement acharnée, ce qui motivera aux yeux de l'Europe l'intervention armée en avril des cent mille fils de Saint-Louis sous le commandement du duc d'Angoulème, invasion encouragée notamment par Châteaubriand. En réalité, l'intervention de la France était déjà décidée depuis octobre 1822 par le jeu du traîté de Vérone pour des raisons de proximité géographique. Cette situation de guerre civile préoccupe les responsables francais car elle va faire affluer vers la France tout un contingent d'exilés:
"Depuis les événements survenus dans la Catalogne et dans la Navarre et qui ont fait refluer en France un grand nombre d'Espagnols de toutes classes, l'esprit public des départements frontières paraît plus travaillé que jamais et les malveillants semblent redoubler d'effort et montrer plus d'assurance. Les dispositions restrictives prises lors de l'établissement du cordon sanitaire ont fait place tout à coup et au mépris des règlements généraux de police et de mes instructions particulières à une extrême facilité de communication en sorte que la frontière reste ouverte sur 150 lieues et que chaque jour voit pénétrer en France non seulement des militaires de l'armée de la foi que les circonstances prévues jettent sur notre territoire mais aussi des prisonniers qu'ils y amènent et qui recouvrent leur liberté en y mettant le pied et en outre une foule d'autres étrangers conduits là non par la crainte des malheurs auxquels leur pays est en proie, les autres par des affaires d'intérêt ou par des motifs dangereux pour notre tranquillité publique et qu'ils ont grand soin de cacher. J'appelle sur eux votre plus active surveillance. Quoique je ne puisse douter de votre sollicitude à l'égard du danger que je signale de nouveau à votre attention, vous aurez sans doute compris que l'un des points les plus importants dans la circonstance est de chercher à reconnaître si parmi ces réfugiés il n'y en aurait pas quelques uns qui seraient venus exprès pour établir des liaisons avec les ennemis du gouvernement dans l'intérieur ou pour former auprès des troupes du Roi des tentatives d'embauchage. Je vous rappellerai donc que les Espagnols dont la conduite antérieure vous présenterait des garanties suffisantes, pourraient rester dans votre département, mais que ceux dont la présence vous paraît offrir quelque inconvénient devraient être dirigés sur des villes de l'intérieur; que quant à ceux qui ne pourraient pas justifier clairement de leur position et dont le séjour serait une occasion de trouble, il serait convenable de les renvoyer au delà des frontières et même de les déférer aux tribunaux. Si vous les aviez reconnus pour des agents d'embauchage et de séduction, et s'il existait "contr'eux" des charges suffisantes vous me ferez connaître le nom et la position de tous ces étrangers, soit par un rapport spécial que vous m'adresserez immédiatement, soit dans votre correspondance ordinaire; mais dans le cas où vous auriez à faire l'application de quelqu'une des dispositions prescrites ci-dessus, sans avoir pu m'en référer préalablement, je vous recommande expressément de ne rien faire à cet égard qui ne puisse être justifié et d'éviter tout ce qui pourrait motiver de la part du gouvernement Espagnol des représailles envers des Français établis au delà des tyrénées. Franchet Desperey" .

Zangronitz: La Minerve

La situation de guerre civile est une aubaine pour les marchands d'armes établis à Bordeaux, comme le sieur Zangronitz En juillet 1820, nous retrouvons par ailleurs Zangroniz sur les registres d'Etat-Civil de Bordeaux, car le 19 juillet 1820, le négociant Juan José Zangroniz, époux de María Angeles Allende, perd un fils de 7 ans et trois mois, José Francisco Zangroniz, né à La Havane (Cuba). La famille habite alors au 5 pavé des Chartrons.
Zangronitz se propose donc de profiter de l'occasion en 1823 et ce n'est d'ailleurs pas la première fois: "J'ai reçu votre lettre du 28 janvier par laquelle vous me faites connaître que le sieur Zangronitz qui a déjà été l'objet de plusieurs communications se rend à Madrid à l'effet d'obtenir des lettres de marque pour, en cas de guerre, faire faire la course à tous ses navires. Je m'empresse de vous annoncer que depuis deux jours le ministre de la Marine a donné l'ordre d'établir des croisières qui puissent réprimer cet abus [...]" .

"J'ai rappelé votre attention par ma lettre du 28 janvier sur des expéditions d'armes qui devaient se faire d'Anvers et que l'on présumait destinées à l'Espagne. De nouveaux avis qui me parviennent semblent confirmer cette présomption en faisant connaître le principal intéressé dans cette spéculation: c'est le sieur Zangroni ou Zangronitz négociant espagnol établi depuis longtemps à Bordeaux. Ce négociant connu depuis longtemps par ses mauvaises dispositions et par ses rapports avec des révolutionnaires de la péninsule a donné lieu en 1817 et dans les années suivantes à plusieurs communications avec votre prédécesseur. Tout porte à croire que son voyage à Bayonne et à Madrid n'est pas étranger à l'expédition préparée à Anvers. Peut-être ces ames sont elles destinées à armer les bâtiments qu'il se propose d'employer à la Course. C'est à bord du navire de Bordeaux La Minerve, capitaine Beck que le chargement doit avoir lieu. Un agent du sieur Zangroni dont le nom n'est pas indiqué est au nombre des passagers qui doivent s'embarquer à bord de la Minerve. Je compte sur votre zèle pour découvrir la véritable destination de ces armes et sur votre empressement à me communiquer les renseignements que vous aurez obtenus.
Les sieurs Llano et Mathieu Durou, autres négociants espagnols établis à Bordeaux et connus sous des rapports non moins défavorables n'auraient-ils pas aussi quelques intérêts dans ces expéditions? Dans tous les cas, je vous prie de me faire connaître leur position et leur conduite présente" . Le sieur Pedro de Llano était déjà signalé cinq ans plus tôt comme un "libéral très ardent prisan de la révolution" .
En 1825, le ministère de l'Intérieur est toujours inquiet:
[...] Il serait fort important de savoir si la maison Zangronitz et Arrigunaga ne favorisent pas les corsaires colombiens [...]" .

Manuel Silvela

"[...] Le ministre de la guerre a décidé que Manuel Silvela, ex-juge au tribunal criminel de Madrid qui a sollicité l'autorisation de résider à Bordeaux ne pouvait y être maintenu définitivement mais qu'en raison de sa position particulière il pouvait y prolonger sa résidence jusqu'au ler mai 1818" . En réalité, Manuel Silvela va rester beaucoup plus longtemps à Bordeaux où nous le retrouvons en 1825, chargé de l'éducation d'un jeune étudiant espagnol: "[...] passeport pour Paris à Don José María Estor, jeune Espagnol qui vient d'achever ses études [...]. Aucune remarque particulière sur cet étranger" .
Manuel Silvela se porte garant du jeune Estor:
"Don José María Estor qui est venu en France suivre ses études sous ma direction est autorisé par ses parents à passer à Paris. Manuel Silvela.
Bordeaux; 18 mars de 1825. M. Silvela.
[Commentaire avec tampon: Consulado de España en Burdeos]
Le Vice Consul de S.M.C. à Bordeaux certifie que la signature qui précède est bien celle de M. Manuel Silvela, chef d'institution et que foi doit y être ajoutée partout où besoin sera. Bordeaux. 19 mars 1825".
Et en été 1827, Silvela, ami intime à Bordeaux de l'écrivain Leandro Moratín, va à Paris: "J'ai l'honneur de vous adresser le passeport de M. Manuel Silvela propriétaire espagnol signalé par votre lettre du 20 août 1824 et qui désire aller à Paris avec son épouse. Il ne m'est parvenu aucun renseignement sur cet étranger" .

Leandro Moratín et Waschington Irving

"Le sieur Moratin est un homme instruit qui quitta l'Espagne en 1821 pour ne pas se trouver compromis par suite de troubles civils. D'après sa conduite et son discours, il paraît qu'il veut demeurer étranger aux événements politiques. Le sieur Silvela maître de pension chez lequel il loge, est comme lui Espagnol et très instruit. il est réfugié depuis 1814 et on le dit joséphin [fidèle à Joseph Bonaparte]; toutefois il est modéré, très réfléchi dans son discours et évitant soigneusement de se compromettre. Quant au curé qui loge à l'hôtel d'Espagne, il se peut que ce fût le sieur Elorriaga: c'est un joséphin modéré, ami de la bonne chère et jouissant d'une fortune suffisante pour satisfaire ce goût. Par caractère il est ennemi des révolutions [...]" .
A la fin du mois de mars 1824, la mairie donne d'autres renseignements au préfet: "Le sieur Moratín Léandre, étranger, connu pour ses oeuvres dramatiques suivit le parti de Joseph Napoléon. Entré en France avec l'armée en 1813, il s'établit à Paris et s'y fit remarquer par son dévouement à la famille de Bonaparte lors de son débarquement. Rentré en Espagne en 1817 ou 1818, il resta peu de temps à Barcelone. Mécontent du gouvernement du roi il revint en France et fixa sa résidence chez le sieur Silvela, maître de pension. Dès l'insurrection militaire de 1820, Moratín se prononça pour la constitution. C'est un homme ferme dans ses opinions, très réservé, méfiant, ayant de l'esprit et de la témérité[...]" .
Lorsque Waschington Irving, lors de son séjour à Bordeaux en 1825-1826, fit sa connaissance, Moratín vivait depuis le mois d'août 1823 dans un appartement de l'ancien hôtel du duc de Richelieu, naguère palais archiépiscopal. Irving descend d'abord à l'hôtel de France, un des plus luxueux de Bordeaux, rue Esprit-des-Lois, puis, à partir de décembre 1825, il habitera un appartement de la rue Rolland.
Voici ce qu'il confiait à son journal: "Samedi 28 janvier [1826] sorti après le petit-déjeuner, acheté les drames de Moratín sept francs. Passé voir les de Saget, rentré chez moi et lu Moratín. M. de Solis est passé me voir. Promis de venir lundi me prendre pour aller chez Moratín..." .
L'exemplaire de Moratín que Waschington Irving vient de se procurer à Bordeaux n'est peut-être pas une traduction. Il connaît suffisamment l'espagnol pour l'apprécier dans le texte, et nous pouvons supposer qu'il va discuter également en espagnol avec ce vieux monsieur de 66 ans.
Voici ce qu'il écrit le lundi suivant.
"Lundi 30: Soirée avec M. de Solis chez M. Moratín. J'ai fait la connaissance de Moratín, le plus célèbre auteur dramatique du jour présent. C'est un vieux monsieur de manières aimables et simples, il vit ici dans une espèce d'exil ayant été du parti politique vaincu" .
Lors de son séjour à Bordeaux, Waschington Irving va fréquenter beaucoup d'Espagnols ou de personnes ayant un rapport étroit avec l'Espagne Ainsi, il visite le Château-Margaux, mais son propriétaire, le marquis de la Colonilla est absent ce jour là. Il s'agit de Thomas Douat, fils de Bertrand Douat, Français d'origine mais qui avait perdu la nationalité en 1808 pour avoir accepté un titre honorifique espagnol. Le 12 octobre 1825 Irving avait déjà écrit: "Mercredi, debout à 5 heures. Déjeune avec Johnston [il s'agit de Nathaniel, le fils] dans la salle à manger à la lueur de la chandelle. A 6 heures en route pour chez M. Calarousse [Jean-Valère Cabarrús, propriétaire du Château-Lagrange] pour suivre ses chiens de chasse" .
Waschington Irving va rester à Bordeaux jusqu'en 1826.

Rapport du maire

En mai 1825, après l'avis d'installation du sieur Bonquer à Bordeaux:
"J'autorise le sieur François Bonquer ancien officier supérieur de l'Armée Royale d'Espagne à transférer sa résidence à Bordeaux" . Nous trouvons dans le compte rendu hebdomadaire du maire de Bordeaux au préfet, (le manuscrit est en mauvais état, il semble avoir été rongé par les souris), des renseignements sur d'autres Espagnols installés à Bordeaux et soumis à surveillance. Pour le moment, rares sont ceux qui posent des problème de conduite:
"[...], la demeure du sieur Amati, objet de votre lettre du 15 avril dernier m'est maintenant connue. M. Galos, négociant rue Saint-Rémi est son correspondant. Il passe les jours à lire et écrire et les soirées au café du Commerce. Il paraît être dans l'aisance et reçoit de temps en temps des nouvelles de sa famille par un ami habitant de Bayonne. Je suis informé que le sieur Blandin, Juan José, signalé le 26 avril dernier est passé à Bordeaux il y a un mois et qu'il a logé sans déclaration chez l'un de ses parents. J'ai lieu de croire qu'il a été commis dans les bureaux du ministère une erreur à l'égard de Juan José Blandin; on m'assure que cet étranger n'a jamais passé en Belgique et que ce renseignement est applicable à son frère aîné José Santiago actuellement à La Havane [...].
Le sieur Gamira part demain pour Agen. J'ai donné ordre d'arrêter le sieur Gonzalez, on présume qu'il se tient à la campagne, son retour est tenu en observation.[...].
J'ai signalé à la surveillance des commissaires de police les sieurs Mosquera; comte de Sastago; Torrecilla; Hermosa; Usarraga; Rodriguez; Oleaga; Heras; Otalora et Joaquin Vidarte que j'avais d'abord cru être le même que Pedro Vidarte prisonnier de guerre, parti de Bordeaux vers le 17 mai 1824. Je ne connais pas encore l'arrivée des sieurs [Manuscrit endommagé], Sopranis, Merino, Torres, Garcia, [manquent deux ou trois noms], Montilla, Irisarri, Ampudia, [manquent 2 ou 3 noms], Barrena Domingo, Martinez, Buelta, [manquent 2 ou 3 noms], Fos y Ferre, Galiano, Maculet, [manquent 3 ou 4 noms], Aguado, Sanchez, Roma y...[manquent 3 ou 4 noms], Majuelo.

Ci-joint état des Espagnols sur lesquels MM. les commissaires de police ont récemment fourni des renseignements:
Catalino Perez Calahorra: peintre-doreur ayant depuis longtemps formé un établissement dans cette ville. Bonne conduite.
Fermin Mateo: ouvrier travaillant chez le précédent. Se conduit bien.
Martín Espeleta [22 ans]: Part incessamment pour le Mexique sur un navire du sieur Zangroniz. Fort tranquille, bonne conduite.
Manuel Uhagon: recommandé à M. Fourcade, négociant rue Buffon, vit solitairement, d'un caractère sombre et peu communicatif. A donné à l'étude de l'art militaire. Conduite régulière, ne voit ni Espagnols ni Français, ne reçoit point de lettre au moins à son adresse directe. Annonce l'intention de se rapprocher bientôt de sa famille à Orthez.
Olozaila, Sebastien; Zulaica, Juan José et Palacios, [...]: Tous les trois étaient venus à Bordeaux pour donner des soins à l'un d'eux, le sieur Zulaica, atteint d'aliénation mentale. Se proposent de quitter la ville, bonne conduite.
Gamuza, Joaquin: mène une vie tranquille et régulière et ne voit que quelques compatriotes. [Manuscrit détruit], Pisén José Martín: fort circonspect, bonne conduite, ne voyait que la famille Queheille, récemment partie.
[Manuscrit détruit], Joaquín: vieillard noté comme très respectable, propriétaire en France
[Manuscrit détruit], Ruperto: depuis longtemps établi dans cette ville, bonne conduite
[Manuscrit détruit, 6 noms].
[Manuscrit détruit], (Paco de la): recommandé aux maisons Lucadou, Loriague et Portal, bonne conduite.
Urquiola, Francisco: négociant lié d'affaires avec la maison Zangroniz; fait particulièrement la partie des laines. Bonne conduite.
Velasco y Amarita, José: fort tranquille.
Saenz de Baranda, Pedro: bonne conduite.
de Carrea Manuel: vit de ses revenus, bonne conduite.
Alpanseque, Francisco et Escovedo, Juan Antonio: riches, tiennent ménage. De conduite régulière.
Comte de Oñate: vit dans l'opulence, très circonspect, se plaint d'avoir éprouvé de grandes pertes.
Peña (Fernandez de la), veuve Monteverde: a abandonné la ville pour se retirer à la campagne.
Victorino Manuel: cousin de la précédente: idem.

Le mois suivant, l'un des individus mentionnés dans ce compte rendu part à Calcutta: "Don Martin Ezpeleta, [22 ans], mentionné dans la lettre de V.E. en date du 18 avril dernier [il s'agit de la lettre précédente] vient d'obtenir le visa de son passeport [Le 7 juin sous le n° 614.] pour se rendre à Calcutta. La conduite de cet étranger pendant le séjour qu'il a fait à Bordeaux n'a donné lieu à aucune remarque défavorable" .
[passeport de Pampelune.]. Ce jeune Ezpeleta avait pourtant de quoi attirer l'attention: allant à Calcutta alors qu'il prétendait un mois avant se rendre au Mexique et de plus sur un navire de Zangronitz déjà remarqué par la police pour trafics divers et piraterie.
En juillet 1825, toutefois, il est signalé la présence à Bordeaux de deux dangereux corsaires:
"J'ai reçu vos rapports relatifs aux sieurs Arrigunaga et Pedro Cortina, Espagnols qui dans la dernière campagne ont armé des corsaires de lettres de marque du gouvernement révolutionnaire de Madrid. Je vous invite à n'accorder à Cortina aucun visa de passeport si ce n'est pour sortir du Royaume par la route de terre la plus directe. S'il veut aller à La Havane, il devra s'adresser pour obtenir le titre nécessaire à ce voyage à M. le Consul de Sa Majesté à Bordeaux auquel je vous engage à faire connaître confidentiellement les antécédents de cet individu. Quant à Juan de Arrigunaga, je vous prie de faire continuer avec le plus grand soin la surveillance de cet ancien capitaine de corsaires afin de découvrir autant qu'il sera possible les relations qu'il est soupçonné d'entretenir avec les pirates colombiens [...]" .
Mais Arrigunaga va rester et s'installer à Bordeaux, puisque Manuel Nuñez de Arenas, dans son "informe sobre expropiación de tumbas españolas" signale: "Tumbas en litigio: n° 2, J. B. Arrigunaga, concesionario, negociante. Fecha de la concesión: 11 de diciembre de 1834. Inhumados: María y J. B. Arrigunaga (estudiante de medicina), ambos en la fecha de concesión; y Francisco de Sales Martínez, rentista, de Minglanilla en 22 de diciembre de 1837" .
En 1834, en effet, Jean Baptiste Arrigunaga qui habite 1 place Laîné perd deux enfants à quatre mois d'intervalle: sa fille décède au mois d'août et son fils de 18 ans, étudiant en médecine né au Mexique décède le 10 décembre. (Actes n° 0790 A et 1227 A).
A la fin de 1826, le maire signale au préfet le passage à Bordeaux de deux espagnols:
N° 3797. Viser pour Toulouse le passe original de Don Francisco María Barcena [ou Barana] Espagnol.
N° 3798. "J'ai l'honneur de vous adresser le passe provisoire de M. Jacinto Espeleta, propriétaire espagnol qui désire retourner à Bayonne où il reprendra son passeport original. Il ne m'est parvenu aucun renseignement sur cet étranger" . On retrouvera la famille Ezpeleta, armateurs ou négociants, sur les registres d'Etat Civil en différentes occasions entre 1831 et 1844.

Santa María y Selva

"Son Excellence le ministre de l'intérieur par la dépêche du 24 décembre dernier m'informe que Don Antonio Santa María y Selva, Espagnol réfugié à cause des opinions politiques qu'il avait manifestées à Saragosse pendant la révolution de son pays, s'était fixé à Bordeaux où il paraît jouir d'une certaine considération dans le commerce; [...]" .
Cet Espagnol émigré et installé à Bordeaux depuis 7 ans en prend à son aise avec les passeports. Il n'a d'ailleurs apparemment rien à se reprocher mais disparait de Bordeaux en octobre 1829 sans rien dire à sa famille: "J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 5 du courant au sujet de Don Antonio Santa María y Selva, Espagnol émigré depuis 1823. Je viens d'apprendre que cet individu est parti de cette ville en octobre dernier [1829] pour se rendre à Londres avec un passeport délivré par le Consul de sa nation qui n'a point été soumis à mon visa. M. Santa María pendant son séjour dans cette ville s'est beaucoup occupé d'affaires commerciales et très peu d'intrigues politiques. Il ne se mettait pas en évidence, avait une conduite régulière et menait une vie assez retirée, sa famille qui est restée ici ne sait à quoi attribuer son départ et en éprouve de bien grandes inquiétudes; elle ne sait quelle destination a pris le sieur S.M. et désirerait bien vivement par votre intervention pouvoir trouver sa trace. Soit dit entre nous je crois que quelques pertes commerciales ont un peu exalté le négociant dont il s'agit; dans sa dernière lettre il dit que des craintes sur sa santé l'ont déterminé à aller chercher en Italie un climat plus doux. Cette lettre me fournit l'occasion de vous faire remarquer l'inconvénient qui résulte de la facilité avec laquelle le Consul d'Espagne délivre des passeports à ses nationaux pour voyager en France; c'est ainsi que des individus que vous placez sous ma surveillance peuvent s'y soustraire" .
Antonio Santa María va non seulement quitter Bordeaux mais aussi la France avec la même facilité: "J'ai reçu, joint à votre lettre du 16 de ce mois, copie de celle que vous a écrite M. le maire de Bordeaux au sujet de Don Antonio Santa María y Selva, Espagnol. Je vous remercie de cette communication par suite de laquelle je crois devoir vous faire connaître que cet émigré est arrivé à Paris le 27 décembre et en est parti le 2 de ce mois pour se rendre à Gênes [...]" .

La guerre carliste éclate

Après la mort de Ferdinand VII le 29 septembre 1833, la guerre de succession éclate entre les partisans de Don Carlos, frère du défunt et ceux de la reine Marie Christine, régente durant la minorité de sa fille Isabelle âgée de 3 ans. A Bordeaux et en Aquitaine cette guerre va se traduire par un considérable mouvement d'Espagnols vers la frontière:
"J'ai l'honneur de vous informer que M. Martínez Salcedo, (Antonio), ministre ou directeur de la Cour des Comptes à Madrid sous le gouvernement de Ferdinand VII a pris son passeport pour l'Espagne et va partir pour cette destination".

Veuve Cominal

Elle fut libérée des frais et de l'amende après avoir justifié de son indigence:
"La veuve Cominal a 60 ans. Indigente, elle a à sa charge une fille âgée de 24 ans, estropiée par les gendarmes au moment de la capture de son père. Cette famille est dans la plus cruelle indigence et est digne, par sa moralité, par les brutalités qui furent commises envers elle, lors de l'arrestation du sieur Cominal, de toute la bienveillance du gouvernement" .

Colonel Baiger

Ce colonel est un carliste que le consul d'Espagne signale à l'attention du préfet. Venant de Paris, il se trouve pour l'instant à Toulouse, mais étant donné qu'il désire partir pour la Navarre, il passera probablement à Bordeaux:
"[...] L'on m'annonce était descendu à l'hôtel Pont Cadet de Toulouse le 30 juin dernier, arrivant de Paris, le colonel espagnol Baiger qui s'était rendu dans cette capitale comme commissionnaire du comité intrus de Navarre dont il paraît être membre. L'état trompeur avec lequel il voyage ainsi que d'autres "antécédents" le rendent très suspect. En conséquence il conviendrait qu'on examinât scrupuleusement son passeport et dans le cas qu'il se trouverait effectivement suspect, on le traitât comme tel. Sous la date d'aujourd'hui je préviens M. le ministre d'Etat que je m'adresse à vous concernant cette affaire avec la confiance que vous ferez prendre les mesures les plus efficaces en faveur de notre innocente Reine. Je prends la liberté M, le préfet, de vous supplier d'avoir la bonté de faire parvenir la dépêche ci-jointe à M. le préfet des Basses Pyrénées et d'agréer l'assurance de la haute considération dans laquelle j'ai l'honneur d'être, M. le préfet, votre très humble et très obéissant serviteur" .

"Le colonel espagnol Baigé que vous m'avez signalé par votre lettre du 9 de ce mois est en effet arrivé à Toulouse le 30 mai. Il est porteur d'un passeport délivré le 26 avril par l'Ambassadeur de sa Nation pour rentrer en Espagne. Sa conduite est sévèrement surveillée et jusqu'à ce jour il n'a motivé aucune mesure de rigueur à son égard. Il a manifesté l'intention de passer quelques jours ici" .

Vrais-faux passeports; Hidalgo

Le diplomate Basadre, ministre plénipotentiaire du Mexique traverse Bordeaux sous une fausse identité: "Le nommé Hidalgo, dont le nom est sans doute supposé a dû prendre le 27 hors barrières une place dans la malle poste pour Bordeaux. Faites surveiller son arrivée et visiter ses papiers et ses effets avec soin. Retenez-le s'il y a lieu et rendez-moi compte de cette perquisition" .

"La mission mexicaine à Paris a fait connaître que M. José Ignacio Basadre est effectivement nommé ministre plénipotentiaire du Mexique près la Cour de Berlin et qu'il y avait environ sept mois qu'il était à Paris en voyage pour se rendre à son poste. Vous avez bien fait dès lors de ne pas retenir le sieur Basadre qui n'en a pas moins commis une imprudence en prenant dans son passeport le nom d'Hidalgo. Je vous serai obligé de m'adresser le plus promptement possible le signalement du sieur Luzuriaga dit Arana signalé comme agent de Don Carlos. Il vous sera facile de vous le procurer à la mairie où il a déjà obtenu 1 ou 2 passeports" .

"Nous venons, Monsieur le directeur, vous demander l'autorisation de faire sortir de l'entrepôt réel 21 mousquetons calibre de guerre à charge pour nous de les y réintégrer après que les réparations auront été faites. Ces armes nous sont parvenues par suite d'entrepôt de Nantes et primitivement de Brest et proviennent de la prise espagnole le Ferdinand VII, capturé pour cause de piraterie par un navire de guerre français. Dans l'état où elles se trouvent nous ne pouvons les expédier étant couvertes d'environ 6 lignes de rouille. Nous sollicitons, Monsieur le Directeur, une prompte réponse, le navire sur lequel nous devons les charger devant bientôt mettre à la voile" .

Message personnel

"La demoiselle Gracia Bello, petite fille d'un de mes prédécesseurs et demeurant à Malaga s'est adressée à moi pour me prier de faire parvenir d'une manière sûre la lettre ci-jointe entre les mains d'un de ses oncles, Don Rafael de Ferrari. Ce particulier depuis longtemps établi à Bordeaux y dirige un établissement commercial d'une certaine importance, il est frère d'un M. Ferrari de Santa Cruz qui a exercé dans cette même ville les fonctions de Consul d'Espagne. Je pense M. le préfet que d'après ces indications, il vous sera facile de transmettre à Don Rafael Ferrari la lettre que lui a écrite sa nièce. Je désirerais aussi que vous voulussiez bien le faire inviter à vous remettre sa réponse que vous auriez la bonté de m'envoyer directement" .

"Deux secrétaires d'Ambassade espagnols, le marquis de Navaro et le comte de Donato, envoyés par le Cabinet de Madrid et porteurs d'une dépêche pour le gouvernement Français sont passés hier en chaise de poste se rendant à Paris" .

"Les sieurs José Gines et Juan Varea, qui font l'objet de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire et dont j'ai surveillé l'arrivée à Bordeaux, y sont arrivés et y séjourneront quelques jours. Ils n'osent s'aventurer à entrer en Espagne où ils se rendaient pour affaire de commerce. Malgré qu'ils ne paraissent point préoccupés d'affaires politiques, je fais surveiller leurs démarches et j'ai retenu leurs passeports jusqu'à leur départ que je vous signalerai s'il y a lieu" .

A Bordeaux, on surveille toujours les étrangers et les sectes, même si les moyens donnés au commissaire sont limités:
"J'ai lu avec une profonde attention la lettre de M. le sous-secrétaire d'Etat de l'Intérieur du 2 octobre courant. J'ai compris la gravité des indications qu'elle renferme et combien il est important de porter une surveillance scrupuleusement attentive sur les réfugiés étrangers. Je vais en faire dès ce moment l'objet de mes préoccupations les plus assidues. Je donne à un agent qui parle plusieurs langues la mission exclusive de se répandre dans les lieux publics où les Polonais se réunissent plus habituellement soit pour prendre leurs repas, soit pour conférer et vous saurez bientôt s'il existe pami eux des initiés ou des initiateurs à la secte du carbonarisme ou à l'Association de la Jeune Europe. Vous pouvez compter, M. le préfet, sur tout mon zèle et sur mon dévouement qui se lie très essentiellement à mes convictions et à mon attachement au gouvernement qui nous régit pour se démentir jamais. La maison n° 43 aux Chartrons où est logé M. Ozores, lieutenant colonel espagnol est observée, ses démarches sont suivies. Il était au théâtre hier soir avec son épouse et rien encore de suspect à son égard n'a été remarqué. La maison où il loge est une maison garnie. Je lui ai fait remettre la lettre que vous m'aviez donnée pour lui. Il a annoncé l'intention de se présenter devant vous hier. J'ai recueilli son signalement que je joins au présent. Rien n'indique encore la présence de Violi signalé comme un agent actif carbonaro et voyageant pour y affilier et corrompre les militaires des diverses garnisons. Par des questions indirectes, mais faites à propos à un autre Italien nommé Cheynetti, j'ai appris que ces deux individus se connaissent pour s'être trouvés ensemble au dépôt des réfugiés à Chaumont. J'ai ainsi obtenu le signalement de Violi qui me servira pour tenir son arrivée en observation. Mais à cet égard et dans un moment où la surveillance des voitures publiques, des hôtels et des maisons garnies devient de plus en plus essentielle, il ne se fait que très imparfaitement et de manière à ne pouvoir en attendre aucun résultat satisfaisant. L'agent que j'avais spécialement chargé de ce service et qui y apportait une assiduité et une aptitude remarquables, remplit depuis plusieurs mois les fonctions par intérim de commissaire de police à Bourg. Mais il ne peut rester plus longtemps dans ce poste par l'exiguïté du traitement qui y est attaché (600 francs). Il a fait jusqu'ici de pénibles sacrifices pour se maintenir dans une délégation qu'il devait à votre bienveillance mais le titulaire étant décédé et le conseil municipal de Bourg ne pouvant allouer une plus forte somme, M. Mialaret demande son rappel. M. l'adjoint de maire, délégué pour la police de sûreté auquel j'ai manifesté cette sorte d'abandon où se trouve le service des voitures publiques et des hôtels depuis l'éloignement de l'agent spécial qui en était chargé semble reculer devant une dépense de 50 francs par mois qu'occasionnerait la nouvelle investiture de M. Mialaret pour cet objet. Mais il devient trop urgent de rétabli convenablement ce service soit dans l'intérêt local, soit dans celui de la surveillance de la haute police, pour que M. Godinet ne comprenne pas la portée de ces observations que je vous prie, M. le préfet de lui faire à cet égard avec quelque insistance et de manière à ce que ce service soit promptement rétabli. Laffite".

Ne nous étonnons pas, dans ces conditions, que les Espagnols partent facilement vers la frontière.


Baron Suarce, de la reine

Les carlistes espagnols étaient certes nombreux à Bordeaux, mais voici qu'un ancien officier de la reine recrute des hommes pour préparer la révolution en Sardaigne:
"Je lis dans un rapport de M. le préfet de police:
On dit que le colonel baron Suarce qui avait formé une compagnie de volontaires pour la Reine Isabelle est en ce moment à Bordeaux où il s'occupe à recruter des hommes et à se procurer de l'argent pour une expédition révolutionnaire en Sardaigne".
Quoiqu'un pareil avis me semble mériter peu d'attention, je vous prie de vous informer:
1 °) si ce colonel est à Bordeaux
2°) Si ses démarches auraient quelque rapport avec l'imputation dont il est l'objet" . Gasparin. Secrétaire d'Etat.
"Conformément à la recommandation que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 18 de ce mois, j'ai fait rechercher le domicile du colonel baron Suarce. Cet officier supérieur est logé à Bordeaux chez M. Roux, tenant l'hôtel de la Charente, rue Mautrec n° 13. Je fais tenir ses démarches en observation et j'aurai soin de vous tenir informé de tout ce qui me paraîtra susceptible de vous être signalé".

1836. M. Galos

"[...], j'ai fait prendre à bonne source des renseignements sur le compte de M. Massiou, négociant, rue des Argentiers n° 38. C'est un excellent citoyen, bon patriote, partisan zélé du gouvernement et d'une moralité à toute épreuve. Il faisait partie en 1830 du Comité dirigé par feu M. Galos. Toutefois et comme une très bonne opinion politique n'exclue pas toujours du désir de traiter des affaires commerciales à son encontre, je ferai continuer la surveillance que j'ai établie pour approfondir si les opérations mercantiles de cette maison sont de nature à confirmer les doutes qui sont signalés".
Souvenons nous de ce que disait le maire à propos de Galos dans son rapport hebdomadaire du mois de mai 1825: "[...], la demeure du sieur Amati, objet de votre lettre du 15 avril dernier m'est maintenant connue. M. Galos, négociant rue Saint-Rémi est son correspondant. Il passe les jours à lire et écrire et les soirées au café du Commerce. Il paraît être dans l'aisance et reçoit de temps en temps des nouvelles de sa famille par un ami habitant de Bayonne.

Plus tard, en août 1836, le baron de Escriche écrit: "[...] comme tous ces quatres derniers courriers venant de Madrid ont été interceptés, il me serait impossible de me mettre en route, celui qui me fournit les fonds n'ayant pas reçu l'avis de me remettre l'argent que mon intendant me livre ordinairement sur la maison Galos. J'espère de votre bonté et de votre justice que vous m'accordiez ce délai [...]".

Incident

"Vous m'avez annoncé sous la date du 19, l'arrivée de plusieurs Espagnols de distinction à Bordeaux. Le général Cordova qui est du nombre de ces étrangers a tenu à Bayonne une conduite fort légère. Il a été publiquement insulté dans cette ville par un Espagnol nommé Fajardo, venu tout exprès de Saint-Sébastien. Une rencontre aurait eu lieu si la police locale ne s'était hâtée d'arrêter le sieur Fajardo et de le faire embarquer à Saint-Jean-de-Luz pour l'Espagne. Cet incident vous donnera la mesure de la surveillance dont ces nouveaux émigrés doivent être l'objet dans le double intérêt de l'ordre public et de leur sûreté personnelle".

1837. Fausse information carliste

Cette fausse information carliste est peut-être une erreur sur la personne. On peut en effet difficilement prendre le vainqueur de Cabrera pour un carliste. Le capitaine général de la Principauté de Catalogne tient pourtant à insister sur la fidélité et la probité du général Bretón dans une lettre adressée au "préfet de la Basse Garonne, à Bordeaux":
"Capitanía General del Principado de Cataluña al Prefecto del Bajo Garona (Bordeu);
"Por el Consul de España en Perpiñán he sabido la prisión del carlista barón de Peramola, en Burdeos viajando con el nombre supuesto de Pedro Navarrete y que entre los papeles que se le ocuparon se halló una nota de varios Españoles en concepto de haber reconocido o prestado fidelidad al Prtncipe rebelde y en la cual está comprendido el General Bretón que residía en dicha ciudad. Como en las guerras civiles es muy frecuente que los partidos se valgan de todos los ardides imaginables para desacreditarse mutuamente, no sería extraño que los carlistas hubiesen colocado entre los nombres de sujetos que no dudo les serán afectos el del benemérito general Bretón que antes de eso ha dado tantas pruebas de honradez, valor y fidelidad a su patria defendiendo en señalados combates y ocasiones la justa causa de la Reyna mi augusta soberana, si creían que por este medio logrababan neutralizar los importantes servicios que estaba en disposición de prestar, habiendo sido nombrado por real órden de 9 de noviembre último mi 2° en el mando del Principado de Cataluña. Por todas estas razones me dirijo a V. S. Señor Prefecto persuadido de que con su acreditada ilustración, prudencia y en vista de los antecedentes que pueda tener acerca de este asunto, deberé a V.S. la bondad de que me informe reservadamente sobre el concepto que haya formado de la conducta, opinión política y relaciones que hubiese tenido en ese departamento el referido general indicándome si lo sabe donde se halla actualmente para juzgar del valor que deba darse a dicha nota o si podrá considerarse como calumniosa y dirigida por el espíritu de maquiavelismo. Con este motivo ofrezco a V.S., Señor Prefecto, las seguridades de mi consideración y ruego a Dios guarde a V.S. muchos años".
(Par le consul d'Espagne à Perpignan, j'ai appris l'arrestation à Bordeaux du baron de Peramola voyageant sous le nom supposé de Pierre Navareta et j'ai su que parmi les papiers qu'on lui a saisis, il y a une liste de divers Espagnols qui passent pour avoir reconnu le prince rebelle ou lui avoir prêté serment et dans laquelle est compris le général Breton qui résidait dans la dite ville. Comme dans les guerres civiles il est très fréquent que tous les partis usent de toutes les rusent imaginables pour se discréditer mutuellement, il ne serait pas extraordinaire que les carlistes aient placé parmi les noms des sujets qui sans doute leur seront assurés celui du général Breton qui a donné auparavant tant de preuves d'honneur, de valeur et de fidélité à sa patrie en défendant en des combats et des occasions signalés la juste cause de la Reine mon auguste Souveraine [...]". (Barcelone).

Méprise

En 1838, cet émigré asturien qui travaille à Bordeaux, sur recommandation du commissaire, chez un fabricant de chocolat, écrit au préfet pour lui signaler une injustice. Il a été conduit en prison à la descente de la diligence car son nom inscrit sur la liste du conducteur ne correspondait pas à son véritable nom inscrit sur son passeport:
"Señor, Manuel Mendez, natural de Anleo, en Asturias y preso en esta carcel por la policía de esta billa al tiempo de bajar de la diligencia por allar el non bre equibocado en la lista del conductor y en mi pasaporte, mi berdadero nonbre y mi berdadera siniatura y por que disgracia me hacen padecer tan injusta mente en una prisión, Señor, a Ud suplico sesirba de ponerme enli bertaz y a ganar mi bida honrrada mente, prueba, Señor de que soy un buen honbre. cuando entré [illisible], el mismo con misario de policía bio mi pasa porte y él mismo fue con migo a casa de un caballero que comercia en chocolate y me dio una carta de recomendacion para trabajar en esta billa en la tienda de chocolate del señor Lopez San Son y cuando me presenté no podtan darme trabajo y biendo eso me marché a Angulema en donde avía unos paisanos míos que me ofrecieron de corner hasta que me colocase. los mismos paisanos me dieron diez pesetas para el camino y porque un hombre malo me haya engañao a mi se me hace padecer tan injusta prision. Este hombre que en Perigueus yo yebado del buen deseo de caminar del modo mas facil y comodo pues el perjuicio ha sido para mi señor que he tenido que paggar la diligencia dos veces. Señor permitame U el salir a libertaz y haré ber mi onradez, en esta billa estará la Señora marquesa de billa Canpo, esta señora si me presento a ella me conocera porque siendo yo en madrid capital de españa cría del Duque defunto de Ber... y Alba yba mi amo a bisitar dicha señora marquesa por lo que suplico a U me permita que baya a berla y que me acompañe cualquier persona de la policía o los chandarmes y si U no me quiere creher así espero disponga lo más pronto posible de mi persona favor que no dudo alcanzar de los buenos sentimientos de U y entretanto quedo pidiendo al todo poderoso por la importante bida de U. Manuel Mendez".
En résumé, ce Manuel Mendez qui possède une orthographe pour le moins hésitante, injustement emprisonné pour une erreur de nom, demande au préfet de le faire mener devant la marquise de Villa Campo [probablement Villalcampo] qui est selon lui à Bordeaux et qui pourra le reconnaître. Nous ignorons le dénouement de cette affaire. Manuel Mendez se trouve certainement depuis quelque temps déjà en France car il s'est habitué à dire "chandarmes", comme d'autres individus se sont habitués à signer "Fransua". En 1838, Don Carlos demande aux Espagnols de l'étranger de venir le rejoindre dans les provinces occupées. Beaucoup d'Espagnols, même si nous ne sommes pas certain qu'ils soient carlistes, mais comment ne pas les soupçonner, vont essayer de se rapprocher de Bordeaux dans l'intention de se diriger vers la frontière. Les autorités bordelaises tentent de freiner sinon d'arrêter ces mouvements, mais sans grand succès: "André Henri Misley, natif de Modène ou de Rome, se disant naturalisé espagnol et prenant aujourd'hui le nom de Enrique Misley y Baccarini, lequel au retour d'un voyage à Madrid est parti de Paris le 10 du courant par la malle poste pour se rendre à Bordeaux. Cet étranger qui en 1823 et 1833 avait été signalé comme ayant pris part aux troubles qui agitèrent la capitale a été expulsé du Royaume dans le courant du mois d'octobre 1835. On pense qu'il est maintenant chargé par le gouvernement espagnol d'une mission de police bien qu'en apparence il ne s'occupe que de spéculations industrielles [...]".

Au mois d'avril 1838, quelques réfugiés espagnols passent la frontière:
"Dans un rapport en date du 5 du courant, M. votre collègue des Basses Pyrénées m'informe de l'arrestation à Bayonne des sieurs Joseph et Manuel Boxadors, frères, ainsi que du nommé Pedro Linares, leur domestique, tous trois réfugiés espagnols qui ont été conduits sous l'escorte de la gendarmerie à Toulouse. M. Duchatel m'annonce en même temps que ces trois étrangers étaient accompagnés d'un nommé Zabaleta, porteur d'un passeport pour Bordeaux et que le sous-préfet de Bayonne s'est contenté de diriger sous escorte sur Mont-de-Marsan afin qu'il se trouvât sur la route qu'il ne devait point quitter [...]".
"Les sieurs Joseph et Manuel Boxadors, frères, le nommé Pedro Linares, leur domestique et un quatrième Espagnol nommé Zabaleta, ont été récemment arrêtés à Bayonne. Tous quatre étaient renfermés dans la même chambre. Les trois premiers étaient porteurs d'un permis de séjour pour Toulouse. Ils ont été dirigés sur Cahors où ils sont arrivés le 4 avril. Quant au nommé Zabaleta, il avait un passeport pour Bordeaux et il a été conduit sous escorte de la Gendarmerie jusqu'à Mont-de-Marsan d'où il va continuer sa route pour se rendre dans le chef-lieu de votre département. Je vous prie de vous informer si cet étranger est arrivé à sa destination. Dans le cas de l'affirmation vous aurez soin de vous assurer de sa position". Enfin, le 4 mai: "Zabaleta est arrivé et loge rue de la Douane, chez la veuve Lagarrigue".

Comte de Castella

"Le comte de Castella, jeune Espagnol ayant avec lui sa femme et sa soeur est venu s'établir depuis peu de temps à Carcassonne et a manifesté l'intention d'y passer toute la belle saison. Il a même fait des démarches pour se créer des relations de société à la préfecture et dans plusieurs maisons honorables. Il arrive de Toulouse où il a passé trois mois mais auparavant il était resté trois ans à Bordeaux où, si on l'en croit, il avait un train de maison assez considérable".

A la fin du mois de juin, le commissaire donne des informations plus détaillées au préfet: "En réponse à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le mois dernier et pour satisfaire aux renseignements demandés par celle de M. le préfet des Landes du 21 mai aussi dernier, sur le comte de Castella; je m'empresse de vous transmettre que M. le comte de Castella est gendre de M. le marquis de Sambrano [Zambrano] demeurant à Bordeaux, Galerie Bordelaise, il est cousin de M. Ie général Ferere [Ferrer]. A l'époque où le comte de Castella résidait à Bordeaux, il était admis dans les premières maisons de cette ville et notamment à la préfecture".

Billemates

En juin 1838, un réfugié qui avait habité à Bordeaux, Jean Billemates est amêté par les autorités saint-gaudinoises et envoyé à la prison de Toulouse. Cet Espagnol n'a au demeurant rien à se reprocher en France, mais il devra rester en prison jusqu'à ce que le préfet ait pris des renseignements: "Un Espagnol réfugié nommé Billemates Jean, âgé de 21 ans, se disant déserteur de l'armée de la Reine, a été arrêté dernièrement à la frontière de mon département dépourvu de papiers, se dirigeant vers l'Espagne et transféré sur la réquisition de M. le sous-préfet de Saint-Gaudens dans les prisons de Toulouse pour y rester à ma disposition. Il résulte de l'interrogatoire qu'il a subi et que j 'ai l'honneur de vous communiquer que cet étranger s'est réfugié en France dans les premiers jours de janvier dernier, qu'il se rendit immédiatement à Bordeaux où il fit la rencontre d'un compatriote, le sieur Pène [Peña], domicilié dans cette ville, rue Bouviers 22, qui l'a gardé chez lui et l'a employé à des travaux de terrassement; qu'ayant été congédié parce qu'il était sans papiers et qu'il ne s'était pas présenté devant l'autorité municipale de Bordeaux et se trouvant sans asile et sans travail, il avait pris la détermination de retourner en Espagne. Je vous prie M, et cher collègue, de vouloir bien me faire connaître les renseignements que vous avez ou que vous pourrez vous procurer sur la conduite du nommé Billemates pendant son séjour à Bordeaux et de me renvoyer la pièce ci-jointe".
Billemates se trouve toujours en prison, mais le préfet insiste: "Par ma lettre du 8 de ce mois, j'ai eu l'honneur de vous demander des renseignements sur le compte du nommé Billemates Jean, Espagnol se disant déserteur de l'armée de la Reine. Arrêté dans mon département comme étant dépourvu de papiers. Je vous serai obligé de vouloir bien m'adresser le plus tôt possible les renseignements que vous vous serez procurés sur cet étranger afin que je puisse prendre une détermination à son égard".
Et le 10 juillet, le préfet adresse un courrier à Toulouse, Billemates peut sortir de prison: "J'ai l'honneur de vous transmettre les renseignements demandés par vos lettres des 16 et 30 juin dernier sur le sieur Jean Billemates, Espagnol. La conduite de cet étranger pendant son séjour dans notre ville a été sans reproche, malheureux, sans industrie, il quitta Bordeaux et se dirigea sur Saint-Béat (Haute-Garonne) d'où il adressa à son gouvernement une lettre de réhabilitation dans l'armée de la Reine, mais comme il avait déserté deux fois, cette faveur lui fut refusée. Depuis j'ai appris qu'il avait été dirigé sur un dépôt de France mais j'ignore le lieu".

Les hôtes de marque

Juillet 1838, Leurs Altesses d'Espagne prennent les eaux en France et passent par Bordeaux, mais sans beaucoup d'apparat. Voici le programme:
"Vous aurez appris sans doute que l'Infant d'Espagne, Don François de Paule, l'Infante Doña Louise Charlotte sa femme, leurs huit enfants et une suite nombreuse sont venus en France il y a deux mois pour prendre les eaux et les bains de mer. LL. AA. RR. sont à Toulouse en ce moment et se proposent d'en partir très prochainement pour se rendre à La Rochelle. Leurs enfants les accompagneront mais les personnes de leur suite resteront à Toulouse jusqu'à nouvel ordre. Les Infants voyageront sous le titre de duc et duchesse de Lora. Il n'y a donc pas lieu de leur rendre les honneurs qui leur seraient dus s'ils ne voulaient pas conserver l'incognito. Mais je désire que vous preniez immédiatement sur la route les mesures nécessaires pour que toutes les facilités désirables leur soient accordées dans leur voyage. Si LL. AA. RR, passaient au chef-lieu de votre département ou dans le voisinage, vous devriez aller leur offrir vos hommages et prendre leurs ordres à moins que vous n'en fussiez empêché par les opérations du conseil de révision. Vous aurez soin de m'informer du passage de LL. AA. RR. dans votre département et de me rendre compte des dispositions que vous aurez prescrites pour remplir l'objet de cette lettre" . Pair de France, ministre de l'intérieur: Montalivet.

"Le prince d'Espagne, duc de Lora et toute sa famille partiront de Toulouse pour se rendre à la Rochelle jeudi 19 juillet à 8 heures du soir pour arriver à Agen le 20 à 9 heures du matin. Le 20 sortiront idem à 4 heures de l'après midi pour arriver à Bordeaux le 21 à 9 heures du matin. Le 21 quitteront Bordeaux à 4 heures de l'après midi si cela est possible pour aller à Blaye par le bateau à vapeur et là reprendront les voitures pour aller à La Rochelle où ils espèrent arriver le 22 à 10 heures du matin. LL. AA. RR. feront leur voyage dans trois voitures à quatre chevaux de poste chaque. Il y aura à la voiture du prince deux postillons et un à chacune des deux autres. M. le comte de Parsent, grand majordome de LL. AA. avec sa famille quittera Toulouse quatre heures avant LL. AA. RR. dans une voiture à quatre chevaux et une petite calèche à trois chevaux. Il y aura un postillon à chacune des deux voitures. De Bordeaux à Blaye, les voitures feront le trajet par terre avec des chevaux de poste de manière à ce qu'elles puissent être à Blaye avant l'arrivée du prince. Les personnes de la suite du prince et de sa famille iront à La Rochelle tantôt dans les voitures ci-dessus, tantôt dans une diligence arrêtée en route.
Ces personnes sont:
S. Excellence le comte de Parsent Grand Majordome.
Antonio Guimarra: secrétaire.
Joseph Carrizona: chambellan.
Joaquin Hyzorn: médecin.
Juan Saez: attaché à la garde-robe.
Joseph Menendez: attaché à la garde-robe.
Ferdinand Plano: perruquier.
Cactans, dit Blaise: cuisinier.
Manuel Pelaez: cuisinier.
Manuel Pelogra: cuisinier.
Domingo Sillit: cuisinier.
Joseph Dominguín: cuisinier.
François Vecino: cuisinier.
Ramond Panabal: laquais.
Joseph Lonych: idem.
Son Excellence la baronne de Rumilly: institutrice.
Mme Juana Ballesteros: dame d'honneur.
Mlle Prisca Módenes: dame d'honneur.
Pauline Prunet: femme de chambre.

La famille de S.E. le comte de Parsent se compose de:
M. Jean Lacerda,
Mlle. Louise Lacerda, Mlle. Emilie Lacerda, Mlle. Virginie Lacerda: enfants de M. le comte.
Mlle. Leonarda Zapata: institutrice des filles.
Manuel Lépez: domestique de M. le comte.
José Fernandez: domestique de M. le comte.
José Lopez: domestique de M. le comte.
Antonia Larragneta: domestique de M. le comte.
Josefa Larragneta: domestique de M. le comte.
Juan de la Fuente Carnicero.
José García Hyzem.
M. García Rumilly.
Antonia Carrera Ballesteros.

Les personnes de sa suite qui resteront à Toulouse pour se rendre plus tard à Paris où elles devront être avant l'arrivée du prince sont:
M. Acedillo: secrétaire.
Roque Vallabriga et trois domestiques.
Antonio Riveralta: attaché à la garde-robe.
Pedro Perales, Pablo Saez, Edouard Pardon: laquais.
Mlle. Henriette Castan: femme de chambre.
M. Feran Jourcade: laquais.

Le consul d'Espagne surveille aussi bien sûr le passage de Leurs Altesses à Bordeaux:
"Par votre lettre d'hier, vous avez la bonté de me faire connaître la dépêche télégraphique que M. le préfet de Toulouse vous a adressée le 17 du courant sur le voyage de LL. AA. les Infants d'Espagne pour se rendre aux bains de mer à La Rochelle. Leur arrivée à Bordeaux pour demain matin m'a été annoncée par M. le comte de Parsent, intendant général de LL. AA. qui comptent descendre à l'hôtel de Rouen pour y prendre quelques heures de repos et continuer ensuite leur voyage à 8 heures du soir sur un bateau à vapeur jusqu'à Blaye et de là en poste jusqu'à leur destination. Aussitôt l'arrivée de LL. AA. je m'empresserai de faire porter à leur connaissance le contenu de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser; en attendant, vous verrez M. le préfet s'il serait possible de faire prendre quelques mesures afin que l'embarquement des princes à Bordeaux et leur débarquement à Blaye puissent avoir lieu sans obstacle et le plus commodément qu'il se pourra". Mateo Durou.

"En réponse à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire à la date de ce jour, je m'empresse de vous informer que je n'ai reçu aucun avis officiel de l'arrivée de la Reine Christine à Bordeaux. Du reste, d'après un itinéraire que m'adresse M. le lieutenant général commandant la division, S. M. doit partir de Madrid le 8, coucher le 9 à Vitoria, le 10 à Irún, le 11 à Mont de Marsan, le 12 entre Bordeaux et Tours et le 13 à Tours. Il en résulte qu'elle ne doit faire que traverser Bordeaux sans s'y arrêter. Dans le cas où je recevrais quelques instructions à cet égard, je m'empresserai de vous en donner connaissance".

"Manuel Rivera Salgado, 36 ans, colonel espagnol, est parti pour Bourges à la date du 14 septembre 1839, mais le 10 janvier 1840 il habite au 43 de la rue Notre-Dame à Bordeaux".

N'oublions pas qu'à Bourges se trouve la Cour du prétendant Don Carlos, qui est passé par Bordeaux et que le préfet a aidé financièrement de sa poche lors de son voyage. Il sera remboursé sur les crédits alloués aux réfugiés espagnols:
"Toutes les dépenses relatives au voyage de l'Infant Don Carlos et de sa famille doivent être imputées sur le crédit affecté aux réfugiés. Comme vous avez à votre disposition des fonds appartenant à ce crédit, il vous sera facile de vous rembourser des avances que vous avez faites à M. de Tinan, aide de camp de M. le Président du Conseil et à M. le capitaine de Langlaise; avances qui se montent à 1615 F. Je vous renvoie ci-joint comme pièce comptable et justificative la quittance qui vous a été remise par M. de Tinan".
Mais les fonds destinés à cet effet sont délivrés avec parcimonie. Une note anonyme signale: "on a délivré le 10 août 1840 un mandat de 840 F Pour secours aux réfugiés pendant les mois de juin et de juillet 1840".

Quelques Espagnols travaillant dans la région bordelaise répondent à l'amnistie: "J'ai l'honneur de vous informer que le 17 du courant, les nommés Bort Jacques, Artola Manuel, cardeurs de laine, travaillant à La Réole et Pezaire Vicente, domestique chez M. Bertrand notaire à Mongauzy, tous trois réfugiés espagnols ont abandonné le dépôt de La Réole. L'on pense qu'ils se sont dirigés sur l'Espagne. Leurs signalements ont été immédiatement envoyés à Bazas". Le capitaine de gendamerie Janin.

"Par son rapport d'hier, M. le lieutenant de La Réole me fait connaître que 11 réfugiés espagnols dont les noms suivent ont quitté l'atelier du Pontet où ils avaient du travail, le 30 novembre dernier. On dit qu'ils se sont dirigés vers la frontière pour rentrer dans leur patrie. Quelques uns d'entre eux ayant reçu des lettres de leur famille qui leur marquait qu'ils pouvaient rentrer dans leurs foyers et qu'il y avait amnistie. Savoir: Querol Thomas, Ferrer Nicolas, Hisquierdo [Izquierdo] Gregorio, Castan josé, Borreda Jean, Marco juan, Gil Manuel, Tin Manuel, Ferrer Théodore, Safra "Balerène"[Ballarín] et Genaroya José. M. le lieutenant me rend compte qu'il a envoyé leur signalement aux brigades sur la route. (Il n'avait pas connaissance de la lettre de M. le préfet datée du 30 novembre 1840)".

"Les Espagnols réfugiés internés à Libourne et Ste.Foy, quatre de ceux du dépôt de Castillon et sept du dépôt de Guîtres ont été dirigés sur Bordeaux devant le consul d'Espagne qui leur a délivré des passeports pour rentrer dans leur patrie. Ceux qui restent à Castillon et à Guîtres, qui ne veulent pas rentrer en Espagne, sont placés et occupés au travail. Ils se conduisent bien. Il n'y a aucune mutation ni à Bazas ni à La Réole".

IV. 1842 à 1850: PROBLÈMES AVEC LA POLICE MUNICIPALE.

Dossier 3630 I.3 (les dossiers I.1 et I.2 n'existent pas).
Les documents de ce dossier sont pour la plupart des notes anonymes, probablement la correspondance entre des gendarmes et leurs supérieurs. Cela pourrait être la réponse à des demandes de renseignements. Mais, si ces papiers sont difficilement exploitable car trop hétéroclites, ils présentent tout de même l'intérêt de nous signaler la présence à Bordeaux d'individus que nous avions déjà rencontrés les années précédentes et surtout, nous laissent entrevoir les problèmes que pouvaient avoir les émigrés avec la police municipale pour tout ce qui concerne le respect de la légalité, ainsi que leurs difficultés économiques au quotidien dans ces huit dernières années du demi siècle. Sauf pour un cas, celui de Mariano Godoy en 1843, nous trouvons dans ce dossier une série d'individus espagnols dont la situation est souvent tragique.

Note laconique de Mme Rivas sans autre précision: "Hoy ban mis cosas al muelle para ser confiscados mis bienes". Maria Guadalupe Rivas de Vidal. (Aujourd'hui mes affaires sont emmenées au port et mes biens confisqués).
Le 2 février 1842, Maria Guadalupe Rivas marie sa fille María Guadalupe, 24 ans, née à Acapulco et habitant 12 rue des Ayres, à José Antonio de Aragón, 19 ans, né à Oñate. Deux des témoins de ce mariage furent le prêtre Juan Pedro Agete et Luis de Vidal, frère de l'épouse. Il s'agit donc bien de la même famille.

"Le dénommé Palacios se fait remarquer par une vie oisive, débauchée, scandaleuse et même dangereuse pour la sûreté publique".

"Baltasar Palacios, 29 ans, chocolatier, natif de Navarre, habitant au 57 rue de la Fusterie, officier carliste réfugié est condamné le 3 août à 3 mois de prison et aux frais par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour "vol d'une cuiller d'argent marquée I.C, qu'il aurait de son aveu prise dans une voiture publique au moment où on la dételait au bureau de poste de Langon dans le trajet de Bazas à Bordeaux, le 20 du courant à 10 heures du matin, l'y ayant trouvée en y remontant chercher sa pipe qu'il avait oubliée. Cuiller tordue à la queue pour essayer de la couper et qu'il à été vu cherchant à la vendre".

"Genara Cortazar se plaint des mauvais traitements que lui font subir ses frères et son père qui habitent 21 rue Delerme. Elle s'enfuit de chez elle pour épouser un de ses compatriotes capitaine dans l'armée espagnole et se réfugie en attendant chez d'autres compatriotes, M. et Mme Landa, 12 rue Saint-Paul en Ville. D'après les registres d'Etat-Civil, le 6 février 1843, une certaine Melquiora Cortázar, (probablement la même personne que Genara), 32 ans, née à Vitoria, habitant 21 rue Delerme, épouse un militaire espagnol nommé Manuel Pedrinaci et habitant lui aussi rue Delerme. Le père de Melquiora s'appelle Nicolás. Au mois de mai de la même année, un autre Cortázar, Gregorio, très probablement frère de Melquiora puisqu'il habite lui aussi 21 rue Delerme, rentier, déclare le décès d'Altémir Bartolemi, moine cordelier de 60 ans né à Barbastro.

Beaucoup de ces fiches de police, pour ne pas dire la plupart, ne portent aucun renseignement précis sur ces émigrés.
Nous trouvons assez souvent l'adresse, quelquefois la profession ou un détail sur les motifs de la surveillance policière. Toutes néanmoins reflètent l'état de pauvreté et de précarité de ces réfugiés puisque, comme l'expriment beaucoup de ces notes, ils sont à Bordeaux "sans asyle". Cela peut d'ailleurs laisser supposer qu'on ne retrouvera pas de traces de ces émigrés dans le recensement fait à Bordeaux, car la plupart sont sans papiers: ainsi, Léonard Gonzalez: terrassier espagnol de 33 ans et Agustin La Peña de 28 ans.

Voici quelques exemples de fiches :
Perquisition au domicile du général Basilio García, 14 rue de la Prévôté.

Simon Gonzalez, officier de cavalerie réfugié carliste voyage de Bayonne à Bordeaux sans autorisation.

Alejandro Cazenava, officier cristino, [fidèle à la reine] natif de Borja, Aragon, réfugié, "a été encore trouvé la nuit dernière sur la voie publique sans papiers, sans ressource et sans asyle".

Antonio Barbadillo, sous-lieutenant carliste, réfugié en résidence à La Réole, voyage avec un passeport non visé en compagnie d'un vagabond.

Christophe Gasc, Espagnol réfugié dans la commune de Duras (Lot-et Garonne), aurait quitté la dite commune sans payer au sieur Naïs, aubergiste et boulanger, le montant de sa dépense.

Un quidam espagnol de 40 ans, sourd, muet, mendiant, né à Trubia (Catalogne).
"Un Espagnol nommé Joseph Garcia, soldat carliste rôdant dans la commune avec un passeport délivré à Agen à la date du 7 mai 1842 avec le dernier visa de Marmande à la date du 10 novembre courant pour Labrède. Je l'ai arrêté mais n'ayant personne sous la main pour le faire amener devant vous, je me suis contenté de retenir son passeport et de vous le transmettre pour que vous avisiez au moyen qu'il vous plaira. Les cartes de sûreté que vous délivrez pour Bordeaux ainsi que les permissions que vous accordez aux musiciens ambulants sont respectées dans Caudéran mais je dois vous prévenir que la plupart en sont démunis et se cachent le jour dans nos auberges pour aller vous rendre visite la nuit".

Thomas Astarriaga, 37 ans: lieutenant colonel carliste réfugié.

"Laurent Vilamajor, réfugié arrivé à Bordeaux le 10 septembre 1841. Le 11 février dernier il reçut au Consulat un passeport pour rentrer dans sa patrie. Depuis cette époque, Vilamajor n'a plus figuré sur le contrôle des Espagnols réfugiés en résidence à Bordeaux".

"Corelho Gomez, 24 ans, Espagnol réfugié, habite Bergerac. Menuisier, il quitte fultivement sa résidence et se retrouve à Bordeaux sans asyle".

Certains Espagnols décident quoi qu'il en soit de s'amuser. L'un d'entre eux écrit en français au préfet pour obtenir l'autorisation de faire la fête:
"Contre danse: 16 Espagnols réfugiés, désirant se divertir à l'usage de leur pays pour les prochaines fêtes des carnavals, se sont proposés de former une contredanse et à cet effet vous implorent, [Monsieur le maire de la ville de Bordeaux], de vouloir bien leur accorder cette permission et celle d'accepter le bien veillant offre de ses compatriotes qui se trouvent établis dans votre honorable ville.
Juan Ortega: 88 Rue Pont-Long.
Juan Boti: 88 Rue Pont-Long.
Francisco Yza: 88 Rue Pont-Long.
Norverto Gomez: 7 rue Saint-Thomas. [Ce Norberto Gémez, 26 ans, cordonnier né à Valladolid, habitant 87 rue Porte Dijeaux, épouse le 13 novembre 1843 "Tolare Unici", 36 ans né à Goizueta (Navarre), et habitant rue St Rémi. L'un des témoins de ce mariage est Juan Ortega, le premier signataire de cette liste, habitant aussi 87 rue Porte Dijeaux].
Ponciano Legaria: 7 rue Saint-Thomas.
Pedro Aguirre: 7 rue Saint-Thomas.
Nicanor Zaldua: 6 rue Judaïque-Saint-Seurin.
Joaquin Barba: 8 rue Angélique.
Joaquin Alfaro: 4 rue Lalande.
Melchor Romano: 4 rue Lalande.
Gaze: 4 rue Lalande.
Cercos: 4 rue Lalande.
Telesforo Casado: 37 rue Saint-Rémi. [Le 12 septembre 1848, Telesforo Casado, doreur habitant 19 rue du Palais Galien, sera témoin d'un mariage entre Français].
Higinio Bustamante: chez M. Mallié, restaurateur.
Ylario Murua: rue Saint-Rémi chez M. Tourette. [Le 8 octobre 1845, Hilario Murúa, chocolatier de 22 ans né à San Martín de Zalge, habitant 24 rue Delurbe, épouse Serafina Odriozola, 37 ans, née à Urestilla et habitant cours de Tourny].
José Aguirre: rue Delerme chez M. Cortazar. [Le même Cortázar qui en 1843 maltraitait sa fille jusqu'à ce qu'elle s'enfuie de la maison].
Réponse du commissaire du 6ème arrondissement: "Il résulte des renseignements que j'ai pris que les Espagnols qui font la demande d'autre part veulent former une mascarade et danser sur les places des danses de leur pays en parcourant la ville le dimanche et le mardi gras. Ils sont une douzaine environ. J'ai exigé les noms de ceux qui doivent faire partie de cette société,[...] je pense qu'on peut les autoriser à s'amuser les deux soirs indiqués".

Tous les réfugiés carlistes ne sont pas espagnols; ainsi cet officier portugais partage le sort des "sans ressources":
"Teysseira Joaquin, 42 ans, sujet portugais qui se dit réfugié comme ancien officier de l'armée de Don Carlos en Espagne... Cet individu n'a aucune espèce de ressources et ne peut justifier en aucune manière de l'emploi de son temps depuis environ 4 mois".

La famille Ruiz, déshéritée:
"Epoux Ruiz: Une dame espagnole réfugiée, malheureuse, sans pain vient implorer votre charité, votre bonté pour lui accorder quelque secours car sa position est du plus à plaindre se trouvant sans ressources. Elle vous en aura la plus profonde reconnaissance. (N'a pu signer.)".

Compte rendu d'enquête: "J'ai l'honneur de vous informer que d'après les renseignements que j'ai recueillis concernant les Ruiz, Espagnols, demeurant 19 rue Maubourguet, voilà quelle est leur position: le mari travaille de l'état de menuisier et gagne 1F 50c. par jour. La femme est toujours malade et ils sont en garni et ils ne paraissent pas heureux".

"J'ai fait une descente hier soir à 3 heures au 72 cours de l'Intendance, chez M. Moriano, capitaine espagnol réfugié signalé comme donnant à jouer des jeux de hasard à ses compatriotes. En effet, j'ai trouvé chez lui, jouant à un jeu qui m'est inconnu mais qui ne serait pas un jeu de hasard, 9 Espagnols parmi lesquels était un nommé Luis del Rio condamné pour vol et escroquerie en Espagne".

"Antonio Astorts, terrassier, né à Valence est prévenu de vol puis relaxé. Décès de Rafael Moraut, Espagnol réfugié".

Antonio Carrasco, 26 ans: Inculpation de vagabondage sur la commune de Warsy dans la Somme. Un autre Antonio Carrasco est arrivé à Bordeaux en 1841 venant d'Espagne et le commissaire lui a fait délivrer un passeport pour Angoulème le 19 février 1842. Mais le premier a 40 ans et le deuxième n'en a que 26.

Roque Ayensa y Pozo, terrassier espagnol est renvoyé dans son pays. "Les motifs qui m'ont engagé à prendre cette mesure ne sont autre que la situation précaire de cet étranger qui n'a pu justifier de moyens d'existence à Bordeaux. Les instructions ministérielles m'obligent à renvoyer dans leur pays par le point de la frontière le plus proche les étrangers qui se trouvent dans ce cas".

Parfois la mendicité est une affaire de famille, comme pour ces catalans:
"[...], Je profite de cette occasion pour vous informer que de jeunes enfants qui paraissent être catalans, quelquefois même des femmes du même pays se livrent à la mendicité dans le quartier de Saint-Michel notamment aux abords de l'église, sur les fossés Bourgogne et sur les places des Salinières et des Augustins. Les femmes se tiennent principalement vers les heures des offices aux entrées de l'église jusque dans les tambours".

Casimiro Fernandez, 30 ans, natif de Marantin (Espagne), officier cristino, se promène sans papiers.

Pedro Gonez [Gomez]: Irrégularité de papiers.

Francisco Dacosta, 26 ans, Espagnol réfugié, terrassier, déserteur des troupes de la Reine d'Espagne a été trouvé sur le champ de foire sans papiers.

"M. José Romero, Espagnol, a été arrêté par la garde du Jardin Public pour injures et coups sur M. Carvalo qui habite 28 rue Montbazon. Romero était sous l'empire d'une vive exaltation provenant des spiritueux qu'il avait pris et a insulté par de sales propos le caporal qui...". [Le 25 août 1841, un certain José Romero, militaire habitant rue St Thomas, fut témoin au mariage de Mariano Escartín, journalier de 28 ans et María Teresa Xavierre].

Martin Inuria, réfugié a été trouvé dans la nuit sans papiers.

14 novembre 1843:
Renseignements sur M. Godoy: "Le sieur Mariano Godoy, officier espagnol réfugié demeurant 20 chemin de Bayonne jouit d'une très bonne réputation et est très considéré dans son quartier. Il est exact à payer les fournisseurs et les loyers, toutefois sa position de fortune paraît très limitée, cependant il reçoit très souvent chez lui des personnes de Bordeaux des plus honorables. En somme il est digne de l'intérêt de l'administration".
Nous avons trouvé dans les registres d'état civil à la date du 18 avril 1843 le mariage suivant: Mariano Godoy, 38 ans, officier espagnol né à Madrid, veuf d'Antoinette Massia et habitant place du Séminaire, épouse Mlle Florentina de Escribano, 22 ans, née à Biescas (Huesca), habitant avec ses parents 4 rue Mercière. Les quatre témoins de ce mariage sont un commissaire des guerres et trois officiers espagnols. Il semble donc que Mariano Godoy soit allé s'installer après son mariage chemin de Bayonne.

"Rappor de ronde de nuit: [nous en avons respecté l'orthographe]
Les agents de police [X et X], ont l'honneur de vous informer que d'après les ordres du commissaire central nous avons visité plusieurs logeurs, logent des Espagnols. Ces visites nous ont amenés à larrestation du nommé Roussert Vincent que nous avons conduit au dépôt de la mairie comme étant réfuigier et san papier, nous avons égallement retiré 16 passeports appartenant tous a des espagnols, NONS ENRAIGLE, nous les avons tous convoqué pour 10h. du matin dans son bureaux pour qu'il justifie de leur position".

Joseph Raimat, 21 ans, réfugié espagnol arrêté à deux heures du matin au Fossé des Carmes, sans papiers ni asyle. Aurait perdu son passeport d'indigent en venant de Castelsarrasin.

Miguel Castella, 30 ans, réfugié, se disant natif de Barcelone, "se trouve sans papiers, sans asyle ni ressource et cependant porteur d'argent neuf d'Espagne".

Autre drame familial: M. Ortigosa père refuse de payer certaines dettes de son fils. M. Ibarrondo, un ami, se voit donc obligé de faire arrêter celui-ci afin de lui éviter le suicide. Monsieur Ignacio Ibarrondo, 30 rue du Jardin Public, reçoit une lettre du jeune Luciano Ortigosa:
"Muy señor mío que aprecio y respeto, ya por última suplico a Ud me haga favor de dirigir la adjunta a mi padre, pues con la órden que Ud tiene, no encuentro más remedio que suicidarme" . (Mon cher monsieur que j'apprécie et que je respecte, je vous supplie pour la dernière fois de bien vouloir adresser à mon père la lettre ci jointe, car au vu des ordres que vous avez reçus de lui, je ne trouve d'autre solution que de me suicider).

"Francisco Eugène Garcia Ruiz, 15 ans, réfugié, se disant natif de Bilbao, tailleur d'habits, a été trouvé sur la voie publique dénué de papiers et d'asyle".

Mme Mariane Echeverry, veuve Aspesetche, espagnole, projette de se marier avec M. Manuel de Landa, capitaine espagnol réfugié. Ils habitent tous deux à Labardac chez le sieur Dalet, aubergiste rue Porte Neuve.

En avril 1 844, une information spéciale est envoyée au préfet au sujet de ces familles espagnoles qui viennent du Val d'Aran.
"Votre attention a été souvent appelée par un avis inséré dans les 439e, 443e, 444e et 459e feuilles circulaires sur le vagabondage de nombreuses familles espagnoles non réfugiées politiques qui parcourent les départements et occasionnent en pure perte des frais considérables. Ces étrangers dont la plupart appartiennent à la province de Lérida sont presque tous munis de passeports qu'ils ont obtenus pour voyager dans leur pays; c'est donc contrairement aux instructions qu'on les laisse circuler dans l'intérieur où ils n'ont d'autres ressources que la mendicité. Il importe de mettre enfin un terme aux fréquents voyages de ces vagabonds auxquels toute allocation de secours de route doit être formellement refusée. Je vous recommande donc d'inviter MM, les sous préfets, maires et commissaires de police de votre département à n'apposer sous quelque prétexte que ce soit aucun visa sur leurs passeports si ce n'est pour les diriger immédiatement sur le point de la frontière le plus rapproché de leur pays. Vous aurez également à prescrire à la gendarmerie la plus active surveillance au sujet de ces étrangers qui jusqu'à présent paraissent n'avoir pas été de sa part l'objet d'une attention suffisante".

Roberto Moraleda, réfugié carliste, a encore été trouvé hier sans passeport, sans asyle et sans moyen d'existence. Il a 35 ans et est domestique. Le 9 juin, son passeport visé pour Casteljaloux a été trouvé chez le sieur Lasserre, logeur au 30 de la rue du Cayre.

Francisco Morales, avocat "fiscal" [procureur] espagnol réfugié subventionné est décédé le 28 juin au 5 de la rue Tustal.
[Sur l'acte de décès du registre d'état civil, Francisco de Paula Morales habite au n° 15 de la rue de Tustal]

3 septembre 1844: Fiches de renseignements: [Il est à noter, aussi surprenant que cela puisse paraître qu'aucune adresse ne figure sur ces fiches de renseignements de la police].
José Garboye, 35 ans terrassier, réfugié. [sans autre précision]."

"Francisco Muñoz, 42 ans, terrassier, ex-soldat natif de Saragosse, réfugié cristino a été trouvé sans asyle à Bordeaux".
[Sur une deuxième fiche de renseignements, ce terrassier déclarera être natif de María, probablement prénom de sa mère].

Jean Martinez, 18 ans, ex-domestique, Espagnol réfugié, trouvé à Bordeaux sans asyle, sans papier dans la nuit.

Jean Berenguer, 33 ans, terrassier, réfugié espagnol a été arrêté en descendant d'un bateau à vapeur venant d'Agen port.
[Sur un autre document, ce même bateau arrive de Langon].

Manuel Caban, 27 ans, descendant de ce même bateau est arrêté pour irrégularité de passeport et "pour avoir tenté d'escroquer son passage en se disant portefaix et qu'il était entré dans le dit bateau pour y chercher un bagage".

Marie Sarcos, 24 ans réfugiée, se trouvant sur ce même bateau est arrêtée car n'ayant pas de passeport.
L'année suivante, le 31 juillet 1845, Marie Sarcos née à Vilamos et habitant 12 rue Tombel'oly, épouse Miguel Caballero. (Acte n° 0365 B)

Manuel Fernandez, 25 ans, journalier espagnol réfugié est trouvé dans la nuit couché sur la voie publique sans papiers, sans asyle et sans moyen d'existence.

Francisco Ivanel [Ibañez], 18 ans, se disant tambour de l'armée espagnole, réfugié depuis peu de temps, sans papier ni asyle.

Domingo Andalus, 30 ans, ouvrier terrassier, natif de Saragosse, réfugié carliste espagnol. Vient de Condom via La Réole. Possède un livret de terrassier délivré le 25 mai 1843 sur la commune de Cambes (Créon) . Or on trouve le 7 juillet 1844 un témoin de mariage du nom de Mariano Andolour, probablement le même homme. Il est journalier et habite 11 rue Carpenteyre à Bordeaux. (Acte n° 0065 A)

Feliciano Elguía, brigadier espagnol, réfugié carliste subventionné est décédé le 20 du courant. En réalité, l'acte de décès de Félicien Elguéa, Espagnol de 46 ans, né à Larréa (Province d'Alava), ancien officier général réfugié, célibataire habitant rue Buffon, est daté du 18 octobre. (Acte 1000 A).

"J'ai l'honneur de vous informer que hier soir à onze heures et quart passent rue Colignant, j'ai an'êté les nommés Ramirez Ferdinand et Page Pierre, marin appartenant au navire le Chateaubriand. S'est deus individus frappaient aux porte d'une telle manières qu'ils ont manqué d'enfoncer la porte du 8 rue Colignant. d'après l'observation que je leur ai faite de leur ivresse et le tapage qu'ils occasionnaient ils ne m'ont rendu que des injures".

José Castet, 19 ans, journalier né dans la vallée d'Aran, sera remis en liberté le 4 septembre.

Joaquin Rovira, 43 ans, commandant espagnol.

Agustín Crespo, 34 ans prêtre.

Mariano LLurdo, 30 ans, réfugié.

Thomas Leon, 32 ans, réfugié.

Fransua, 29 ans, terrassier réfugié . Nous avons quelquefois rencontré dans les registres dans les registres d'état civil des Espagnols qui signaient "Fransua". Cela indique de toute évidence que ces individus se trouvent en France depuis assez longtemps pour avoir vu traduit leur prénom Francisco par les collègues de travail ou les voisins français de leur quartier. Ils ne sont pas encore familiarisés avec l'orthographe française, mais tentent toutefois de rendre dans leur signature la sonorité du Français qui leur est devenue familière.

Bacaïasa, 30 ans, terrassier réfugié.

Goietchea, 34 ans, maçon réfugié.
Antonio Cartagena, 24 ans, terrassier réfugié.

Albert Magon, 22 ans, réfugié, remis en liberté le 13.

Gregorio Martín: idem.

José Diaz, 17 ans, né à Tarragone, qui se dit réfugié en France comme carliste est en fait un déserteur du régiment d'infanterie d'Espagne n° 30 où il était trompette. Or l'amnistie ne s'étend pas aux déserteurs, il préfère donc rester ici".
Un José Díaz, réfugié, habitant 98 place Mériadeck à Bordeaux, sera témoin de mariage le 16 février 1846. (Acte n° 0088 A).

Antonio Canales ou Cano, 23 ans, laboureur né à Ayerbe. Acquitté le 19 mars pour altération de passeport.

Albert Futanels, 25 ans, fondeur réfugié.

Fernando Sabadia, 37 ans, professeur d'Espagnol réfugié.

Joaquin Antonio Muslera, colonel espagnol réfugié subventionné et résidant à La Réole est décédé à Bordeaux le 28 février.

Alexandre Ruiz, 51 ans, terrassier réfugié.
Un Alejandro Ruiz, habitant 13 rue Dublan, marie son fils le 28 août 1840. (Acte n° 0346 A).

Réponse à une demande de renseignement sur Pedro Carbonel: "Il n'existe qu'une famille Carbonel à Bordeaux, ils sont réfugiés depuis 1826. Pedro est âgé de 21 ans. Ils procèdent de Valence, Espagne".

Ramon Abat, 50 ans, terrassier né en Aragon: vagabondage.

Euphrasio Fernandez ou Fernando, 39 ans, capitaine réfugié parti pour Villeneuve d'Agen le 5 octobre. Signe particulier: une cicatrice au milieu du front provenant d'un coup de sabre.

Auguste Moneva, roulier, réfugié carliste, "dit être logé rue du Cayre depuis cinq jours sans être déclaré, mais il avait déjà menti à M. le maire quand il avait dit habiter rue du Palais-Galien. A demeuré 4 ans à Toulouse avec ses parents au 6 de la rue de l'étoile".

Pedro Vidal, 41 ans terrassier réfugié.

Manuel Bonedo, 29 ans, terrassier réfugié, remis en liberté le 12 ainsi que Leon Martinez, 23 ans, Fernandez ou Fernando, 25 ans et François Barcenete, 31 ans.

Bernardino Bal, 27 ans, charpentier réfugié.

Nicolas Hernandez del Valle, 40 ans officier réfugié carliste: vagabondage.

Le tableau, on peut donc le voir, est triste, de ces Espagnols réfugiés vivant misérablement, petits délinquants, anciens militaires devenus vagabonds, ivrognes, etc.
Ils ont certainement représenté pour les bordelais une population marginale, un foyer de délinquance.

Les prisonniers espagnols
Surveillance policière
Le clergé
Les guerres carlistes
Les trafics carlistes
Le suivi des émigrés
Détail des espagnols rencontrés dans les registres d'Etat Civil



Norbert Rouzil
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